« C’est un cauchemar pour tout le monde. » Dans les couloirs du monumental stade du Camp Nou, Nasser Al-Khelaïfi n’a pas cherché à minimiser l’ampleur de la débâcle. Le président qatari du Paris-Saint-Germain a vainement tenté d’expliquer, mercredi 8 mars, la déroute historique (6-1) de son équipe, humiliée par le FC Barcelone et ainsi éliminée dès les huitièmes de finale retour de Ligue des champions. « On ne cherche pas d’excuses, a maugréé le quadragénaire aux commandes du club depuis son rachat, en 2011, par le fonds Qatar Sports Investments (QSI). C’est très difficile à accepter, mais on n’a pas le choix»

Catastrophe

Le regard du dirigeant laissait transparaître un sentiment mêlé d’incrédulité et d’abattement. Car cette défaite retentissante, en plus de constituer l’un des pires fiascos du football français, casse brutalement la dynamique créée par le succès héroïque (4-0) obtenu par le PSG face au Barça, le 14 février au Parc des Princes, lors de la manche aller. En netrant sur la pelouse du Camp Nou mercredi soir, les joueurs de l’entraîneur espagnol Unai Emery étaient donc, cette fois persuadés de quitter Barcelone la qualification en poche. A contrario, ils ont donné l’impression de se jeter eux-mêmes dans le piège tendu par les Catalans.

Au terme d’un match surréaliste, dans une ambiance indescriptible, l’équipe de la capitale n’a pas réussi à dompter sa bête noire, qui l’avait déjà éliminée en quarts de l’épreuve en 2013 et en 2015. Cette saison, l’écurie parisienne rétrograde donc d’un rang : elle échoue à figurer pour la cinquième fois d’affilée dans le top 8 européen. Une véritable catastrophe pour les dirigeants du club, dont l’objectif minimal était de se qualifier enfin pour les demi-finales de l’épreuve.

Mercredi soir le Camp Nou a été le théâtre du plus improbable retournement de situation de l’histoire du football européen. Avec cette impensable « remontada » (remontée), le Barça est devenu la première équipe du continent à se qualifier après avoir concédé une défaite 4-0 lors d’un match aller, signant ainsi un exploit mémorable. Grâce à leur redoutable trident offensif estampillé « MSN » (Messi, Suarez, Neymar), les Blaugrana ont offert un beau cadeau d’adieu à leur entraîneur Luis Enrique, qui a annoncé, le 1er mars, qu’il quitterait ses fonctions à la fin de la saison.

Les supporteurs du FC Barcelone lors de la victoire de leur équipe face au PSG à Camp Nou (Barcelone) le 8 mars. | ALBERT GEA LIPEVIC / REUTERS

Une défense au bord de la crise de nerfs

Asphyxiés, les Parisiens ont multiplié les erreurs défensives, concédant deux penalties et inscrivant un but contre leur camp par l’intermédiaire de Layvin Kurzawa. Dans l’enfer du Camp Nou, ils ont pourtant cru se tirer d’affaire lorsque leur avant-centre uruguayen Edinson Cavani a réduit la marque à 3-1, à l’heure de jeu, délivrant les 4 500 supporteurs parisiens parqués au sommet des travées vertigineuses. « J’ai alors parlé aux joueurs du Barça (contraints alors de marquer à trois reprises), ils m’ont dit que c’était fini », a ri jaune, après le match, Marco Verratti, le milieu italien du PSG.

Loin de jeter l’éponge, les quintuples vainqueurs de la compétition (en 1992, 2006, 2009, 2011 et 2015) ont essoré la défense adverse, au bord de la crise de nerfs. Galvanisés par 90 000 socios survoltés, ils ont inscrit trois buts dans les sept dernières minutes de la partie, transformant la cage du gardien parisien Kevin Trapp en passoire, le milieu Sergi Roberto offrant même la qualification de son équipe dans les ultimes secondes des arrêts de jeu.

« Dans le vestiaire, il y avait une ambiance d’enterrement, a confié, effondré, Thomas Meunier, l’arrière belge du PSG. On leur a donné le match avec des buts incroyables, limite insolites. C’est là qu’on voit qu’il manque encore un petit truc à Paris pour faire partie du groupe des Bayern ou Barça. »

Cette élimination met effectivement en relief le gouffre qui sépare actuellement quadruples champions de France en titre, pourtant dotés d’un budget pharaonique (560 millions d’euros annuels), des grandes équipes européennes comme le FC Barcelone, qualifié pour la dixième fois consécutive en quarts du tournoi. Par son scénario et sa charge émotionnelle, cet échec retentissant dépasse de très loin les quatre mésaventures consécutives vécues jusqu’alors, en quarts, par le PSG version qatarie.

La patience des Qataris

Ce naufrage en Catalogne pourrait bien, d’ailleurs, être l’échec de trop pour les dirigeants du club, ridiculisés par leurs homologues du Barça. Au point de mettre en péril leur projet sur la durée ou de remettre en cause leur stratégie, incarnée par le défenseur et capitaine brésilien Thiago Silva, naguère traumatisé par son revers (7-1) contre l’Allemagne en demi-finale du Mondial 2014 et incapable de remobiliser ses troupes dans le brasier du Camp Nou.

Depuis leur arrivée à Paris, les dignitaires de Doha n’ont pas hésité à investir massivement sur le marché des transferts, enrôlant à prix d’or des joueurs comme Edinson Cavani (contre la somme record de 64 millions d’euros en 2013), l’Argentin Angel Di Maria (contre 63 millions d’euros en 2015), ou plus récemment le champion du monde allemand Julian Draxler (contre 40 millions d’euros cet hiver). Tout cela pour des résultats insuffisants sur l’échiquier européen.

En avril 2016, la défaite (2-2/ 1-0) face à Manchester City, propriété du cheikh Mansour d’Abou Dhabi, avait déjà été ressenti comme « un coup de massue » par l’émir du Qatar, Tamim Al Thani, qui rêve de remporter la Ligue des champions avant d’accueillir le Mondial 2022 et a ainsi fait du ballon rond l’un des instruments de sa diplomatie sportive. Cette énième sortie de piste avait conduit Nasser Al-Khelaïfi à remplacer, à l’été 2016, son entraîneur Laurent Blanc par Unai Emery, 45 ans, qui venait de réaliser un triplé en Ligue Europa (en 2014, 2015, 2016) avec le FC Séville.

Censé briser le plafond de verre qui circonscrit actuellement les visées européennes du PSG, le technicien basque pourrait bien être la grande victime du naufrage de mercredi. Lui qui était censé faire oublier le départ pour Manchester United de la star suédoise Zlatan Ibrahimovic, longtemps porte-drapeau du projet de QSI (2012-2016), et effectuer les derniers réglages susceptibles de hisser le club au sommet du gotha européen. A défaut de corriger le tir, le technicien basque a paru impuissant. « Nous avons gâché une immense opportunité », a reconnu l’entraîneur, l’œil sombre, tout en déplorant les « décisions douteuses » de l’arbitre allemand Deniz Aytekin. « C’est un mauvais moment. Nous avons perdu une opportunité de grandir », a-t-il encore ajouté.

Unai Emery va devoir désormais conduire le PSG – deuxième au classement de Ligue 1, à trois points du leader monégasque –, vers un cinquième titre de champion de France. Et s’il y parvenait, conserverait-il encore du crédit aux yeux des décideurs qataris, dont la patience a ses limites ? Rien n’est moins sûr. « Unai Emery encore crédible ? a fait mine de s’interroger à haute voix Nasser Al-Khelaïfi. Ce n’est pas le moment pour en parler, on va se calmer. » Le printemps s’annonce périlleux pour le PSG et son entraîneur, plus que jamais menacé.