Le ministère de la justice, à Alger, en décembre 2015. | FAROUK BATICHE / AFP

Il ne fait pas bon être un jeune auteur trop téméraire en Algérie. Anouar Rahmani, étudiant en droit et romancier débutant, est en train de l’apprendre à ses dépens. A 25 ans, il fait l’objet d’une enquête pour atteinte à la religion, après la publication de son second roman, La Ville des ombres blanches. Diffusé sur Internet à l’été 2016 et écrit en arabe, le livre contient un chapitre dans lequel un enfant discute avec un SDF se faisant appeler « Dieu » et expliquant avoir créé le ciel à partir de chewing-gum. Le roman décrit aussi une relation amoureuse entre un combattant pour l’indépendance de l’Algérie et un colon français pendant la guerre.

Ces passages ont déplu, semble-t-il. L’auteur a été convoqué par la police judiciaire de Tipaza, à l’ouest d’Alger, le 27 février, et interrogé le lendemain pendant plusieurs heures. Selon l’étudiant, les policiers l’ont questionné sur le contenu du livre – « pourquoi avez-vous insulté Dieu ? » – et ses habitudes – « priez-vous ? » –, avant de lui faire signer un procès-verbal spécifiant qu’il faisait l’objet d’une enquête en vertu de l’article 144 bis du code pénal. Celui-ci punit de trois à cinq ans de prison quiconque « offense le Prophète » et « dénigre le dogme ou les préceptes de l’islam ».

Mercredi 8 mars, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a appelé la justice à abandonner l’enquête. « Il n’appartient pas à la police d’interroger des écrivains au sujet de leurs croyances religieuses », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique, dans un communiqué de l’organisation.

Raidissement conservateur

Le procureur doit prochainement décider s’il inculpe ou non Anouar Rahmani, mais l’affaire a déjà été relayée par les médias et sur les réseaux sociaux. Beaucoup font remarquer qu’une telle procédure pour une œuvre de fiction est très rare et alimente les inquiétudes d’un raidissement conservateur dans une société où la religion prend de plus en plus de place.

Interrogé par le site d’information Middle East Eye, Anouar Rahmani explique qu’il a déjà rencontré des problèmes pour avoir, sur son blog, défendu la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) et pris la défense des minorités religieuses – des critiques acerbes et des accusations de blasphème sur les réseaux sociaux, mais jamais d’ordre judiciaire. « Je voudrais dire à ma société que la différence n’est pas un crime », souligne le jeune homme à Middle East Eye.

HRW demande, de son côté, aux autorités algériennes d’abolir les « lois qui pénalisent la “diffamation” de la religion », rappelant qu’elles vont à l’encontre des conventions internationales sur les droits de l’homme, signées par l’Algérie, et de sa propre Constitution qui garantit la liberté de pensée et de conscience. L’ONG rappelle qu’en septembre 2016 la cour d’appel de Sétif (à l’est d’Alger) a condamné Slimane Bouhafs, un chrétien converti, à trois ans de prison pour des posts sur Facebook portant « atteinte à l’islam ».

Lire l’entretien avec la chercheuse Hannah Armstrong : « En Algérie, le Sud est devenu le foyer de la contestation »