Antonin Malchiodi

Depuis le début de la matinée, les grincements et bruits de ventilation résonnent dans l’atelier, une plate-forme de 3 000 m² ­située au cœur du campus de Bordeaux-Talence. Une blouse bleue sur leurs vêtements, Julie Delcan et Clément Dancausse Trehin sont concentrés sur une imposante machine, un tour à commande numérique.

Objectif de cette séance de travaux pratiques : réaliser en fabrication assistée sur ordinateur (FAO) une bague pour le système de freinage d’une Harley-Davidson. « On conçoit la pièce sur un logiciel et, avant de la réaliser, on simule la trajectoire des outils. Mais la transition entre le logiciel et la machine ne fonctionne pas, on cherche à comprendre pourquoi », expliquent en chœur ces étudiants de troisième année du bachelor de technologie des Arts et ­Métiers, créé à la rentrée 2014.

« Environ 10 % des candidats sont admis, à raison de 20 ou 25 par promotion »
Jean-Benoît Kopp, responsable du bachelor sur le site de Bordeaux

Destiné aux titulaires d’un bac Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable (STI2D), ce nouveau cursus délivre un diplôme de niveau bac + 3, ouvrant la voie à des postes d’encadrement intermédiaire dans l’industrie, tels que ­responsable d’une petite unité de production ou d’une équipe de maintenance. Outre ­Bordeaux, la formation est dispensée à Châlons-en-Champagne et, depuis la rentrée 2016, à Angers et Lille. Chaque site procède à son propre recrutement, sur dossier et entretien, par le biais du portail Admission postbac. « Environ 10 % des candidats sont admis, à raison de 20 ou 25 par promotion », indique Jean-Benoît Kopp, responsable du bachelor sur le site de Bordeaux.

Ces faibles effectifs permettent de « suivre les étudiants de près : c’est leur première année après le bac, rappelle Dominique Scaravetti, directeur adjoint du campus de Bordeaux. On leur montre où est la barre et on les recadre rapidement si besoin, en cas de retard ou d’absence non justifiés ». Chaque élève est en outre accompagné par un tuteur et des heures d’études obligatoires sont organisées après les cours, animées par des étudiants plus âgés, du bachelor ou du cursus ingénieur de l’école.

« Alternative à la prépa »

« J’ai senti le gouffre avec le lycée », témoigne Arthur Langlois, qui a décroché son bac STI2D avec une mention très bien « sans trop d’efforts ». « Le bachelor était une alternative à la prépa, trop théorique à mon goût. Mais, en arrivant ici, j’ai dû ravaler ma fierté et me mettre à travailler vraiment… », sourit le jeune homme, occupé pour l’heure à réaliser un support de smartphone personnalisé dans l’une des salles de conception assistée par ordinateur (CAO) de l’école. Passionné de « fabrication additive », terme technique pour désigner la fabrication par ajout de ­matière, l’étudiant achève son dessin sur logiciel avant de lancer l’impression 3D.

Outre les travaux pratiques et les cours théoriques, la pédagogie du bachelor se fonde largement sur des projets. « L’année dernière, on devait réaliser une invention de Gaston Lagaffe, raconte Eliott Dobozy, un étudiant de deuxième année. Avec mon groupe, on a mis au point un plieur et lanceur d’avions en papier. C’est motivant, car on s’amuse tout en apprenant quelque chose de technique et concret ! »

Si le diplôme est professionnalisant, la plupart des élèves ne comptent pas s’arrêter là : « Le bachelor me permet d’approfondir mes connaissances industrielles mais je vise plus haut : je voudrais devenir ingénieur », témoigne Camille Portier Bonnet, l’une des rares jeunes filles de la formation. Actuellement en contrat de professionnalisation chez EDF, elle pense déjà à « [se] détacher de la technique pour travailler en lean management[amélioration suivie avec implication du personnel], et compte sur ses stages pour l’aider à choisir un secteur ».« On a tous envie d’aller jusqu’au bac + 5 », renchérit Arthur Langlois.

Nouvelles ambitions

« Baigner dans l’école d’ingénieurs donne aux élèves des ambitions qu’ils n’auraient peut-être pas eues sans cela, mais tous n’auront pas le niveau dans les matières scientifiques pour intégrer le cursus d’ingénieur généraliste des Arts et Métiers », prévient Jean-Benoît Kopp. Plus accessibles à ce type de profils, les filières spécialisées par apprentissage leur sont aussi ouvertes, et rien ne les empêche de postuler à d’autres écoles. Intéressé par les machines et curieux de « comprendre leurs mécanismes », Tom Lopez envisage de candidater à l’INSA-Toulouse, l’Enseirb-Matméca de Bordeaux ou l’Ensma de Poitiers.

Est-ce à dire que le projet initial du bachelor de former des cadres intermédiaires se trouve dévoyé ? « Nous avons la chance de bien recruter », reconnaît Jean-Benoît Kopp. Pour autant, « du moment que la formation reste professionnalisante, [ils] jou[ent] le jeu auprès des entreprises », estime-t-il. Et de souligner que « [leurs] élèves alimentent d’ores et déjà l’industrie à travers les stages et les contrats de professionnalisation de troisième année qui permettent aux entreprises d’embaucher des personnes qualifiées, entre les techniciens et les ingénieurs ». Alors que la première promotion va être diplômée en juin, il faudra ­attendre deux ou trois ans pour voir si, en définitive, la majorité des élèves du bachelor vont poursuivre leurs études ou rejoindre le monde professionnel.