Le président péruvien Pedro Pablo Kuczynski, le 24 février. | NICHOLAS KAMM / AFP

Le président péruvien Pedro Pablo Kuczynski, dit PPK, a nié avoir touché des pots-de-vin de la multinationale brésilienne Odebrecht, dont les aveux ont éclaboussé les milieux politiques d’une douzaine de nations d’Amérique latine et d’Afrique. « Je n’ai rien reçu d’Odebrecht, je suis absolument tranquille », a-t-il déclaré, mardi 7 mars, lors d’un déplacement en province.

La veille, la procureure spéciale chargée d’enquêter sur le scandale Odebrecht, Katherine Ampuero, avait demandé au parquet l’ouverture d’une enquête préliminaire sur des « opérations suspectes et sur les présumés versements de l’entreprise Odebrecht Latinvest Peru au profit de la firme Latin America Enterprise, à laquelle serait lié Monsieur le président ».

Odebrecht est un géant du bâtiment et travaux publics (BTP), dont le PDG Marcelo Odebrecht a été condamné par la justice brésilienne à dix-neuf ans de prison pour corruption. L’entreprise a remporté plusieurs marchés au Pérou. Pour conclure un accord avec la justice américaine, qui mène sa propre enquête, Odebrecht a admis avoir payé 29 millions de dollars (27 millions d’euros) à des dignitaires péruviens, entre 2005 et 2014. Jorge Barata, directeur de l’antenne de la firme à Lima pendant vingt ans, est passé aux aveux et a donné aux enquêteurs péruviens de nombreux détails.

Mandat d’arrêt international

Ainsi, l’ancien président Alejandro Toledo (2001-2006) aurait reçu 20 millions de dollars pour accorder aux Brésiliens le chantier de la route interocéanique, qui relie l’Atlantique au Pacifique. En fuite, M. Toledo fait l’objet d’un mandat d’arrêt international. Le quotidien de gauche La Republica l’a photographié il y a quelques jours dans une cafétéria de l’université de Stanford (Californie), où il occupe un poste. M. Kuczynski a été son ministre des finances et son premier ministre. Eliane Karp, l’épouse de M. Toledo, a la réputation de n’avoir pas la langue dans sa poche. Elle a vivement réagi à l’inculpation de son mari : « Quelle honte PPK, toi qui as fait tant d’affaires et de lobbying ! ».

Lors d’une conférence de presse, lundi, la procureure Ampuero a également mis en cause l’ancien président Alan Garcia (2006-2011), dont des membres du gouvernement ou hauts fonctionnaires sont actuellement en prison. Ils auraient influencé l’appel d’offres de la ligne numéro 1 du métro de Lima, au profit d’Odebrecht. La facture du chantier, initialement budgété à 410 millions de dollars, est passée à 519 millions.

La campagne électorale de l’ex-président Ollanta Humala (2011-2016) est aussi dans le collimateur. Odebrecht y aurait contribué à hauteur de 3 millions de dollars. A en croire M. Barata, une partie de cette somme a été remise en mains propres à Nadine Heredia, épouse du candidat du Parti nationaliste péruvien, dont elle était la dirigeante. Une autre partie aurait servi à payer le conseiller de la campagne, le Franco Argentin Luis Favre, précédemment chargé des relations internationales du Parti des travailleurs (PT), la formation des anciens présidents brésiliens Luiz Inacio Lula da Silva et Dilma Rousseff. Pendant la présidence Humala, Odebrecht s’est vue attribuer les travaux du gazoduc du sud.

Les Péruviens sont abasourdis

Le scandale Petrobras-BTP a provoqué un séisme au Brésil et tient une épée de Damoclès sur les élus de plusieurs partis politiques, aussi bien le PT et les alliés de sa coalition de centre gauche, que l’ancienne opposition. Soixante-dix-sept directeurs d’Odebrecht ont accepté de collaborer avec la justice en échange d’une réduction de peine. Le microcosme politique de Brasilia retient son souffle.

A l’instar de la multinationale du BTP, l’affaire Odebrecht est désormais internationale. Les procureurs brésiliens chargés du dossier ont pris l’initiative de convoquer une réunion inédite à Brasilia, le 16 février, avec leurs homologues sud-américains, pour mettre au point la coopération et l’échange d’informations.

La réplique du séisme est particulièrement forte au Pérou, où les médias n’ont pas hésité à adopter l’appellation de l’opération « Lava Jato » (lavage express), qui rassemble les enquêteurs brésiliens. Les quatre chefs d’Etat élus au Pérou depuis la fin du régime autoritaire d’Alberto Fujimori (1990-2000) et le retour de la démocratie, sont visés. Les Péruviens sont abasourdis.

Selon un expert, ces révélations suscitent « une crise de légitimité de toute la classe politique », qui « fragilise le tissu social » et « compromet la bonne gouvernance »

« Lava Jato », commencée en 2014, a acquis une légitimité internationale. Au Brésil, soutenue par l’opinion, elle est devenue imparable. Le juge brésilien Sergio Moro, à la tête de l’enquête, avait été invité fin février à Lima, où il a prononcé la conférence inaugurale d’un séminaire sur le thème « Corruption et Etat de droit ». « Cette corruption systémique est un cadre honteux, mais n’est pas un problème exclusif d’entreprises du Brésil : elle implique à la fois celui qui a payé et celui qui a reçu le pot-de-vin, a affirmé M. Moro. Il ne doit pas y avoir de refuge pour les fuyards ni de pays qui ne coopèrent pas. »

Selon le Péruvien José Ugaz, président de l’organisation non gouvernementale Transparency International, les révélations actuelles suscitent « une crise de légitimité de toute la classe politique », qui « fragilise le tissu social » et « compromet la bonne gouvernance ». Dépourvu de majorité parlementaire, le président Kuczynski doit composer avec le parti de Keiko Fujimori, la fille de l’autocrate, dont la famille est également soupçonnée de blanchiment d’argent. L’approbation de PPK dans l’opinion a chuté à 29 %, sept mois après son investiture, selon un sondage publié par La Republica.

Fin février, le Congrès péruvien a approuvé en première lecture une réforme constitutionnelle pour déclarer imprescriptibles les délits de corruption.