Dans une boutique ne commercialisant pas de produits OGM, à Seattle, en 2013. | © JASON REDMOND/REUTERS

En mai 2016, l’Académie des sciences américaines rendait un rapport très attendu sur les cultures génétiquement modifiées. Médiatisée dans le monde entier – y compris dans Le Monde – cette revue générale de la littérature scientifique concluait à l’absence de risques sanitaires et environnementaux des plantes transgéniques commercialisées, mais soulignait l’absence de bénéfices sur les rendements.

Le texte a-t-il été rédigé en toute indépendance ? La question est posée par la revue PLoS One qui publie, sans sa dernière édition, une étude montrant l’existence de conflits d’intérêts au sein du comité d’experts ayant coordonné le rapport. Selon Sheldon Krimsky (université Tufts à Medford, dans le Massachusetts) et Tim Schwab (Food & Water Watch), près du tiers des 20 principaux auteurs du rapport entretenaient des liens financiers avec des sociétés de biotechnologies. Ces liens n’avaient pas été identifiés ou rendus publics dans le rapport.

Il est très rare que l’intégrité d’un rapport provenant d’une institution aussi prestigieuse soit mise en cause dans une revue savante. « Nous avons choisi d’examiner ce rapport parce qu’il est l’un des plus exhaustifs jamais publiés sur les biotechnologies en agriculture, un sujet d’intenses débats publics, et que l’Académie des sciences américaine est dotée de longue date d’une politique de gestion des conflits d’intérêts », écrivent Tim Schwab et Sheldon Krimsky.

« Biais de financement »

Un grand nombre de travaux ont été publiés ces dernières décennies dans la littérature scientifique, éclairant ce que les chercheurs nomment le « biais de financement ». « Ces travaux montrent qu’une étude financée par une entreprise privée tend à produire des conclusions plus favorables aux intérêts du financeur que les études conduites sur fonds publics, résument les auteurs. Ce phénomène concerne aussi bien l’acquisition de données que l’interprétation des résultats. »

Tim Schwab et Sheldon Krimsky ont donc passé au crible des sources ouvertes – déclarations d’intérêts annexées à des articles scientifiques, curriculum vitae, bases de données de brevets, etc. Selon leurs recherches, six membres du panel de 20 scientifiques réunis par l’Académie des sciences américaine avaient été financés dans leurs travaux de recherche par des sociétés liées aux biotechnologies végétales, dans les trois années précédant le lancement de la rédaction du rapport. Soit près du tiers de l’ensemble. Parmi eux, cinq détiennent en outre des brevets sur des organismes génétiquement modifiés (OGM) destinés à l’agriculture, ou sur des méthodes d’obtention de tels organismes. Parmi les liens d’intérêts mis au jour par les deux auteurs, aucun n’était noué avec des entreprises défavorables au développement des biotechnologies végétales (sociétés liées à l’agriculture biologique, par exemple).

De plus, l’institution elle-même se trouve en situation de conflit d’intérêts financier. En 2014, l’année du début des travaux d’expertise, notent les chercheurs, « les trois principales entreprises de biotechnologies végétales (Monsanto, Dow et DuPont), ont chacune donné 5 millions de dollars [4,7 millions d’euros] à l’Académie des sciences américaines ». « Certains de ces dons ont été accordés à des projets portés par l’Académie et concernant les biotechnologies, ajoutent Tim Schwab et Sheldon Krimsky. Cela inclut un colloque de 2015, organisé par l’Académie sur les moyens de communiquer la science des biotechnologies végétales auprès du public. » Le colloque en question était d’ailleurs co-animé par le président du groupe d’experts réunis par l’Académie pour rédiger le fameux rapport.

Embarras

Ce n’est pas tout : Tim Schwab et Sheldon Krimsky ajoutent avec cruauté que le financement du colloque en question n’avait pas non plus été rendu public au cours de l’événement, mais dans un rapport publié plusieurs mois plus tard par l’Académie. Celle-ci n’a pas répondu aux sollicitations du Monde. Narquois, MM. Schwab et Krimsky ajoutent que la prestigieuse revue scientifique éditée par la vénérable institution, Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), stipule dans sa politique de gestion des conflits d’intérêts que les scientifiques qui y publient leurs travaux « en omettant, délibérément ou par imprudence, de dévoiler leurs conflits d’intérêts » peuvent se voir interdits de publication dans la revue pendant une période de temps donnée.

L’affaire est d’autant plus embarrassante pour l’Académie des sciences qu’un autre projet de rapport, sur les nouvelles techniques d’ingénierie de l’ADN (comme le Crispr-Cas9, par exemple), est également au centre d’une controverse – également pour des raisons de conflits d’intérêts non déclarés. L’affaire a été révélée fin décembre 2016 par le New York Times, qui indique que sept des treize chercheurs sélectionnés par l’Académie pour plancher sur le sujet étaient en conflits d’intérêts potentiels. « De plus, un employé de l’Académie qui a contribué au choix des scientifiques participant au groupe d’experts était en recherche d’un nouvel emploi lorsqu’il a formulé ses recommandations, écrivait le quotidien américain. Trois des treize personnes recommandées – ayant toutes été finalement sélectionnées – étaient membres du conseil d’administration de son nouvel employeur, une nouvelle fondation travaillant sur les biotechnologies. »

S’agissant de ces technologies, rappellent MM. Schwab et Krimsky, la question de l’impartialité de l’expertise se pose d’autant plus qu’elle s’appuie sur des études parfois elles-mêmes financées par des intérêts privés. Dans une revue critique de la littérature publiée en décembre, Denis Bourguet, Eric Lombaert et Thomas Guillemaud, chercheurs à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) ont ainsi montré que le corpus d’études publiées dans la littérature savante sur l’efficacité et-ou la durabilité des cultures transgéniques de type Bt (résistantes à des ravageurs) souffrait d’un biais de financement significatif.

« Nous mettons en évidence que les liens entre les chercheurs et l’industrie des biotechnologies végétales sont banals, avec 40 % des études [examinées] présentant des conflits d’intérêts, écrivent les trois chercheurs français. En particulier, nous mettons en évidence le fait que, par rapport à celles sans conflits d’intérêts, les études présentant de tels liens concluent de manière favorable aux intérêts des entreprises de biotechnologies avec une fréquence plus élevée de 50 %. »