Durant un mois, la presse spécialisée s’est concentrée sur la Switch et un jeu en particulier, « Zelda ». | Jeux Vidéo Magazine

Articles à gogo dans les médias (dont Pixels) quinze jours avant son lancement, bouche-à-oreille incroyable de Zelda sur les réseaux sociaux, records de vente… Avec la Switch, lancée il y a une semaine dans le monde entier, Nintendo semble avoir renoué avec le succès médiatique que fut la Wii en son temps, en 2006. Pour cela, le constructeur japonais a mis toutes les chances de son côté.

Des articles synchronisés dans la presse

Cela peut ressembler à un détail autant juridique qu’absurde. Dans le contrat de confidentialité que Nintendo a soumis aux médias ayant eu accès à la Switch en amont, une clause précise que les journalistes s’engagent à ne pas publier leurs articles avant une certaine date et une certaine heure.

Jusque-là, rien d’original : la pratique du « NDA » (non-disclosure agreement, ou accord de confidentialité) est très largement répandue dans l’industrie du jeu vidéo et dans d’autres. Pour l’éditeur, elle permet de frapper un plus grand coup en envahissant les sites d’actualité au même moment, tout en évitant que ceux-ci se sentent floués par un concurrent publiant plus tôt.

Là où Nintendo a fait fort, c’est en imposant non pas une date mais quatre, selon le type et le thème précis de l’article. Concrètement : le 23 février pour les premières impressions sur la Switch et le 1er mars pour le test ; le 24 février pour les premières impressions sur The Legend of Zelda Breath of the Wild et le 2 mars pour le test.

C’est peu dire que cet embargo a largement contribué à donner de la visibilité à la console, en multipliant les articles consacrés à son lancement. Au lieu de choisir leur propre timing de publication, nombre de sites se sont calés sur l’heure de la tombée de l’embargo fixé par Nintendo – alors que rien n’interdisait de publier plus tard, et les conversations sur la Switch ont fleuri de manière quasi discontinue durant deux semaines les réseaux sociaux.

Un véritable teasing très largement entretenu sur les réseaux sociaux par les journalistes eux-mêmes, pris entre la hâte de livrer leur avis et un cadre contractuel décontenançant.

Des passe-droits pour les revues les plus connues

Le contrat soumis par Nintendo et signé par les médias interdisait de divulguer certains éléments clés de l’intrigue du Zelda et de publier le verdict définitif, mais pas de donner un avis. La société de communication de la compagnie japonaise ne se privait d’ailleurs pas pour retweeter les avis positifs plutôt que de leur faire la chasse, à l’image d’une référence à peine masquée de jeuxvidéo.com au second 20/20 de son histoire, attribué quelques jours plus tard à Breath of the Wild.

Certains médias ont toutefois publié plus tôt que les autres. C’est le cas de Famitsu au Japon et de Edge au Royaume-Uni, deux publications à la notoriété mondiale. Ces tests en exclusivité mondiale sont traditionnellement le fruit d’accords entre l’éditeur du jeu – qui s’engage à fournir en avant-première de quoi tester le jeu – et la revue elle-même, qui lui réserve sa couverture, et par voie de conséquence, un traitement important. « Cela nous est arrivé pour Watch Dogs, se souvient Arnaud de Keyser, rédacteur en chef de Jeux Vidéo Magazine. Ubisoft n’avait que très peu de builds [des versions non commerciales mais déjà testables] et de consoles équipées pour les lire, ils nous ont donc proposé l’avant-première mondiale. De notre côté, on a fait la couverture dessus, car on avait déjà joué à des versions preview [non-définitives] et on savait que c’était un très bon jeu. »

« EDGE » a été le premier magazine occidental à publier son test, avant l’embargo mondial, avec un 10/10 à la clé. Les autres médias lui ont emboîté le pas. | EDGE

En signant le test exclusif de Breath of the Wild, EDGE s’offre ainsi une belle publicité sur Internet. En pleine ébullition autour des notes de Zelda, Famitsu et Edge lui attribuent respectivement 40/40 et 10/10 – notes qui font le tour du Web. Elles annonçaient le début d’une moisson rarissime de notes maximales. Joint par Pixels, Nintendo n’a pas souhaité s’exprimer sur les notes auxquelles l’entreprise s’attendait.

Une mise en avant disproportionnée de « Zelda »

L’originalité du lancement de cet épisode, c’est aussi d’avoir complètement éclipsé les autres jeux de la console. C’est peu dire que Nintendo y a contribué. La veille de la sortie de la Nintendo Switch, les nombreux médias équipés depuis plus d’une semaine d’une console de prêt n’avaient toujours pas pu mettre sur la main sur le reste du catalogue de la Switch, pourtant riche de dix-huit jeux.

Alors que le dernier épisode en date de la saga Zelda est arrivé dans les rédactions dès la mi-février, il a fallu attendre le 3 mars pour que le constructeur japonais ne donne accès à 1-2 Switch, son autre jeu de lancement, et n’active le Nintendo eShop, permettant d’accéder à la quinzaine de titres supplémentaires exclusivement accessibles en téléchargement.

Résultat : vingt-quatre heures avant la sortie de la console, l’acheteur potentiel se retrouvait dans une configuration étrange, avec une avalanche mondiale de tests – dithyrambiques – pour Breath of the Wild et une absence quasi totale d’article sur le reste des titres. La déception 1-2 Switch, compilation de minijeux jugée globalement pauvre et lassante, est ainsi passée au second plan.

Nintendo avait déjà joué cette stratégie au printemps 2016, au moment du Salon mondial du jeu vidéo de l’E3 à Los Angeles : l’intégralité de son stand était réservée à Zelda. Une politique de communication qui a payé : avec 96 000 ventes en France sur son premier week-end (hors version Wii U), il est de loin le jeu le plus acheté de la Switch, avec un taux d’attachement de plus de 90 %, et même le jeu vidéo ayant connu le meilleur démarrage sur une console, d’un cheveu devant Wii Sports en 2006.