« Le revenu universel, c’est la nouvelle protection sociale », affirmait Benoît Hamon dans Le Monde en janvier. L’idée est devenue une mesure phare du candidat socialiste à la présidentielle et ses contours ont déjà beaucoup évolué durant la campagne. M. Hamon devrait en présenter les modalités jeudi 9 mars, lors de « L’Emission politique » sur France 2.

Le principe du revenu universel (RU), ou revenu de base, consiste à verser à chaque citoyen une allocation mensuelle, tout au long de sa vie, à titre individuel, de manière inconditionnelle (sans critère de ressources ou de recherche d’emploi) pour subvenir à ses besoins de base et lui donner la liberté de compléter ses revenus par un travail ou de se concentrer sur d’autres projets.

Mais les quelques détails distillés par Benoît Hamon, notamment dans un entretien au Monde, s’éloignent parfois de la définition « idéale » comme l’envisagent ses premiers défenseurs.

Ce que propose Benoît Hamon

Le candidat socialiste assume la mise en place progressive de cette réforme ambitieuse et ne s’appesantit pour l’instant que sur la première étape qui comprend trois volets :

  • l’automatisation du versement du Revenu de solidarité active (RSA) « dénommé désormais revenu universel revalorisé à 600 euros pour tous les Français pauvres » ;

  • une extension de ce revenu universel aux 18-25 ans, alors que le RSA ne concerne aujourd’hui que les plus de 25 ans, sauf condition particulière ;

  • un complément de revenus versé sur la fiche de paie pour « tout travailleur qui perçoit un salaire net jusqu’à 1,9 smic mensuel », soit 2 165 euros. Le montant global et son calcul ne sont pas détaillés, mais Benoît Hamon évoque l’exemple d’un salarié au smic (1 150 euros) qui « gagnera désormais 1 350 euros », soit 200 euros de plus. Cette mesure va plus loin que la première étape présentée jusqu’à présent par le candidat.

Benoît Hamon évalue que cette réforme coûtera 35 milliards d’euros, et annonce qu’elle sera opérationnelle au 1er janvier 2018. En revanche, l’étape suivante, concernant sa généralisation et une augmentation de montant, reste renvoyée aux arbitrages d’une conférence sociale. Une échéance qui pourrait dépasser la durée du quinquennat.

Ce qui se rapproche du revenu universel « idéal »

La revalorisation d’aides sociales (Benoît Hamon a proposé par ailleurs d’augmenter de 10 % tous les minima sociaux) et les compléments de revenus aux travailleurs modestes sont des marqueurs politiques de gauche classique. En quoi cette proposition est-elle nouvelle ?

  • Les intentions : l’objectif est de lutter efficacement contre la grande pauvreté et contre les inquiétudes pour l’avenir, en assurant à chaque Français qu’ils toucheront au moins 600 euros par mois, quelle que soit leur situation. En cela, on retrouve le « filet de sécurité » du revenu universel.

  • Le versement : il sera désormais « automatisé » et non soumis à des démarches administratives et des justificatifs qui constituent un frein important. Le taux de non-recours actuel au RSA (c’est-à-dire le nombre de personnes éligibles qui ne réclament pas leur droit) est estimé à 36 %.

  • Le nombre de personnes concernées : la France compte 5,4 millions de jeunes de 18 à 25 ans qui pourraient potentiellement prétendre à ce revenu universel. A cela s’ajoutent les 1,9 million de bénéficiaires du RSA actuel (qui pourraient avoisiner les 2,9 millions si le taux de recours atteignait automatiquement 100 %). Enfin, les mesures de complément de revenu s’adressent aux personnes gagnant moins de 1,9 fois le smic. Selon la répartition par centiles des revenus publiée par l’Insee en 2013, 67 % des salariés sont dans cette situation – et ce chiffre est sans doute sous-évalué car il considère les équivalents temps plein.

Ce qui manque encore à la définition

Certains défenseurs du revenu universel, comme l’économiste Jean-Eric Hyafil, cité par L’Obs, semblent déçus de cette proposition qui a été élaborée par Julia Cagé, conseillère économique de Benoît Hamon. En effet, même si les définitions de ce concept sont variables, plusieurs points essentiels restent incomplets :

  • les intentions : conçu comme un filet de sécurité face aux aléas de la vie, le RU est aussi présenté notamment par les libéraux, comme un instrument de liberté, permettant à chacun de travailler ou non, de refuser un emploi indigne, de vivre en couple ou seul avec un revenu minimum de subsistance, et de simplification du système d’aides actuel… Le système présenté actuellement par M. Hamon insiste surtout sur l’aspect redistributif, pour redonner du pouvoir d’achat ;

  • l’individualité : si le revenu universel ressemble au RSA ou à la prime d’activité, il risque d’être calculé en prenant en compte la situation familiale (couple, enfants) et les revenus du foyer, ce qui est contraire au principe de versement individuel ;

  • l’inconditionnalité : dans sa première étape, le RU reste versé sous conditions de ressources (à la place du RSA ou jusqu’à 1,9 smic), et non pas à tous les Français. En revanche, Benoît Hamon évoque un revenu universel pour les 18-25 ans « quel que soit leur statut ». Pour Antoine Stéphany, coordinateur du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), « il ne faut pas que ce soit une nouvelle prestation, mais un droit garanti que l’on peut cumuler avec d’autres revenus, et qui ne soit pas conditionné à des ressources ou à une recherche d’emploi » ;

  • le système de distribution : le revenu universel ne prendra pas la forme d’un chèque de 600 euros versé à chacun au début du mois, comme le prônent souvent ses premiers défenseurs, mais ne sera perçu que par ceux qui seront bénéficiaires nets. Dans Les Echos, Julia Cagé reprend un argument développé dans une tribune d’économistes en janvier : « Cela n’aurait pas de sens de donner à Liliane Bettancourt 600 euros pour lui reprendre de l’autre main par une hausse d’impôts » ;

  • le montant : Benoît Hamon avait fixé comme objectif un RU à 750 euros par mois « à terme ». Mais cette augmentation est désormais renvoyée à la décision d’une conférence sociale prise « en fonction de la trajectoire des finances publiques » ;

  • la généralisation à l’ensemble de la population française, au-delà des actifs, n’est pas évoquée. Ce sera l’enjeu central de la deuxième étape du projet Hamon. Elle pose la question du revenu des enfants (en remplacement ou complément des allocations familiales actuelles), mais surtout des personnes âgées et de l’articulation avec le régime des retraites.

Ce qui reste à préciser

Le revenu universel prôné de Benoît Hamon continue à susciter plusieurs questions, dont certaines pourraient trouver leur réponse lors de sa prestation télévisée :

  • le remplacement des aides actuelles : comment ce système s’articule-t-il avec la prime d’activité, qui est aujourd’hui réservée aux salariés gagnant moins de 1 500 euros par mois ? Remplacera-t-il d’autres allocations comme celle réservée aux chômeurs en fin de droits (prime transitoire de solidarité), aux demandeurs d’asile, aux personnes en réinsertion ? Quelle articulation avec les bourses d’études et les prestations familiales versées aux parents d’enfants majeurs ? Dans les phases ultérieures se posera aussi la question du remplacement des différentes allocations familiales et du minimum vieillesse, voire de la réforme du système de retraite ;

  • son coût : à quoi correspond le montant de 35 milliards d’euros ? Un chiffrage réalisé par l’Institut Montaigne estimait que la seule extension du RSA aux 18-25 ans, couplée à une augmentation à 600 euros, coûterait au moins 32 milliards d’euros, si l’on déduit les allocations familiales et avantages fiscaux. Cela ne prend pas en compte le volet complément d’activité. Avec un plafond d’environ 1 500 euros, la prime d’activité actuelle coûte déjà 3,9 milliards d’euros.

  • son financement : le candidat socialiste envisage plusieurs grandes réformes fiscales, comme l’individualisation de l’impôt, la fusion entre l’impôt sur le revenu et la cotisation sociale généralisée (CSG) avec des tranches plus progressives, la création d’un impôt unique sur le patrimoine, regroupant taxe foncière et impôt sur la fortune, la lutte contre l’évasion fiscale ou une taxe sur les robots, adossée non pas aux salaires mais à la valeur ajoutée des entreprises… Mais le détail de ces propositions n’a pas encore été dévoilé, il est donc difficile de chiffrer le montant qui sera dégagé afin de financer le revenu universel.