Un portrait du président turc, Recep Tayyip Erdogan, sur une affiche en faveur de la réforme constitutionnelle, le 10 mars à Istanbul. | OZAN KOSE / AFP

Escalade verbale entre chefs d’Etat, ministres refoulés à la frontière, sanctions… La situation est très tendue entre la Turquie et plusieurs pays européens, notamment l’Allemagne et les Pays-Bas. Ces derniers ont interdit samedi 11 mars l’atterrissage du ministre turc des affaires étrangères et refoulé à la frontière la ministre de la famille, déclenchant la colère d’Ankara. Que se passe-t-il et pourquoi ? Réponse en trois points clés.

Une réforme constitutionnelle qui renforce les pouvoirs d’Erdogan

Présidentialisation du régime

Après le coup d’Etat raté en juillet 2016 et la violente répression qui s’est abattue sur la société (40 000 personnes emprisonnées, 125 000 fonctionnaires suspendus, des journalistes poursuivis…), le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a proposé une réforme constitutionnelle qui vise à renforcer ses pouvoirs. Concrètement, il s’agit de transférer au chef de l’Etat le pouvoir exécutif qui jusque-là appartenait au premier ministre, dont le poste disparaît – une première depuis la fondation de la Turquie moderne par Mustafa Kemal Atatürk, en 1923. Avec la nouvelle Constitution, le président aura le pouvoir de nommer ou limoger les ministres. Aux termes de la réforme constitutionnelle, M. Erdogan pourrait briguer deux nouveaux mandats et ainsi se maintenir au pouvoir jusqu’en 2029.

Intervention dans le système judiciaire

Elle comporte également un important volet judiciaire : alors que la Constitution actuelle, votée en 1982, garantit l’indépendance de la justice face à l’exécutif, la réforme prévoit que le président pourra intervenir directement dans le fonctionnement de la justice en nommant, avec le Parlement, des membres du Haut Conseil des juges et procureurs, chargés de nommer et de destituer le personnel du système judiciaire.

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Un référendum en avril et l’importance du vote des Turcs de l’étranger

Adoptée par le Parlement le 21 janvier, la réforme sera soumise à un référendum le 16 avril. Dans ce scrutin crucial, le vote des émigrés turcs aura un poids particulièrement important. « Trois ou quatre cent mille voix apportées des Turcs de l’étranger pourraient compter environ 1 point dans le vote. Surtout si la participation est plus faible en Turquie », affirme le politologue et universitaire turc Ahmet Insel.

Or la diaspora turque en Europe est importante : on compte en Allemagne environ 3 millions de Turcs, dont près de la moitié a le droit de vote (la plus importante communauté turque au monde hors de la Turquie) ; environ 650 000 en France (dont 320 000 inscrits sur les listes électorales) ; environ 400 000 aux Pays-Bas… Dès lors, la communauté turque à l’étranger devient une cible privilégiée pour chaque camp. Le gouvernement turc, très proactif, participe ainsi à des meetings de soutien à la réforme, organisés par l’AKP, parti de M. Erdogan.

Des rassemblements annulés, une ministre turque refoulée

La répression en cours en Turquie a considérablement refroidi les relations entre le pays et l’Union européenne, qui s’inquiète des violations des libertés publiques. Plusieurs pays se sont attaqués aux rassemblements pro-Erdogan prévus sur leur territoire :

  • Les Pays-Bas ont interdit l’atterrissage, samedi 11 mars, de l’avion du ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, alors qu’il allait se poser à Rotterdam pour un meeting de soutien. Quelques heures plus tard, la ministre de la famille, Fatma Betül Sayan Kaya, a été reconduite à la frontière avec l’Allemagne, qu’elle avait franchie en voiture. Le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a invoqué un risque à l’ordre public, déclarant que « ces rassemblements ne doivent pas contribuer à des tensions dans notre société ». M. Erdogan a accusé les Néerlandais d’être des « fascistes » influencés par les « vestiges du nazisme ».
  • En Autriche, un meeting électoral en présence d’un cadre du parti AKP a été interdit le 10 mars par la commune de Hörbranz au Vorarlberg (ouest du pays) en raison de « risques de trouble à l’ordre public ».
  • En Suède, un meeting en faveur de la réforme a été annulé après que le propriétaire de la salle de réunion a résilié le contrat de location sans explication, a annoncé l’agence de presse turque Dogan dimanche.
  • En Suisse, un meeting électoral présidé par un responsable du parti AKP a été interdit le 10 mars par la police du canton d’Argovie en raison d’un « risque de trouble à l’ordre public ».
  • Et en France ? Le ministre turc des affaires étrangères a pu se rendre samedi soir 11 mars à une réunion publique à Metz (Moselle), organisée par une association turque. Le ministère français des affaires étrangères a déclaré que le meeting ne présentait pas « de menaces à l’ordre public ».

La question des relations avec la Turquie divise les Européens eux-mêmes, notamment en raison de la gestion des migrants. Certains redoutent en effet que M. Erdogan n’applique plus l’accord sur les migrants signé en mars et ne contienne plus les flux de réfugiés qui tentent d’atteindre l’Europe. D’autre part, les dirigeants de l’UE craignent qu’en coupant les ponts avec la Turquie, le pays ne sombre dans la dictature.

Mise à jour le 12 mars à 12 h 15 : ajout d’interdictions de meetings en Autriche et en Suisse.