La police turque anti-émeutes positionnée autour du consulat néerlandais à Istanbul, le 11 mars. | YASIN AKGUL / AFP

La tension est encore vive dans la crise qui déchire la Turquie et les Pays-Bas autour de la campagne référendaire pro-Erdogan que le gouvernement turc veut mener en Europe. « Il est hors de question de présenter des excuses, ce sont eux qui devraient s’excuser pour ce qu’ils ont fait hier », a déclaré Mark Rutte, le premier ministre néerlandais, dimanche 12 mars.

La veille, son gouvernement avait empêché la venue du ministre turc des affaires étrangères, Mevlüt Çavusoglu, en interdisant à son avion de se poser à Rotterdam. Un peu plus tard, la ministre de la famille, Fatma Betül Sayan Kaya, arrivée par la route depuis l’Allemagne, était empêchée de pénétrer dans l’enceinte du consulat turc de Rotterdam, puis reconduite sous bonne garde à la frontière.

« Ils devront en payer le prix », a menacé, dimanche, le président turc Recep Tayyip Erdogan. Intervenant à Istanbul dans le cadre d’une conférence intitulée « La bienveillance sauvera le monde », le numéro un turc s’est livré à sa comparaison historique favorite : « Je pensais que le nazisme était mort, j’avais tort. Le nazisme est encore très répandu en Occident. L’Occident a montré son vrai visage. »

Les ministres refoulés comptaient mener campagne en vue du référendum du 16 avril sur le renforcement des pouvoirs du président Erdogan. Ankara fulmine, mais la polémique qui a surgi autour de l’organisation de ces meetings fait le jeu du président turc, prompt à galvaniser son électorat contre des Occidentaux accusés de tous les maux.

Samedi, Mevlüt Çavusoglu était bien décidé à s’adresser aux partisans du oui au référendum depuis le balcon de la résidence du consul général de Turquie à Rotterdam, quand bien même le maire de la ville portuaire, le social-démocrate Ahmed Aboutaleb, avait prévenu qu’aucun rassemblement ne serait toléré.

Samedi après midi, M. Rutte a fait savoir, sur sa page Facebook, qu’il s’opposait à la visite du ministre turc des affaires étrangères. A l’approche des élections législatives de mercredi 15 mars, où le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders, islamophobe et xénophobe, devrait engranger des voix, les autorités néerlandaises ne voulaient pas risquer des troubles à l’ordre public.

Canons à eau

Toute faiblesse de M. Rutte aurait profité à M. Wilders, son principal adversaire pour le scrutin de mercredi. Celui-ci a quitté le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD, libéral) du premier ministre en 2004, quand cette formation a approuvé le principe d’une éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Deux ans plus tard, il a fondé le PVV. Et s’il cible prioritairement les Marocains, le député xénophobe inclut les quelque 400 000 citoyens d’origine turque vivant aux Pays-Bas dans ses attaques contre les immigrés.

Mais samedi en fin de journée, des centaines de manifestants se sont malgré tout rassemblés devant le consulat de Turquie. Après une charge de la police, qui a utilisé des canons à eau, des matraques et des chiens, sept personnes ont été blessées, douze ont été appréhendées.

Dimanche, alors que la polémique faisait rage, les autorités turques ont fait fermer, « pour raisons de sécurité », l’ambassade des Pays-Bas à Ankara et le consulat à Istanbul, devant lesquels des centaines de manifestants pro-Erdogan se sont rassemblés. Sur l’avenue Istiklal, à Istanbul, un homme est monté sur le toit du consulat pour remplacer pour quelques minutes le drapeau néerlandais par un drapeau turc.

Persona non grata aux Pays-Bas, le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Çavusoglu a en revanche été autorisé, dimanche, à mener un meeting pour le oui à Metz, en Moselle, dans l’est de la France. Intervenant devant quelques centaines de partisans, il s’en est pris à nouveau aux Pays-Bas, qualifiés de « capitale du fascisme ».

Devant le consulat turc à Rotterdam, le 12 mars. | JOHN THYS / AFP

L’épisode menace de dégénérer en crise ouverte avec l’Union européenne. Alors que plusieurs meetings avaient déjà été annulés par des municipalités en Allemagne, quatre rassemblements ont été interdits en Autriche, un autre en Suisse. Dimanche, le premier ministre danois, Lars Lokke Rasmussen, a suggéré à son homologue turc, Binali Yildirim, de reporter sa visite au Danemark, prévue pour le 20 mars, citant « l’escalade » entre Ankara et les Pays-Bas.

En Allemagne, où le gouvernement s’était jusque-là efforcé de ne pas attiser les tensions avec Ankara malgré les propos de M. Erdogan accusant le pays de « pratiques nazies », le ton est monté ce week-end. « La campagne électorale turque n’a rien à faire ici », a ainsi déclaré Thomas de Maizière, le ministre allemand de l’intérieur, sur la chaîne de télévision publique ARD. « Il y a des limites, et celles-ci sont bien définies dans le code pénal. Celui qui insulte l’Allemagne ou son ordre constitutionnel enfreint la loi. Et là se trouve la limite », a-t-il expliqué, allant jusqu’à évoquer la possibilité d’une « interdiction » de principe de ce type de meetings, hypothèse jusqu’alors rejetée par Berlin.

Le silence de Merkel

Au sein du gouvernement allemand, M. de Maizière n’est pas le seul à s’être prononcé pour une plus grande fermeté vis-à-vis d’Ankara. « Les responsables turcs ont anéanti les bases nécessaires à toute coopération », a ainsi déclaré Wolfgang Schäuble, le ministre des finances, interrogé par la chaîne télévisée ZDF sur le sort du correspondant germano-turc du quotidien Die Welt, incarcéré depuis mi-février en Turquie pour « propagande terroriste ».

Pressée par deux de ses principaux ministres, membres de son propre parti politique, mais également par ses alliés conservateurs bavarois de la CSU ainsi que par les écologistes et le parti de gauche radicale Die Linke, la chancelière, Angela Merkel, est restée silencieuse, ce week-end, au sujet de la Turquie. Une prudence qui s’explique par son souci, déjà exprimé par le passé, de ne pas attiser les tensions internes à l’importante communauté turque vivant en Allemagne.

Une prudence qui tient aussi à l’état de l’opinion publique. Selon un sondage réalisé par l’institut Emnid pour l’édition dominicale du quotidien Bild, 62 % des Allemands estiment que le gouvernement ne doit pas répondre par la surenchère aux provocations d’Ankara, tandis que seulement 29 % se disent favorables à l’interdiction de la venue outre-Rhin de ministres turcs.