Il était difficile de croire que le revenu universel deviendrait un débat de société il y a encore un an, mais à l’aube de la présidentielle, il s’avère être l’un des sujets les plus discutés de la campagne. Une progression fulgurante de l’idée en France qui a semble-t-il pris de court un grand nombre d’associations et de mouvements politiques, les obligeant à se positionner rapidement sur la question. C’est dans ce cadre que plusieurs organisations féministes ont décidé de s’emparer du sujet.

Cette mesure représenterait-elle un progrès ou une régression pour les femmes ? La question a été débattue le jeudi 2 mars à la Bourse du travail, à Paris, à l’initiative d’Osez le féminisme, du Collectif national pour les droits des femmes, de la Fondation Copernic et de la commission « genre » d’Attac.

Le risque de renvoyer les femmes à la maison ?

Première crainte pour les féministes : le revenu universel ne va-t-il pas renvoyer les femmes à la maison ? Interrogé sur cette question il y a quelques mois par Libération, M. Hamon tentait d’éteindre les critiques :

« Non, car c’est la possibilité pour elles de continuer à travailler, tout en disposant de moyens pour pouvoir réduire leur temps de travail. Ce qui m’intéresse, c’est qu’elles tirent de leur travail un revenu leur permettant de faire face à leurs besoins, mais surtout qu’elles aient les moyens de travailler moins quand leur travail constitue une peine ! »

Stéphanie Treillet, représentante de la commission « genre » d’Attac, note que cette idée fait « l’impasse sur le genre dans le travail en présentant un projet neutre ». L’argument d’un revenu distribué à tous permettant aux individus de choisir d’exercer ou non un emploi afin de se consacrer à d’autres activités non valorisées, comme par exemple s’occuper des enfants, est pour elle trompeur. « On peut prendre l’exemple du congé parental d’éducation : même s’il est techniquement neutre, on voit bien que dans la quasi-totalité des cas ce sont les mères qui prennent cette allocation et pas les pères. »

Une enquête sur le congé parental d’éducation menée par l’Insee en 2010 montre qu’après une naissance, en dehors du congé de maternité ou de paternité, 12 % des pères ont interrompu ou réduit leur activité professionnelle pendant au moins un mois pour s’occuper de leur plus jeune enfant, alors que ce chiffre s’élevait à 55 % chez les mères.

« L’essor de la pauvreté laborieuse »

Le partage des tâches domestiques restant toujours très inégalitaire, le revenu universel risquerait-il de pousser plus de femmes à choisir des temps partiels pour s’occuper du foyer ? Pas sûr, car si le travail à temps partiel est bien l’apanage des femmes depuis des décennies (en France, près de 80 % du travail à temps partiel est assumé par des femmes), il est en fait plus subi que choisi, rappelle la sociologue Margaret Maruani, autrice de Travail et emploi des femmes (La Découverte). « On a trop longtemps vu ça sous un visage heureux : un temps pour s’occuper du foyer et un temps pour le travail. Mais le temps partiel est la forme féminine de la dérégulation du marché du travail, c’est l’essor de la pauvreté laborieuse : on travaille sans pouvoir totalement gagner sa vie. »

En 2015, 1,7 million de Français étaient en sous-emploi déclaré (personnes travaillant moins que ce qu’elles souhaiteraient), parmi eux, 1,207 million étaient des femmes et 491 000 étaient des hommes. « Cette forme de dérégulation du travail reste pourtant largement invisible, fait remarquer Mme Maruani. La pauvreté est encore trop souvent associée au chômage alors que le sous-emploi est tout aussi important. »

Individualiser les aides sociales

Si des divergences de fond subsistent, partisans d’un revenu universel et organisations féministes se retrouvent sur un point : l’intérêt pour les femmes de l’individualisation des aides sociales. Les minima sociaux étant basés sur les revenus familiaux, « trop de femmes sont renvoyées à la solidarité de leur conjoint », regrette Christine Marty, membre de la Fondation Copernic. « Le système actuel est paternaliste », renchérit Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme !, soulignant la particularité française du quotient conjugal. « La famille reste la solidarité première, mais c’est malheureusement aussi le lieu principal de toutes les violences pour les femmes. »

Le système fiscal actuel considère en effet que c’est au membre du couple ayant des revenus plus confortables, très souvent l’homme, de subvenir aux besoins de l’autre et peut rendre la femme dépendante de son mari, ce qui empêche certaines de quitter librement le domicile conjugal. Les deux candidats du revenu universel, Charlotte Marchandise et Benoît Hamon, l’ont bien compris. Ils proposent de mettre en place un revenu minimum individuel délié du travail mais aussi du rôle familial. Et aux organisations féministes de rappeler que, sans aller aussi loin qu’un revenu universel, l’individualisation fiscale et sociale serait déjà un grand pas vers l’émancipation des femmes.

« Le revenu universel ne suffit pas »

Principale association promouvant l’idée en France, le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) tente de rassurer toutes celles et ceux qui craignent l’émergence d’un salaire maternel. Pour l’association, le système de protection sociale s’appuyant sur le travail accentue les inégalités : le marché du travail désavantage les femmes et réduit ainsi leur accès à la protection sociale. « Le revenu universel n’est pas une solution miracle, il donne une plus grande autonomie pour tous mais surtout pour les femmes », assure Antoine Stéphany, membre du MFRB.

Lors du débat organisé à la Bourse du travail le 2 mars, c’est surtout une grande incompréhension face aux multiples visages du revenu universel – parfois de gauche, d’autres fois ouvertement libéral – qui semblait au cœur des craintes féministes. Dans l’assemblée, une jeune femme visiblement agacée tente de recadrer le débat : « Est-ce qu’un travail de merde c’est vraiment émancipateur pour les femmes ? Le revenu universel, c’est la reconnaissance du travail non marchand et ça laisse le choix à tout le monde mais il est évident qu’il ne suffit pas et qu’il doit s’accompagner de mesures pour l’égalité entre femmes et hommes. »

Le 8 mars sur Le Monde.fr

Pour mieux comprendre les problèmes anciens et récents de l’égalité femmes-hommes, Le Monde.fr vous propose d’échanger, au cours de la journée du 8 mars, avec des expertes :

  • 10 h 30 : « Harcèlement, violences : les droits des femmes sont-ils respectés en France ? » Discussion en direct sur Le Monde.fr avec Isabelle Steyer, avocate au barreau de Paris, spécialiste du droit des victimes et des violences conjugales.
  • Midi : « Quelles sont les raisons de l’écart des salaires entre hommes et femmes ? » Discussion en vidéo, par un Facebook Live, avec Séverine Lemière, économiste, professeure à l’université Paris-Descartes, spécialiste de l’égalité salariale.
  • 14 heures : « Dans l’espace public, filles et garçons sont-ils à égalité ? » Discussion avec Edith Maruéjouls, docteure en géographie, spécialiste de l’égalité dans la cour d’école, les loisirs des jeunes et l’espace public.

Nos journalistes à Paris et nos correspondants dans le monde suivront les mobilisations. Une « grève » des femmes à l’appel d’organisations féministes débutera officiellement à 15 h 40. A Paris, un rassemblement organisé par des associations, des ONG et des syndicats est prévu place de la République à partir de 14 heures. Il sera suivi d’une marche jusqu’à l’opéra Garnier, à 17h30.

Vous pourrez également retrouver tous nos articles, cartes, tribunes et analyses sur des problématiques aussi diverses que l’éducation, la parité en politique ou le harcèlement sexuel au travail dans notre direct consacré à cette journée et à la « une » du Monde.fr.