Les livres d’histoire pourront retenir au moins deux choses de l’année 2016 aux États-Unis. Le triomphe d’un candidat populiste à l’élection présidentielle et le fait que, jamais les Américains, dans leur ensemble, n’auront été aussi riches. Les tableaux trimestriels de la comptabilité nationale publiés jeudi 9 mars par la Réserve fédérale (Fed), la banque centrale américaine, indiquent en effet que le patrimoine des ménages a augmenté de 2,3 % pour atteindre le chiffre record de 92 805 milliards de dollars.

Pour obtenir ce chiffre, la Fed a additionné les sommes en liquide, les voitures, l’immobilier, et les actifs boursiers détenus par l’ensemble des Américains desquels on a retranché leurs dettes. Le patrimoine global a ainsi augmenté de deux tiers depuis la crise financière de 2008, au cours de laquelle il était tombé à 56 000 milliards.

Le record de 2016 tient pour l’essentiel à la hausse spectaculaire des cours des actions au dernier trimestre. Wall Street a ainsi progressé de 8 % entre le 8 novembre, date de l’élection de Donald Trump, et le 31 décembre. Sur les 2000 milliards de dollars de patrimoine qui se sont accumulés au cours des trois derniers mois de l’année, 36 % proviennent de l’envolée des marchés financiers, tandis que la hausse de l’immobilier représente 28 % de cette somme.

Les 1 % les plus riches détiennent 42 % de la richesse

Le problème de ces deux moteurs de la progression de la richesse est qu’ils ne tournent pas à la même vitesse pour tout le monde. À partir du moment où 80 % du marché boursier est détenu par les 10 % les plus riches, on constate que l’immense majorité des Américains sont passés à côté de cet enrichissement. Comme le montre l’étude annuelle réalisée par l’institut Gallup, 80 % des foyers qui gagnent plus de 75 000 dollars par an possèdent des actions. Sous les 30 000 dollars, le taux passe à 23 %.

Des études ont tenté de mesurer l’impact de ce que les économistes appellent l’« effet richesse » qui veut que, quand le patrimoine d’un agent économique augmente, celui-ci a tendance à plus dépenser. Ils sont arrivées à la conclusion que les Américains dépensent entre 3 et 5 cents pour chaque dollar supplémentaire accumulé. Mais la concentration du patrimoine au sommet de la pyramide est telle que cet « effet richesse » est aujourd’hui bien plus limité qu’il n’a pu l’être au cours des années 1950 et 1960. Selon les travaux d’Emmanuel Saez et de Gabriel Zucman de l’Université de Berkeley (Californie), les 1 % les plus riches aux États-Unis détenaient en 2012 (dernières statistiques disponibles) 42 % de la richesse du pays.

Par ailleurs, un article publié en décembre 2016 par les deux économistes et cosigné avec Thomas Piketty, montrait que plus de la moitié du patrimoine des 1 % les plus riches de la population provient de l’immobilier et de la Bourse. À l’autre bout du spectre, pour les 90 % les moins aisés, la proportion tombe à 20 %, dont l’essentiel est investi dans des fonds de pension en vue de leur retraite.

Creusement des inégalités

Illustration du creusement des inégalités : jamais l’écart entre le patrimoine des ménages et le revenu moyen n’a été aussi grand. Le premier est désormais 6,5 fois plus élevé que le second, un niveau supérieur à celui atteint au sommet de la bulle immobilière de 2007. Alors que le patrimoine global n’a cessé de progresser, les revenus, eux, ont quasiment fait du surplace.

C’est ce qui explique que l’essentiel des fruits de la reprise économique se soit concentré entre quelques mains. « De 1980 à 2014, le revenu moyen par adulte a augmenté de 61 % aux États-Unis, notent Saez, Zucman et Piketty. Cependant, le revenu moyen avant impôt des 50 % qui gagnent le moins a stagné autour de 16 000 dollars par adulte, après correction des effets de l’inflation ». En revanche, les revenus au sommet de la pyramide se sont littéralement envolés, augmentant de 121 % pour les 10 % les plus riches, de 205 % pour les 1 % les plus riches, et de 636 % pour les 0,001 % les plus riches.

Par ailleurs, en 1980 un adulte parmi les 1 % les plus riches gagnait 27 fois plus qu’un adulte appartenant aux 50 % les moins riches. Aujourd’hui le ratio est passé à 81. « Ce ratio de 1 à 81 est similaire à l’écart entre le revenu moyen aux États-Unis et le revenu moyen dans les pays les plus pauvres du monde, parmi lesquels la République démocratique du Congo, la République Centrafricaine et le Burundi », soulignent les économistes.

Les États-Unis n’ont donc jamais été aussi riches, mais, dans le même temps, la société américaine a rarement été aussi inégalitaire. C’est l’une des clefs de compréhension de l’élection d’un candidat populiste à la présidence. Le fait que, pour le moment, ce sont les plus riches qui en profitent, n’est pas le moindre des paradoxes.