Khalifa Sall, maire de Dakar, transféré dans la nuit du 7 mars à la prison de Rebeuss. Ici en mars 2009, alors en campagne pour les municipales, qu’il allait remporter. | GEORGES GOBET / AFP

Ce n’est que vers minuit, à Dakar, qu’a enfin été publié un communiqué des avocats de Khalifa Sall qui était convoqué, mardi 7 mars à 16 heures, au palais de justice de la capitale sénégalaise. A la suite de son audition par le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance, le maire de Dakar a été placé sous mandat de dépôt et transféré à la prison de Rebeuss avec cinq de ses collaborateurs, a annoncé le collectif de ses avocats. Plusieurs chefs d’accusation ont été retenus contre l’homme qui est de plus en plus considéré comme un adversaire possible du président Macky Sall à la présidentielle de 2019 : « blanchiment de capitaux », « escroquerie portant sur des fonds publics », « détournement de deniers publics », « complicité de faux et d’usages de faux en écriture de commerce », « association de malfaiteurs » et enfin « complicité de faux dans des documents administratifs ».

Selon un rapport de l’Inspection générale d’Etat (IGE), Khalifa Sall aurait utilisé, « sans justification », 1,83 milliard de francs CFA (plus de 2,7 millions d’euros) d’un fonds de la ville de Dakar, a dénoncé le procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, le 3 mars. Sept autres agents de sa municipalité ont été également entendus par le juge. Parmi eux, cinq ont été placés sous mandat de dépôt pour « complicité » et « usage de faux », dont son directeur administratif et financier, Mbaye Touré, et une assistante, Fatou Traoré. Deux percepteurs de la mairie de Dakar ont été mis sous contrôle judiciaire.

Depuis qu’il a été entendu, les 21 et 22 février, plusieurs heures d’affilée, par la division des investigations criminelles (DIC, police judiciaire) sur sa mauvaise gestion présumée, le maire de Dakar a toujours réfuté les accusations qui pèsent sur lui.

« Instrumentalisation de la justice »

« Le juge a suivi en tout point les réquisitions du ministère public qui pourtant n’a même pas motivé son réquisitoire sur la discrimination qui rompait la stricte égalité des citoyens se trouvant dans les mêmes conditions devant la justice », a déclaré l’un des avocats du maire, Ciré Clédor Ly. Un peu avant minuit, l’édile de Dakar a donc été déféré vers la maison d’arrêt de Rebeuss située à quelques mètres du tribunal Lat Dior.

Aux alentours de 20 heures déjà, plusieurs voitures de police dont une camionnette de l’administration pénitentiaire ont défilé devant le tribunal, sur la voie où étaient réunis les journalistes. La rumeur se propageait alors, petit à petit, que Khalifa Sall était placé sous mandat de dépôt. Certains sites de la presse locale ont même annoncé la nouvelle. Et pourtant, le maire de la capitale n’a semble-t-il pas été entendu avant 21 heures. Un face-à-face houleux de plus de deux heures s’en est suivi avec le juge.

Si la décision est tombée si tard, c’était aussi sans doute pour disperser les nombreux militants du maire qui s’étaient donné rendez-vous devant le palais de justice. « Khalifa président ! » a été scandé par les sympathisants. Sur leurs tee-shirts blancs, on pouvait lire « Ne touchez pas à mon maire ! » écrit à l’encre rouge. Pour certains, il ne s’agissait pas de militer en faveur de Khalifa Sall mais de dénoncer ce qu’ils qualifient « d’instrumentalisation de la justice ». D’autres étaient venus le soutenir avec parfois des documents « attestant » de l’innocence du maire. « Ce sont mes dossiers médicaux que je tiens, brandit Al-Hadj Samba Mbow, la quarantaine, devant les caméras. C’est Khalifa Sall qui m’a aidé à prendre en charge les soins pour mon opération. Les personnes qui ont aussi bénéficié des aides de la mairie doivent venir ici parce qu’ils sont nombreux. »

L’edile de 61 ans dirige la capitale du Sénégal depuis 2009. Ancien ministre, il est l’un des responsables du Parti socialiste (PS), formation qui a dirigé le pays de 1960 à 2000 et membre de la coalition de l’actuel président Macky Sall. Mais Khalifa Sall, en dissidence dans son parti et au sein de la majorité, a annoncé qu’il présenterait sa propre liste de candidats aux législatives du 30 juillet. Après son inculpation et son incarcération, ses avocats ont dénoncé une manœuvre politique : « Cette arrestation et cette détention n’ont pour but que de freiner Khalifa Sall dans ses ambitions politiques », ont-ils déclaré devant la presse au tribunal, évoquant les législatives et la présidentielle de 2019.

« Stratégie de l’Etat »

En regagnant dans la nuit la voiture qui le transportait vers la prison dite des « Cent mètres », Khalifa Sall n’a pas vu la foule venue le soutenir. La longue attente l’a dispersée. On entendait encore certains dire que « c’était la stratégie de l’Etat. Le juge attend que tout le monde parte pour le déférer, pour qu’il n’y ait pas de soulèvement ». Seule restait alors une poignée de journalistes et quelques militants irréductibles devant le tribunal de Dakar qui a été quadrillé jusque tard dans la nuit. La sécurité avait été renforcée dans la capitale dès l’après-midi. Aux alentours de 16 heures, en entrant au centre-ville par l’autoroute, on pouvait déjà voir des éléments de la police, boucliers antiémeutes et casques sur les têtes, déployés dans plusieurs endroits stratégiques.

Les autorités ont-elles redouté un dérapage populaire ? Lundi, sur les marches de l’hôtel de ville, après le renvoi de sa convocation au lendemain, Khalifa Sall était sorti de sa réserve habituelle : « C’est de la politique et non de la justice. Il est temps qu’on cesse de parler. Maintenant, nous devons agir. Allons dans les rues, dans les radios et battons-nous pour que ces plans n’aboutissent pas ! »