Artur Mas, de Convergence démocratique de Catalogne, et Oriol Junqueras, de la Gauche républicaine de Catalogne, à Barcelone en septembre 2015. Le parquet accuse Convergence d’avoir perçu 6,6 millions d’argent détournés dans le cadre de « l’affaire Palau » | Manu Fernandez / AP

Les aveux distillés par plusieurs accusés durant les premiers jours du procès de « l’affaire Palau » ont fait l’effet d’une bombe chez les nationalistes catalans. Ils vont dans le sens d’un financement illégal du parti nationaliste Convergence démocratique de Catalogne (CDC), celui de l’ancien président catalan Jordi Pujol (1980-2003) et de son successeur à la tête de la région entre 2010 et 2015, Artur Mas, via des commissions prélevées sur les grands travaux publics réalisés dans la région.

Le procès tombe mal au moment où le président du gouvernement de Catalogne, Carles Puigdemont, lui aussi membre de CDC, veut lancer un référendum d’indépendance avant la fin du mois de septembre.

Depuis le 1er mars, le tribunal de Barcelone juge le vaste scandale de détournement de fonds du Palau de la Musica, le Palais de la musique. Durant des années, ce temple de la bourgeoisie catalane aurait été utilisé pour canaliser des pots-de-vin payés par l’entreprise de construction Ferrovial en échange de l’adjudication de travaux publics, sous forme de dons à l’institution, et les reverser ensuite à CDC. Seize accusés doivent ainsi répondre du détournement de 24 millions d’euros entre 1999 et 2009, dont 6,6 millions d’euros pour CDC, selon le parquet.

« Ferrovial me donnait l’argent et je le passais à Convergence »

Jeudi 9 mars, Jordi Montull, bras droit de l’ex-président du Palau, a non seulement reconnu qu’il donnait de l’argent en espèces à l’ancien trésorier de CDC, Daniel Osacar, – « dans une enveloppe, il la prenait, la comptait et s’en allait » –, mais, à la question du juge sur les raisons pour lesquelles les commissions sur les travaux publics sont passées de 3 % à 4 % au fil des années, il a aussi répondu, sans détour, « parce que Convergence voulait plus d’argent ».

S’il n’a pas impliqué de cadres du parti autres que les ex-trésoriers, il a reconnu avoir assisté à une réunion entre le président du Palau, Fèlix Millet, et des députés, dont Germa Gordo, bras droit d’Artur Mas devenu par la suite ministre catalan de la justice.

La veille, Fèlix Millet, 81 ans, avait lui aussi reconnu devant le tribunal que Ferrovial « faisait des dons [au Palau] pour que l’argent aille à Convergence en échange de l’adjudication de travaux publics ». « Ferrovial me donnait l’argent et je le passais à Convergence », a-t-il affirmé. Et de détailler la répartition du butin : « 2,5 % allaient pour CDC, 0,5 % pour Montull et 1 % pour moi. »

Le groupe de construction, qui a notamment construit la ligne 9 du métro de Barcelone ou la Cité de la justice catalane, a démenti les faits et soutient que les versements étaient destinés au parrainage d’une institution culturelle emblématique catalane.

« Pure invention »

Artur Mas, qui contrôlait Convergence depuis 2003, parviendra-t-il à en sortir indemne ? Il devrait comparaître devant la chambre pour donner des explications après les aveux de Fèlix Millet et de Jordi Montull. Il a qualifié leurs déclarations de « mensonges » et de « pure invention » visant à obtenir des remises de peine.

Mais il n’ira pas en tant que président de CDC. En juillet 2016, il a en effet créé le Parti démocrate européen catalan (PDECat), qu’il préside. Officiellement afin de refléter le nouveau chemin en faveur de l’indépendance pris par les anciens nationalistes modérés de CDC, parti toujours prompt à demander plus d’autonomie mais sans jamais sortir du cadre espagnol – jusqu’au virage radical pris en 2012 par Artur Mas. Surtout, PDECat permettait de se débarrasser au passage du sigle CDC, entaché de scandales de corruption et de financement illégal présumés, et d’anciennes figures de Convergence soupçonnées de malversation ou de fraude fiscale, comme Jordi Pujol lui-même.

Ce nouveau procès de corruption vient s’ajouter à une liste déjà longue dans le royaume. A commencer par l’affaire Gurtel, sur le financement illégal présumé du Parti populaire du premier ministre conservateur, Mariano Rajoy. Mais il est embarrassant pour la région, gouvernée en coalition par CDC et la gauche républicaine indépendantiste (ERC), alors qu’elle a prévu un référendum d’indépendance. Le leitmotiv des indépendantistes, « l’Espagne nous vole », en référence aux centaines de milliers d’euros d’impôts versés par les Catalans qui ne sont pas réinvestis pas dans la région, lui, en prend un coup.

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