La visite avait tout d’un pied de nez. Elle est en fait le fruit d’un calcul politique même plus caché. Après qu’Alain Juppé a définitivement renoncé à se présenter à l’élection présidentielle, lundi 6 mars, Emmanuel Macron s’est offert une visite de deux jours à Bordeaux. L’occasion pour le nouveau venu – même si le déplacement était prévu de longue date – d’envoyer des signaux aux électeurs de l’ancien premier ministre, déboussolés par l’abandon de leur champion mais aussi par les démêlés judiciaires de François Fillon.

Lors d’un meeting qui s’est tenu jeudi à Talence, ville limitrophe de Bordeaux dirigée par Alain Cazabonne, un maire MoDem récemment rallié, le candidat d’En marche ! a rendu un hommage appuyé à Alain Juppé, un « grand maire » et un « grand responsable politique français ». « Quand on a sa carrière, quand on a eu son engagement, reconnaître le besoin qu’a ce pays à la fois de renouvellement et (…) d’extrême probité, ce n’était pas facile et il l’a fait. Il y a très peu de gens qui sont capables de faire ça », a salué l’ex-ministre de l’économie. A l’inverse, il a sévèrement critiqué M. Fillon, qualifié de « triste candidat de la droite qui marie réactionnaires et opportunistes ».

Mesure totémique

Alain Juppé avait pourtant été sévère avec le candidat de 39 ans, pointant lors de sa déclaration de renonciation, prononcée lundi, son « immaturité politique » et la « faiblesse » de son programme. « Il m’a parfois fait des reproches, il a été jusqu’à me reprocher mon âge, a reconnu Emmanuel Macron, beau joueur. Mais ce n’est pas une maladie incurable, (…) il y a des moments dans la vie d’un pays où ça peut même être un atout, et pour ma part je n’en ai jamais fait un étendard. »

Accompagné d’Aurore Bergé, ex-responsable de la campagne numérique d’Alain Juppé lors de la primaire à droite, l’ancien membre du PS s’est attaché durant son meeting à rassurer l’électorat de centre droit sur ses intentions, alors que de plus en plus d’élus socialistes le rejoignent et pourraient laisser croire que son projet penche à gauche. « Je ne propose pas un revenu universel qu’on ne sait pas financer », a-t-il ainsi expliqué, en référence à la mesure phare de Benoît Hamon. De la même façon, il a appelé les chômeurs à la « responsabilité », rappelant qu’ils perdraient leur droit à être indemnisés s’ils refusaient deux offres d’emploi consécutives.

En matière de sécurité, M. Macron a également pris soin de cocher toutes les cases. « Tolérance zéro » vis-à-vis des délinquants, « laïcité exigeante » dans les espaces publics, refus de céder « à toutes celles et ceux qui au nom de la religion ne respectent plus les lois de la République »… Autant de phrases qui ne dépareilleraient pas dans la bouche d’un candidat de la droite. « Je ne céderai pas à tous ceux qui pensent qu’au nom d’une religion on peut interdire aux femmes de s’asseoir à une terrasse de café », a aussi lancé le candidat d’En marche ! sous les vivats des quelque 2 000 personnes.

Preuve qu’il trouve peu à peu son positionnement dans cette campagne, après avoir longtemps misé sur sa seule image, Emmanuel Macron a répété à de nombreuses reprises qu’il entendait être « le candidat des classes moyennes », avec lesquelles il dit vouloir « rebâtir un nouveau pacte ». Une manière de répondre à ceux qui l’accusent, lui, l’ancien banquier d’affaires de chez Rothschild, d’être le représentant de l’oligarchie financière et de ne penser qu’à défendre leurs intérêts. « On sait que c’est un angle d’attaque, que le Front national va l’utiliser jusqu’à plus soif. Il faut lui faire un sort avant les débats télévisés », estime un élu macroniste.

A écouter l’ancien ministre, c’est pour les classes moyennes qu’il propose justement de supprimer la taxe d’habitation de 80 % des foyers français. « C’est une mesure de justice (…) pour les classes moyennes françaises », a-t-il expliqué. La façon dont M. Macron a longuement détaillé la proposition, son financement, ses bénéficiaires, laisse à penser qu’il voudrait en faire sa mesure totémique, celle qui permettra de se distinguer et de faire la différence.Comme le revenu universel l’a permis pour Benoît Hamon lors de la primaire à gauche, ou la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires pour François Fillon à celle de la droite.