Autour d’une carte, des habitants de Hambourg discutent des capacités d’accueil de migrants dans leur ville. | Walter Schießwohl

Comment faire face à un afflux massif de réfugiés ? Comment éviter qu’ils ne dorment dans la rue ? Et comment faire en sorte que tous les quartiers de la ville, riches comme populaires, prennent leur part dans leur accueil ? Tel est le triple défi qu’a relevé en 2016 Hambourg, deuxième plus grande ville d’Allemagne avec 1,7 million d’habitants. Inédit, le processus pour loger pas moins de 50 000 migrants arrivés cette année-là est passé par une consultation des Hambourgeois, dont l’obsession était de tout faire pour éviter les quartiers ghettos des banlieues françaises, véritable image repoussoir dans leur esprit.

Si le flux s’est aujourd’hui un peu tari, pas moins de 400 réfugiés - Syriens, Irakiens, Iraniens, Afghans en majorité -, quand ce n’était pas 1 000, arrivaient chaque jour dans la ville, fin 2015 et début 2016. Or, à l’époque, la métropole portuaire n’était en mesure d’abriter qu’une vingtaine de milliers de personnes dans ses centres d’accueil d’urgence, et ne pouvait offrir un logement décent qu’à 16 500 d’entre elles. « Il fallait à tout prix éviter que les migrants dorment dehors », se souvient avec effroi Anselm Sprandel, directeur de l’Unité de coordination centrale des réfugiés (ZKF). Telle était la volonté générale.

Pour accroître rapidement ses capacités d’accueil, la municipalité s’est lancée dans la construction de grands édifices, à même d’accueillir 2 500 migrants. Mais, en janvier 2016, la construction imminente d’un tel immeuble dans le quartier de Rissen (nord de Hambourg) a suscité une levée de bouclier de riverains, prêts à provoquer l’organisation d’un référendum d’initiative populaire - possible en Allemagne au niveau des communes et des Länder - pour demander de limiter à 300 le nombre de réfugiés au sein d’un même groupe d’immeubles.

Couper court à un engrenage malsain

« Avec l’arrivée massive de migrants que nous connaissions alors, le oui à ce référendum l’aurait emporté et nous aurait posé un sérieux problème, observe Anselm Sprandel. L’équipe municipale a voulu couper court à cet engrenage malsain et a préféré signer un accord avec le mouvement de citoyens. Par cet accord, nous nous engagions à diminuer la taille des immeubles accueillant des migrants. En parallèle, nous avons demandé aux citoyens de nous aider à trouver, dans les sept districts de la ville, des lieux pour loger les migrants. »

Début 2016, le bourgmestre (social-démocrate, SPD), Olaf Scholtz, se tourne alors vers le laboratoire des sciences de la ville de l’Université HafenCity, qui avait conçu une plate-forme numérique modélisant la ville en vue de réaliser un village olympique. Hambourg projetait d’être candidate à l’organisation des Jeux de l’été 2024. Mais, dans le contexte émotionnel suscité par l’afflux massif de migrants, le maire a perdu, le 29 novembre 2015, le référendum sur cette candidature. A la demande de M. Scholtz, l’outil numérique a aidé les citoyens à identifier à travers la ville des sites où loger les réfugiés.

Répartir les migrants à charge égale entre quartiers

Entre le 26 mai et le 15 juillet 2016, trente-quatre ateliers d’une vingtaine de citoyens chacun ont été organisés dans les locaux de l’université. Citoyens d’un même district, les volontaires se sont rassemblés autour d’une première grande table sur laquelle était projetée une carte de la ville. Elle mettait en évidence les lieux où se trouvaient déjà des centres pour réfugiés, mais également les sites vacants : en jaune, les terrains les plus appropriés ; en orange, les zones soumises à des restrictions (pollution sonore, risques d’inondations, conservation) ; en rouge, les lieux inconstructibles.

« Cette carte a permis d’avoir une vue d’ensemble de la ville et de la répartition des logements déjà existants pour réfugiés entre les 7 districts. Sur cette carte, les participants devaient choisir un quartier. Or, une des préoccupations de la municipalité était de répartir, à charge égale entre les districts, les migrants », explique le chercheur Tobias Holtz, un des animateurs de ces ateliers.

Carte numérique d’une partie de Hambourg mettant en évidence les centres d’accueil déjà existants, et les sites vacants les plus appropriés pour y construire de nouveaux hébergements pour les réfugiés. | Walter Schießwohl

Les participants étaient ensuite invités à se déplacer autour d’une seconde table formée de petits carreaux, sur laquelle était projetée la carte détaillée du quartier sur lequel ils souhaitaient réfléchir. Les petits carreaux pouvaient alors être enlevés et remplacés par un bloc de Lego, de couleur et taille différentes selon le nombre de places d’hébergement souhaité (40, 60, 100, 120, 150 jusqu’à 1 200 places). Sur un écran, apparaissaient les informations pertinentes sur cette parcelle (statut public ou privé des bâtiments, dimensions, usage actuel, état, situation en termes de bruit, d’accès, restrictions environnementales, culturelles, etc.).

S’engageait alors la discussion sur les différents sites suggérés - un parking, un espace entre deux immeubles, un jardin public - et la faisabilité de leur aménagement. « Les gens connaissent bien leur quartier, ils étaient à même de faire des suggestions rationnelles, comme par exemple proposer la construction d’un bâtiment dans l’enceinte d’un petit square de jeux pour enfants, déserté par les familles et ne servant plus qu’aux chiens », souligne Anselm Sprandel.

Un processus transparent

Au total, 161 sites ont été proposés par les citoyens, dont 44 ont été retenus par la municipalité pour être étudiés et discutés avec les élus de chacun des districts. Au final, 8 d’entre eux se sont révélés propres à un aménagement. « Souvent, dans les démarches participatives, les citoyens ne savent pas ce que deviennent leurs propositions. Là, tout le processus est transparent : ils peuvent connaître les raisons - environnementales, réglementaires ou de sécurité - qui ont conduit à écarter des sites et connaître l’état d’avancement des lieux jugés aménageables », souligne Tobias Holtz, dont le laboratoire est chargé de la mise à jour quotidienne du site internet dédié.

Qu’ils résultent des ateliers participatifs ou de projets antérieurs de la municipalité, tous les aménagements pour réfugiés font l’objet de réunions d’information dans le district concerné. Ce qui peut parfois amener à complètement rebattre les cartes.

Dans le très chic quartier central d’Eppendorf, où l’on ne circule qu’entre espaces verts, superbes maisons et immeubles bas, la proposition faite lors d’un atelier de prévoir, sur une parcelle du parc Seelemann, un logement pour 88 réfugiés, ne serait-ce que durant trois ans, a suscité un tollé du voisinage immédiat, plainte d’avocat à l’appui : « toucher » ne fusse qu’à une petite partie de ce parc classé est inconcevable aux yeux des riverains. En guise de compromis, d’autres résidents du quartier ont proposé que soit érigé, à trois blocs de là, un bâtiment de trois étages pour une centaine de migrants, sur un terrain de sport peu utilisé sur la Loogestrasse. Une alternative que la municipalité étudie.

« Réagir très vite devant les peurs »

La suggestion initiale du parc Seelemann a eu l’effet d’un chiffon rouge dans ce quartier, explique Gesa Panch, une de ses résidentes : « Les habitants ont craint une dépréciation de leur quartier et de leur propriété, et ils ne se voyaient pas côtoyer, dans leur environnement immédiat, des gens moins aisés. Si le terrain de sport sur la Loogestrasse ne semble pas, pour le moment, susciter de franche opposition, c’est probablement parce que les gens comprennent maintenant qu’il faut bien trouver un site dans le quartier ». Gesa Panch salue la démarche participative de la ville mais aurait souhaité davantage de temps pour les ateliers. Elle regrette aussi que seuls les « gens bien informés et motivés » y aient participé. « C’est un bon début tout de même », assure-t-elle.

« Organiser des réunions d’information en amont de la réalisation d’un projet permet d’en tester l’acceptation, de laisser aux citoyens la possibilité d’influer sur les modalités de sa réalisation, et de créer les meilleures conditions possibles pour l’intégration à long terme des nouveaux arrivants, souligne le directeur de ZKF, Anselm Sprandel. Cette concertation approfondie a pu être menée parce qu’aujourd’hui, la pression est moins forte qu’elle n’était fin 2015. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut réagir très vite lorsque les gens expriment des peurs. Et même sous la pression, il faut communiquer. »

Dans le quartier non moins huppé de Harvestehude, l’installation de 187 migrants dans un ancien bâtiment public désaffecté puis réhabilité a, elle aussi, suscité de vives inquiétudes mais l’installation a pu se faire à l’issue des réunions. Quand les réfugiés sont arrivés dans le quartier, les habitants ont changé d’attitude : ils ont aidé les mignants à s’installer, leur ont prêté main forte dans leurs démarches administratives ou leur ont appris l’allemand. « Dans ce quartier, on compte aujourd’hui un bénévole par famille réfugiée, c’est incroyable, se félicite Fouad Hamdan du ZKF. Il s’est créé à Hambourg depuis un an une centaine de petites ONG locales pour accompagner les migrants. Celle de Harvestehude est l’une des plus importantes et des plus actives. »

Aujourd’hui, aucun des migrants présents dans la ville ne dort dans la rue. Si 7 450 d’entre eux demeurent dans des centres d’accueil d’urgence, 25 200 sont pleinement engagés dans un processus d’intégration et bénéficient d’un logement encore sommaire mais individuel. Et 7 350 autres sont logés dans des appartments.