Plusieurs fois reporté, le procès des vingt-cinq militants sahraouis accusés d’avoir assassiné des membres des forces de l’ordre marocaines, en 2010 au Sahara occidental, s’est ouvert lundi 13 mars devant la cour d’appel de Salé, près de Rabat. Condamnés en 2013 par un tribunal militaire à de lourdes peines, les prévenus espèrent que cette nouvelle procédure leur permettra de se faire entendre. Ce procès à rebondissements, très médiatisé, est devenu emblématique du conflit au Sahara occidental.

Les faits remontent au 8 novembre 2010 : les forces de l’ordre marocaines interviennent pour démanteler un camp de protestation sahraoui, à Gdeim Izik. Situé à 12 kilomètres d’El-Ayoun, la ville principale du Sahara occidental annexé par le Maroc en 1975, celui-ci avait été édifié un mois plus tôt dans le désert pour protester contre les mauvaises conditions socio-économiques, et avait compté jusqu’à 15 000 personnes. Les affrontements ayant accompagné l’évacuation avaient été les plus graves depuis le cessez-le-feu de 1991 : onze membres des forces de l’ordre et deux civils furent tués.

« Graves irrégularités »

Arrêtés en 2010, les vingt-cinq militants sahraouis, dont Naâma Asfari, figure du droit à l’autodétermination, ont été condamnés par un tribunal militaire en 2013 : deux d’entre eux à deux ans d’emprisonnement, les vingt-trois autres à des peines allant de vingt ans à la perpétuité. Les accusés, leurs proches et plusieurs associations internationales de défense des droits de l’homme avaient à l’époque dénoncé « de graves irrégularités » dans la procédure, estimant notamment que les aveux des prévenus avaient été extorqués par la force.

En 2015, le Maroc adopte une réforme de sa justice militaire : ses tribunaux ne pourront plus juger des civils en temps de paix. En juillet 2016, la Cour de cassation annule la condamnation des vingt-cinq Sahraouis et ordonne la tenue d’un nouveau procès devant une juridiction civile. L’audience qui a débuté lundi est la quatrième depuis juillet 2016 : elle s’est ouverte, comme les autres, dans une ambiance houleuse, les slogans pour les droits du peuple sahraoui répondant aux accusations d’assassinat émises par les proches des victimes.

Cette fois, les défenseurs des vingt-cinq militants, dont l’un est en fuite, sont arrivés avec un nouvel argumentaire. Ils demandent à ce que soit appliqué le droit international humanitaire, avançant que le Sahara occidental est un « territoire occupé, annexé illégalement par le Maroc depuis 1975 », et que s’appliquent donc les conventions de Genève, ratifiées par le Maroc. « Concrètement, explique Me Olfa Ouled, l’une des avocates de la défense, cela veut dire que le procès devrait se tenir en territoire occupé [au Sahara occidental], et que les prévenus devraient y être détenus. »

Sous la torture

La défense exige aussi que les procès-verbaux des accusés soient écartés au motif qu’ils ont été obtenus sous la torture. A l’appui de leur requête : la condamnation du Maroc, mi-décembre 2016, par le comité de l’ONU contre la torture – dont Rabat est membre – dans le cadre d’une plainte déposée au nom de Naâma Asfari par l’association de défense des droits de l’homme ACAT France et le cabinet Ancile Avocats. Reconnaissant les tortures subies par M. Asfari, le comité onusien appelle les autorités marocaines à mener une enquête, à indemniser la victime et à s’abstenir de tout acte d’intimidation envers le plaignant et sa famille. Une telle décision, inédite, n’est toutefois pas contraignante.

Depuis décembre 2016, date fixée pour le début du nouveau procès, les audiences ont été ajournées, chacune donnant lieu à des passes d’armes entre les deux parties, dont des avocats étrangers. Les conseils des accusés dénoncent des entraves systématiques au droit de la défense : « Dès que l’on prononce le mot “torture” ou “territoire occupé”, on est systématiquement interrompu, empêché de parler », explique à titre d’exemple Me Joseph Breham.

Rabat et l’accusation défendent, eux, les conditions du procès, et insistent sur le lourd bilan des événements de 2010 : onze policiers tués. Yves Repiquet, ancien bâtonnier de Paris et défenseur du royaume, a signé début mars, avec Emmanuel Tawil, avocat au barreau de Paris, une tribune intitulée « N’oublions pas les victimes de Gdeim Izik ». Il y salue la justice marocaine, qui, « en autorisant les familles à se porter partie civile, leur permet d’avoir accès à un procès équitable, en présence d’observateurs internationaux », ajoutant : « Il est indigne d’utiliser ce procès comme une arène politique. »

Le procès est devenu emblématique du conflit au Sahara occidental entre le Maroc, qui revendique la souveraineté sur ce territoire qu’il contrôle à 80 %, et les indépendantistes du Front Polisario qui réclame un référendum d’autodétermination. Rabat consacre beaucoup d’énergie à apparaître comme un acteur respectueux du droit international, en multipliant par exemple les initiatives de lutte contre la torture, mais « le Sahara occidental reste une ligne rouge », souligne Hélène Legeay, de l’ACAT. Du côté des Sahraouis, on dénonce une répression systématique des militants et de leurs familles.