A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, Le Monde a choisi de traiter la question des inégalités femmes-hommes en analysant leurs places respectives dans l’espace public. Avec l’association Genre et ville et l’Arobe (Atelier recherche observatoire égalité), Edith Maruéjouls accompagne des collectivités pour promouvoir l’égalité.

Monique : Mon petit garçon de 8 ans adore jouer à l’élastique mais il me dit que, dans la cour, tous ses copains se moquent de lui et que c’est un jeu de filles. Comment lutter contre ces clichés qui s’installent dès l’enfance ?

Il faut lutter contre les stéréotypes sexués et interroger ce dont on se moque. On voit apparaître dans ces moqueries la hiérarchie des valeurs entre les pratiques dites “de filles” et les pratiques dites « de garçon ». C’est un travail de pédagogie, qui doit être fait en classe avec les enseignant(e)s, notamment sous la forme de discussions ouvertes. « A-t-on le droit de jouer à ce à quoi on veut jouer ? Y a-t-il des jeux “de filles” et de “garçons” ? Qu’est-ce que ça veut dire, “s’amuser” ? ». Il faut aussi soutenir son enfant dans ses choix. Lui expliquer que ce qui est important dans le jeu, c’est de se faire plaisir et de partager.

Ruben : Faudrait-il donc supprimer les terrains de sport dans toutes les écoles de France en raison du fait qu’ils sont plus fréquentés par les garçons ?

Il ne s’agit pas d’interdire le foot dans les cours de récréation. Il s’agit de ne pas en faire une pratique automatique. Les enfants entre eux doivent apprendre à organiser l’espace de jeu, pour que tous puissent jouer à tous les jeux auxquels ils souhaitent jouer. On peut tout à fait faire une partie de football, lorsque cela a été négocié et en ayant par exemple, soit une craie pour dessiner provisoirement le terrain, soit des cages amovibles. Cela permettra un autre jour de pouvoir jouer à « la balle aux prisonniers », à « trappe-trappe » ou à « accroche-décroche ». Cette problématique concerne aussi les « petits », qui ont moins de légitimité que les « grands » pour occuper de la cour d’école.


Tikatsou : L’impunité dont bénéficient les « petits caïds » ne prépare-t-elle pas les comportements de certains hommes dans l’espace public ?

Effectivement, ne pas interroger le partage de la cour d’école donne une légitimité aux garçons dans leur vie d’adulte pour occuper les espaces publics, mais aussi l’espace politique et citoyen. L’égalité ne peut se penser sans rapport à l’autre. Ne pas penser le partage de l’espace dès l’enfance, c’est donc participer à la construction de la domination des hommes au sein du groupe social et d’un modèle encore trop pensé sur la virilité et l’agressivité. A l’inverse, les comportements des hommes adultes dans l’espace public peuvent également renvoyer les garçons à ce modèle.

Senja : Les wagons de métro réservés aux femmes, c’est une bonne idée ou pas ?

Non, ce n’est pas une bonne idée. La problématique de l’égalité peut se définir aussi comme celle de la relation entre femmes et hommes. S’il n’y a plus de relation, on ne peut plus penser la question de l’égalité. Décider de mettre en place des wagons non mixtes poserait de sérieuses questions à notre démocratie. Cela voudrait dire que nous ne nous sentons pas en capacité de résoudre la question du vivre-ensemble entre femmes et hommes. Cela supposerait aussi que forcément toutes les femmes soient perçues comme des victimes potentielles et les hommes des agresseurs potentiels. Je ne partage pas cette vision. Cela peut aussi vouloir dire que lorsqu’il y aura mixité, par exemple, et qu’une femme rentrera dans un « wagon d’hommes », l’agression sera permise.

Mathilde : Concrètement, y a t’il des conseils que vous pourriez donner aux concepteurs, architectes, urbanistes, pour une meilleure prise en compte des femmes dans l’espace public ?

L’association Genre et ville, avec qui je travaille régulièrement, s’est associée à la mairie de Paris pour réfléchir à la question du genre dans le cadre de la rénovation des places. Trois points principaux ont été abordés.

  • Favoriser le multi-usage

Aujourd’hui, quand une collectivité construit un city-stade ou un skate park, elle prescrit un usage unique pour ces espaces. Elle proscrit donc tous les autres usages. La question du mono-usage exclut les personnes qui ne sont pas légitimes sur cet espace-là, parce qu’elles ne pratiquent pas l’activité prescrite. Cela concerne les femmes, mais aussi les personnes âgées, les enfants ou les familles. Vous n’allez pas faire un pique-nique, donner un concert ou lire au milieu d‘un skate-park.

  • Penser l’aménagement

Il s’agit de faire un travail sur les matières, par exemple choisir celles qui permettent aux enfants de courir et de tomber sans se faire mal, mais aussi un travail sur l’organisation de l’espace, en créant des recoins pour permettre à des petits groupes de discuter sans être vus.
Un espace, c’est aussi du temps d’occupation. Le matin, l’après-midi et le soir, on peut animer l’espace de façon différente : activités sportives, ludothèque, espaces de débat ou d’exposition.

  • Relégitimer la présence des femmes dans l’espace public

Au-delà de la question de l’aménagement, la meilleure prise en compte des femmes dans l’espace public passe aussi par une question de légitimité. A ce titre, Genre et ville organise des « marches sensibles ». Il faut faire passer le message que la présence dans l’espace public est un droit fondamental des femmes. Cela passe par exemple par la construction d’un environnement bienveillant et sécurisant pour les cinq sens. Il s’agit d’éviter la présence trop importante de publicités représentant des femmes-objets. La ville de Paris a édité un guide référentiel sur le genre et l’espace public à l’usage des urbanistes et des aménageurs.