Un micro-implant contraceptif. | ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Un combat juridique de longue haleine s’annonce entre trois femmes s’estimant victimes d’effets indésirables liés à l’utilisation du dispositif contraceptif Essure et son distributeur, la société Bayer HealthCare, contre laquelle elles ont porté plainte en décembre 2016.

La première manche de la procédure de demande d’indemnisation qu’elles ont lancée se déroulera, vendredi 10 mars, devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Les plaignantes espèrent obtenir la désignation d’un expert medico-judiciaire aux frais du laboratoire afin de faire la preuve du préjudice de santé qu’elles ont subi. Néanmoins, si les arguments de Bayer HealthCare étaient retenus par le juge, vendredi 10 mars, les trois plaignantes pourraient bien devoir renoncer à leur action pour des raisons financières.

Dans les conclusions qu’ils soutiendront, vendredi, et dont Le Monde a pris connaissance, les avocats du laboratoire invoquent en effet la prescription des faits. Ils estiment que la responsabilité de l’entreprise ne peut être mise en cause car les plaignantes ont formé leur recours plus de trois ans après avoir commencé à utiliser le dispositif Essure. Ils considèrent ainsi qu’aucun « motif légitime » n’étaie leurs demandes d’expertises, et ils refusent que Bayer prenne en charge le coût de ces mesures onéreuses comme les trois femmes le demandaient.

Nombreux effets secondaires

Essure se présente sous la forme de mini-implants tubaires en nickel introduits, sans anesthésie générale, par les voies naturelles pour déclencher une cicatrisation obstruant les trompes de Fallope. Cette méthode de stérilisation définitive et irréversible existant depuis 2002 est soupçonnée d’être à l’origine de nombreux effets secondaires neurologiques, musculaires et hémorragiques.

Elle fait l’objet d’une action de groupe rassemblant des milliers de plaignantes aux Etats-Unis, et l’Agence nationale de surveillance sanitaire brésilienne (Anvisa) a décidé de suspendre sa vente, sa distribution et son utilisation, le 20 février. Expliquant qu’elle présente « un risque maximal », l’autorité de santé brésilienne cite notamment « des modifications des saignements menstruels, des grossesses non désirées, des douleurs chroniques, une perforation et une migration du dispositif, une allergie et une sensibilité ou des réactions de type immunitaire ».

« Il existe un véritable problème Essure et nous espérions que Bayer démontre sa bonne volonté pour l’élucider en prenant en charge les frais d’expertises que mes clientes n’ont pas les moyens d’avancer », regrette Me Charles Joseph-Oudin, avocat des trois plaignantes françaises. Par ailleurs défenseur des victimes du Mediator et de la Dépakine, cet habitué des dossiers de santé publique au long cours conteste la prescription invoquée par la partie adverse.

« Une action en réparation impose en effet à la victime de former son recours dans un délai de trois ans, explique-t-il. Mais comme dans les dossiers du Mediator ou de la Dépakine, ce délai ne commence à courir que lorsque la victime est raisonnablement informée pour faire le lien entre ses symptômes et le dispositif, le médicament ou le produit. Et c’est bien une expertise médico-judiciaire qui doit déterminer cela ».

Expertises obligatoires

Obligatoires et indispensables dans la perspective du procès au fond devant un tribunal civil que les plaignantes espèrent, les expertises sont généralement à la charge du demandeur, mais leur coût [3 000 à 4 000 euros par plaignante dans ce cas] peut dissuader d’intenter une action. C’est ce qu’entend éviter Me Joseph-Oudin, dépositaire, dit-il de « 200 autres dossiers sont en cours de constitution » dans cette affaire. « Imposer à mes clientes d’avancer les frais des expertises, c’est leur dénier le droit à l’accès à un juge du fond », explique-t-il.

« Quand on s’attaque à un laboratoire pharmaceutique, on sait bien qu’il ne va pas capituler », philosophe Marielle Klein, une des trois plaignantes concernées par l’audience du 10 mars. Mère de cinq enfants, cette Alsacienne de 39 ans a opté en 2012 pour les implants Essure. Elle a rapidement ressenti de lourds effets secondaires, mais n’a compris qu’en 2015 leur lien potentiel avec le dispositif, en découvrant sur Internet l’existence de l’action de groupe américaine en cours contre Bayer. « Les symptômes que décrivaient les plaignantes étaient similaires aux miens », explique-t-elle.

En janvier 2016, Mme Klein a dû recourir à une hystérectomie avec ablation des trompes pour se débarrasser du dispositif. Un mois plus tard, elle lançait contre Essure une pétition qui a rallié plus de 75 000 signataires et créait, en juin 2016, l’association Resist (Réseau d’entraide, soutien et d’informations sur la stérilisation tubaire) qu’elle préside. Reçues le 20 janvier à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et au ministère de la santé, Mme Klein et plusieurs autres adhérentes de Resist ont réclamé la suspension d’Essure au nom du principe de précaution.

240 000 contraceptifs Essure en France

Arguant de la conclusion imminente de deux études épidémiologiques – l’une menée par l’ANSM à partir de données de l’Assurance-maladie, et une autre demandée à Bayer par la Food and Drug Administration, l’autorité de santé américaine – les autorités sanitaires françaises n’ont pas accédé à cette demande. « Contrairement au Brésil, la France ne protège pas ses femmes », observe Mme Klein.

Depuis la mise à disposition d’Essure en 2002, environ un million d’unités ont été vendues dans le monde dont 240 000 en France, selon Bayer HealthCare. Remboursées par la Sécurité sociale depuis 2005, plus de 20 000 unités sont implantées chaque année en France, mais les signalements auprès de l’ANSM d’effets secondaires liés à leur pose comme à leur composition (nickel) se sont multipliés. Selon l’ANSM, ils sont passés de 42 en 2012 à 242 en 2015 et Essure a été placé sous surveillance renforcée.