Carte du tracé provisoire (en bleu) du sentier métropolitain du Grand Paris. En jaune : les lignes du furtur Grand Paris Express. | PAUL-HERVÉ LAVESSIÈRE

Pourquoi pas partir en voyage dans sa propre ville ? Après s’être donné rendez-vous de bon matin à la station de RER Versailles-Château-Rive-Gauche, la vingtaine de randonneurs réunis pour l’occasion s’est contentée d’effleurer l’arrière-train des bus touristiques dormant sur le parking, devant le château, avant de filer plein nord. Pendant deux jours, ils ont traversé les Yvelines, à pied. Dans leurs yeux : un paysage fragmenté et hétéroclite composé d’anciens territoires de la royauté, de parcs, de banlieues riches, mais aussi de cités, d’un échangeur autoroutier, de zones industrielles, de camps de nomades, etc.

Ces deux journées des 24 et 25 février intitulées « Grande Caravane 1 » ont marqué le lancement d’une série de marches exploratoires. Toute l’année 2017, des randonnées de ce tonneau vont se dérouler tous les mois, dans « le très grand Paris » au gré d’étapes, telles que Cergy-Saint-Denis, Saint-Denis-Créteil ou encore Evry-Massy, dont certaines seront ouvertes au public et pourront rassembler jusqu’à 100 personnes.

Ce sont là les fondations d’un chantier unique en son genre, porté par un collectif d’associations : la création du « sentier métropolitain du Grand Paris », soit un sentier de randonnée pédestre de 400 kilomètres, réalisable en vingt jours, qui reliera plus d’une centaine de communes et villes des petite et grande couronnes parisiennes. « Toute cette année de repérages va permettre de tester sur le terrain des hypothèses de tracé », explique Baptiste Lanaspèze, coordinateur du projet.

GR2013, le grand frère modèle

Fondateur des éditions Wildproject et éditeur de « Sentiers métropolitains », Baptiste Lanaspèze est à l’origine du tout premier chemin de grande randonnée en milieu urbain et périurbain en France : le GR2013 à Marseille. Réalisé à l’occasion de « Marseille, capitale européenne de la culture », il déroule 365 kilomètres autour de l’étang de Berre et du massif de l’Etoile, entre friches industrielles et zones urbaines. C’est le premier GR (sentier de grandes randonnées) balisé par la Fédération française de randonnée pédestre à l’échelle d’une métropole et explorant la ville en tant que telle, et non comme un obstacle à éviter, au milieu de la campagne. Comme un grand frère modèle, le GR2013 fait figure d’œuvre de référence pour tous les adeptes de la randonnée urbaine. Depuis, d’autres projets de sentiers métropolitains ont vu le jour, à Tunis, Avignon, Londres, Milan.

Sur la butte d’Orgemont, à Argenteuil (Val-d’Oise), vue sur la Défense, en novembre 2015. | JENS DENISSEN

S’il n’y a pas, en tant que tel, de sentier balisé à l’échelle de la métropole parisienne, plusieurs chemins existent déjà en Ile-de-France. Parmi les premiers GR créés, il faut citer le GR1, balisé en 1948 qui, partant de la porte Maillot, traverse le bois de Boulogne et passe par Auvers-sur-Oise, Crécy, Melun, Dourdan et Rambouillet, faisant ainsi le tour de la capitale en 531 kilomètres. Même s’il a depuis été « rattrapé » par plus d’un demi-siècle d’urbanisation galopante, cet itinéraire n’est pas considéré comme un sentier urbain.

Comme la majorité des GR en France, il a été conçu pour permettre aux randonneurs de s’échapper de la ville et de se rapprocher de la nature, en l’occurrence des forêts et des bois franciliens. « Les sentiers métropolitains, tels que le GR2013 ou le projet de sentier du Grand Paris, remarque Didier Babin, vice-président de la Fédération française de randonnée pédestre (FFR), témoignent de l’envie non plus de s’échapper de la ville, mais au contraire de mieux la connaître. » Une envie de plus en plus partagée. Au-delà des simples déplacements à pied, la pratique de la marche urbaine se répand. De multiples randonnées ou marches sont régulièrement organisées à Paris ou alentour, notamment par les associations Le voyage métropolitain, A travers Paris ou la FFR et ses fameuses « panamées » qui regroupent tous les mois des centaines de personnes dans les rues de Paris.

En 2014, dans le sillage du GR2013, une première tentative de construction d’un sentier métropolitain autour de Paris avait été démarrée par Baptiste Lanaspèze et le géographe-urbaniste Paul-Hervé Lavessière. Elle témoignait déjà de ce souhait d’emmener des randonneurs au-delà du périphérique, loin de l’hypercentre, à la découverte de la complexité de la métropole parisienne. D’une longueur de 130 km, ce sentier baptisé La Révolution de Paris déploie une vaste boucle parcourable en six jours, reliant Saint-Denis, Créteil et Versailles. Le tracé donna lieu à un voyage à pied, raconté dans un livre éponyme : La Révolution de Paris (Wildproject, février 2014).

Mais, selon leurs auteurs, ce tracé manquait d’ambition. « “La Révolution de Paris” était très centré sur la première couronne, explique Paul-Hervé Lavessière, coresponsable du tracé du sentier du Grand Paris. Il nous fallait aller plus loin, et notamment inclure les villes nouvelles. » Une manière de prendre en compte tout un pan de l’histoire de la capitale : sa politique d’aménagement du territoire et l’architecture constructiviste qui l’a accompagnée.

Capitale multipolaire

Dans sa conception même, le sentier métropolitain du Grand Paris entend donc attester de la transformation de la ville. « La ville contemporaine est devenue tellement dense et vaste, qu’on peine à s’y orienter, remarque l’urbaniste-paysagiste Jens Denissen, également coresponsable du sentier. S’y plonger, à pied, donne une possibilité de mieux l’appréhender. » Se proposant de dépasser la dichotomie entre la banlieue et le Paris des arrondissements, ce sentier a l’ambition de refléter l’image d’une capitale multipolaire plus conforme à l’idée que l’on peut se faire des grandes métropoles du XXIe siècle.

Il s’agit aussi tout simplement de prendre en compte le fait que, depuis le 1er janvier 2016, la capitale englobe officiellement les 131 communes de la nouvelle métropole du Grand Paris. Le tracé intègre donc cette échelle métropolitaine : traversant sept départements, il se déploie sous la forme de trois grandes boucles qui enchâssent le triangle de la petite couronne (Saint-Denis, Créteil, Versailles) dans celui des villes nouvelles (Cergy, Evry, Marne-la-Vallée). « On a cherché à obtenir la forme la plus optimisée pour voir la métropole sous toutes ses facettes : du patrimoine médiéval, du pavillonnaire années 1930, des zones industrielles, des villes nouvelles et aussi des espaces agricoles ou ruraux », plaide Paul-Hervé Lavessière. Les marches exploratoires organisées à partir de cette année serviront à affiner ces choix de tracé. « En montagne, les GR alternent des points de vue, des montées pas trop ardues, des passages en sous-bois. Ici, c’est pareil, il faut trouver le bon dosage entre les différents paysages et penser au confort du piéton », poursuit-il.

« La marche permet de voir les interstices de la ville. C’est aussi là que ça se joue »

Se définissant comme une plate-forme culturelle, le sentier métropolitain du Grand Paris entend enfin offrir à ses futurs utilisateurs l’occasion d’explorer des territoires méconnus ou délaissés, d’aller aux confins de l’aire urbaine. Pas seulement pour satisfaire un besoin d’exotisme mais parce que, selon Denis Moreau, artiste associé au projet et arpenteur du très grand Paris depuis plus de vingt ans, c’est aussi une façon de découvrir les coulisses de la fabrication de la ville. « Ce qui fait la métropole, ce sont les migrations, les mouvements de certaines populations exclues par le centre, dit-il. L’installation des camps de gens du voyage dans la plaine polluée de Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines, raconte par exemple beaucoup de la capitale. Or, la marche permet de voir ces interstices. C’est aussi là que ça se joue, la ville naît de ses marges. »

Après toute cette année de repérages et d’exploration viendra l’étape, la plus longue, de la création physique du chemin – le projet est soutenu financièrement par la région Ile-de-France, la Société du Grand Paris et la métropole du Grand Paris. « Un sentier, c’est une continuité juridique, et obtenir les autorisations de passages peut prendre beaucoup de temps », explique Baptiste Lanaspèze. Il espère que le balisage sera achevé en 2020.