Deux jours après la présentation, en Allemagne, d’un projet de loi qui instaurerait d’importantes amendes pour les réseaux sociaux qui ne modéreraient pas assez rapidement les messages incitant à la haine, des représentants de ces entreprises étaient convoqués devant une commission du Parlement britannique sur le sujet des messages haineux en ligne. Très tendus, les échanges ont tourné au procès de YouTube, Facebook et Twitter, accusés par un député de « prostitution ».

Pendant environ trois heures, les députés de la commission ont confronté des représentants de Facebook, Twitter et YouTube à des messages ou à des groupes néonazis, faisant de l’incitation à la haine ou menaçant des personnalités, pour leur demander pourquoi ces contenus étaient toujours en ligne. Les députés avaient transmis au préalable aux trois réseaux sociaux des exemples de messages jugés litigieux ; la majeure partie avait été supprimée, et les représentants des trois réseaux sociaux ont pu expliquer pourquoi les messages restants avaient été jugés publiables.

Mais lorsque la présidente du comité, Yvette Cooper (Parti travailliste), a demandé au représentant de Twitter pourquoi une série de tweets comportant des menaces de mort qu’elle avait signalés à partir d’un compte personnel étaient toujours en ligne, les réponses se sont faites plus évasives. L’un de ces messages appelait à « mettre une balle dans la tête de cette salope allemande [Angela Merkel] ». « Pour être honnête, je ne trouve aucune de vos réponses très convaincantes », a conclu Mme Cooper.

Les représentants en difficulté

Les représentants des trois réseaux sociaux ont été mis en difficulté à plusieurs reprises, durant l’audition, par les députés britanniques. Peter Barron, l’un des vice-présidents de Google, a dû reconnaître au terme d’un vif débat que son entreprise pouvait, dans certaines conditions, gagner de l’argent en hébergeant des vidéos haineuses. « Vous faites de l’argent avec des personnes dont le cœur de métier est la haine (…) et vous êtes loin de travailler aussi dur que vous le devriez sur ce problème », lui a rétorqué le député travailliste Chuka Umunna.

Avec des stratégies différentes, les trois réseaux sociaux ont répliqué avec des arguments similaires. Arguant notamment que le contexte dans lequel des messages sont publiés est important, et qu’ils se refusaient à censurer des propos injurieux ou menaçants lorsque l’intention de l’auteur était de dénoncer ces propos, et l’importance d’avoir un débat libre et public y compris sur les sujets les plus controversés. « Nous n’arriverons jamais au point où il n’y a aucun contenu offensant sur Internet », a prévenu Nick Pickles, de Twitter. Interrogé sur l’existence d’une page intitulée « Interdisons l’islam », le représentant de Facebook, Simon Milner, a expliqué que « ces pages en tant que telles ne sont pas contraires à nos règles, parce que vous avez le droit de critiquer une religion. Mais vous ne pouvez pas publier des messages de haine à l’encontre des pratiquants d’une religion. »

Le débat, oui, mais « le négationnisme n’est pas une opinion », a répondu le député travailliste David Winnick après avoir interrogé le représentant de Twitter sur la présence de messages antisémites sur le réseau social : « Si vous donnez une plate-forme aux négationnistes, vous minimiser l’une des pires atrocités qui ait jamais eu lieu sur le territoire européen. J’aurais honte de gagner mon salaire comme vous le faites. »

Pas de modération a priori

Autre argument clé de ces plates-formes : elles dépendent pour leur modération des signalements de leurs utilisateurs et ne peuvent vérifier, avant publication, chaque contenu. « Si ce que vous souhaitez, c’est une modération a priori des plates-formes du Web, vous n’aurez tout simplement plus de plates-formes sur le Web, a dit le représentant de Twitter, Nick Pickles. C’est une question d’échelle. » Interrogé sur le nombre de personnes travaillant à la modération de Twitter pour le Royaume-Uni, M. Pickles a refusé de répondre, estimant que « quel que soit le chiffre que je vous donnerais, les gens trouveraient que ce n’est jamais assez ».

Les députés britanniques ont également longuement interrogé les représentants des trois réseaux sociaux sur l’anonymat en ligne. Le Parlement britannique a adopté en 2016 l’Investigatory Powers Act, une loi très controversée qui dote la police et les services de renseignement de pouvoirs très étendus de surveillance numérique. Sa principale mesure est de contraindre les fournisseurs d’accès à Internet de conserver l’historique de navigation de tous leurs clients pendant douze mois.