Lui n’en démord pas, il n’a rien à faire là. S’il a bien tué un homme, Damien Saboundjian refuse d’être « un assassin ». Devant la cour d’assises de Paris, jeudi 9 mars, le gardien de la paix de 37 ans a répété avoir « fait son travail ». Il occupe pourtant à nouveau la place de l’accusé, pour avoir abattu d’une balle dans le dos un fugitif, Amine Bentounsi, lors d’une course-poursuite à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), en 2012. Acquitté en première instance, il risque 20 ans de prison en appel.

« Incompréhensible » pour celui qui brandit la légitime défense comme seule explication possible à son geste. « Je n’ai pas rêvé ! », s’emporte-t-il, assurant encore et encore que le fuyard a bien pointé une arme sur lui. Un revolver chargé a d’ailleurs été retrouvé aux côtés de la victime effondrée au sol. « Je me suis défendu, j’ai tiré. » Ce que, ajoute le policier, la loi lui « permet ».

Sauf qu’une loi n’offre pas un blanc-seing, lui rappelle le président de la cour d’assises, Régis de Jorna : « Ce n’est pas un permis de tuer. » Rien d’anormal, donc, à ce que la justice lui demande des comptes pour avoir tué ce détenu, alors recherché pour s’être fait la belle à la faveur d’une permission, deux ans plus tôt. Les épaules athlétiques de l’accusé se crispent, ses mains s’agrippent à la barre. Il n’apprécie pas trop être « bombardé » de questions.

« Comme un sentiment de toute puissance »

Déjà, en 2012, Damien Saboundjian avait dénoncé « le ton » de l’enquête de la police des polices. Lecture est faite à l’audience des écoutes téléphoniques d’alors, où l’accusé critique les « questions à la con » de l’Inspection générale des services (IGS), investiguant sur la légitimité de son tir. « Savoir comment vous avez utilisé votre arme, c’est donc une ‘question à la con’, » le pique Régis de Jorna, avant de réexpliquer au policier les vertus d’une enquête.

D’autant qu’aucun témoin ne corrobore sa version. Pire, le seul qui affirmait avoir vu Amine Bentounsi le braquer, son coéquipier, a finalement avoué avoir menti. « Et alors ? » riposte Damien Saboundjian, refusant de « recevoir les pots cassés des bêtises » d’autres policiers. Quant aux témoins, « ils se trompent ». « Et donc on classe le dossier ? » lâche le président, un brin agacé. Le gardien de la paix s’agite à la barre. « C’est juste que ça m’énerve. C’est quand même moi qui sais le mieux ce que j’ai fait ! » Quid, alors, de la balle dans le dos ? La victime a pu se retourner avant qu’elle ne l’atteigne, se défend-t-il. Une hypothèse qui ne peut être formellement exclue ni par les experts balistiques, ni par les témoins.

Ecoute suivante. Saboundjian : « Non seulement ils ont touché à un flic, mais en plus à un syndicaliste. Le truc qu’il ne faut jamais faire. » La salle d’audience se fige. Car plus tôt dans les débats, des pressions syndicales sur les enquêteurs avaient été évoquées. Sans compter, à l’époque, les manifestations de policiers pour dénoncer les poursuites et l’instrumentalisation politique en pleine campagne d’entre-deux tours de la présidentielle, dans les derniers jours de l’ère Sarkozy.

Damien Saboundjian, lui, avait reçu un soutien inconditionnel de sa hiérarchie jusqu’à lui faire dire dans une dernière écoute : « Je claque des doigts et j’obtiens ce que je veux. » Le président de Jorna ose évoquer « comme un sentiment de toute puissance ».

« Vous êtes un meurtrier »

L’avocat général se lève. « On n’est pas là pour savoir si police et justice s’entendent bien mais pour juger Damien Saboundjian qui a tiré sur un homme qui est mort. » Un homme dont la cour a pris un court instant pour raconter, jeudi, la vie en pointillés entre deux incarcérations. Celle d’un délinquant multirécidiviste en cavale devenu, à 13 ans, le plus jeune détenu de France, et dont la vie s’est arrêtée avant sa trentième année.

Sa sœur a à peine le temps de prononcer quelques mots que le président l’interrompt promptement. « Ce n’est pas le procès de la police. » Difficile pour Amal Bentounsi, qui a fondé le collectif « Urgence notre police assassine » après la mort de son cadet, de ne pas pouvoir développer tout ce qu’elle voulait dénoncer. L’impunité policière. Le sentiment de ne pas compter. Elle craque.

Le président s’adoucit, et trouve les mots pour lui faire comprendre que son rôle, à cet instant, n’est pas de politiser son frère mais de le rendre vivant. « De faire en sorte qu’il ne soit pas juste quelqu’un qui est mort la face contre le trottoir. » Et la militante redevient grande sœur. Elle raconte qu’adolescente, elle le taquinait sur « les chansons beaufs » qu’il aimait tant. Puis elle a compris leurs sens. Comme « Hexagone » de Renaud, sa préférée. Sous ses longs cheveux noirs, son visage se durcit brusquement. Ses derniers mots, elle les réserve au policier accusé : « Vous êtes un meurtrier. » Lui détourne les yeux, avant d’asséner une dernière fois à la barre que « ce qu’[il dit], c’est la vérité. » La vérité judiciaire, elle, sera rendue vendredi.