Travaux de restauration au Louvre, en 2008. | Jorge Royan

« Quand ce bas-relief est arrivé à l’atelier, il était poussiéreux et présentait différents problèmes de structure. Ses armatures en bois ont joué avec le temps, une chute est aussi fort probable. » Charlotte Jimenez, 22 ans, étudiante en quatrième année à l’Institut national du patrimoine (INP), sur le site de l’ancienne manufacture des allumettes à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), a participé à la restauration de cette sculpture du dieu grec Hermès, une pièce du XIXe siècle, et a conçu un cadre pour éviter qu’elle ne se disloque.

Ce jeudi de janvier, avant son départ en Nouvelle-Zélande pour un stage de six mois, elle doit passer le relais à d’autres élèves, et résume donc son intervention et ses préconisations dans un dossier technique. « L’auteur n’est pas très connu mais il a concouru pour le prix de Rome. Ce serait dommage de laisser son travail de côté. Et c’est très motivant de rétablir la lisibilité d’une sculpture pour qu’elle puisse être exposée », assure-t-elle. L’habileté manuelle et la précision nécessaires ? « Une question de patience ! »

Sept spécialités

Donner une seconde vie aux œuvres, telle est la vocation des 80 élèves du master en restauration du patrimoine de l’INP.

Sélectionnés après le bac ou, le plus souvent, après une première formation supérieure à l’histoire de l’art ou aux métiers d’art, ils se répartissent en sept spécialités : arts du feu, textiles, graphiques, mobilier, peinture, photographie et sculpture. Dans tous les cas, gare aux confusions. Le restaurateur ne se substitue pas à l’artiste. Son rôle est d’assurer la transmission des œuvres aux générations futures, sans les refaire à neuf ni les réinterpréter. « On consolidera par exemple un tissu pour éviter qu’une déchirure ne s’agrandisse mais on gardera trace de l’accroc et autres marques du temps », précise Olivier Zeder, directeur des études du département.

« Pour comprendre comment les œuvres ont été fabriquées, il faut que les élèves apprivoisent par la pratique des techniques anciennes », explique Patricia Vergez, responsable de la spécialité « peinture »

Pour rester fidèles au projet et cerner le parcours de l’œuvre, les professionnels du patrimoine mènent ainsi un vrai travail d’enquête avant de se lancer dans la restauration proprement dite. Une démarche qui s’appuie sur un vaste panel de connaissances théoriques et pratiques, de l’esthétique à l’histoire en passant par la chimie, discipline essentielle pour repérer l’évolution des matériaux au fil du temps. « Pour comprendre comment les œuvres ont été fabriquées, il faut aussi que les élèves apprivoisent par la pratique des techniques anciennes », explique Patricia Vergez, responsable de la spécialité « peinture », en montrant des échantillons de différents styles copiés par des élèves.

Au fil des cinq années de formation, à raison de trente heures de cours par semaine, ils aiguisent aussi leur regard. Dans l’atelier de peinture, trois étudiantes de première année apprennent, par exemple, à dresser un constat d’état. Entre loupe binoculaire, radios et coupes réalisées par prélèvements, leur table a des allures de mini-laboratoire. Elles découvrent que le portrait examiné recouvre une autre image. « En fac de cinéma puis d’histoire de l’art, il me manquait ce contact avec la matière », glisse Lucie ­Cizeau, 21 ans. « Ici, on met au jour le travail de l’artiste et on entre dans une certaine intimité avec son univers », ajoute sa voisine, Margaux Rabiller, 22 ans.

Chantiers-écoles

Exit la créativité ? Non, puisque à partir des produits et des méthodes de restauration dont ils vont acquérir la maîtrise, il leur reviendra d’« élaborer une thérapie adéquate », comme le pointe Jane Echinard, adjointe au directeur des études : « Pour chaque situation, il faut s’adapter et innover, il arrive même que des restaurateurs créent un outil spécifique à la restauration d’une œuvre. »

Les élèves s’y entraînent deux jours par semaine en atelier, lors des chantiers-écoles sur des sites publics et lors de stages en France et à l’étranger. En cinquième année, ils prennent en charge la restauration d’une œuvre de A à Z.

Laura Bontemps, 26 ans, aimerait se tourner vers les objets issus de fouilles archéologiques, et a choisi de s’occuper d’une niche et d’un autel gallo-romains. « Il y a beaucoup de travail de montage, il fallait aussi retirer les anciennes restaurations, raconte-t-elle. Le mémoire est une période où l’on est décisionnaire et où l’on fait le lien entre les acteurs concernés. Cela nous prépare au marché de l’emploi ». La plupart des restaurateurs ont en effet un statut indépendant. Mais le master de l’INP leur ouvre le droit de travailler sur les collections publiques, d’où un panel de clients potentiels plus vaste. « Grâce au réseau qu’on les aide à constituer, le carnet de commandes se remplit assez vite », se réjouit Jane Echinard.

Où se former ?

L’INP recrute en master de restaurateur du patrimoine des profils polyvalents à travers six épreuves : commentaire d’images, sciences et dessin académique à l’écrit, suivis pour les admissibles d’une épreuve de copie, d’une autre d’habileté manuelle et d’un entretien. Rares sont les élus. Mais il existe trois autres formations, aussi très sélectives, qui permettent de travailler sur les collections des musées de France. Le master Conservation et restauration des biens culturels de Paris-I-Panthéon-Sorbonne est la plus ancienne. L’Ecole supérieure d’art d’Avignon et l’Ecole supérieure des beaux-arts de Tours accueillent également de futurs restaurateurs, mais dans un éventail de spécialités plus restreint. Dans tous ces cursus, l’inscription s’élève au tarif universitaire, soit quelques centaines d’euros.