Sans attendre la décision que le Conseil constitutionnel doit rendre jeudi 16 mars, en fin de journée, sur les assignations à résidence de longue durée, le ministre de l’intérieur a renoncé, selon nos informations, à prolonger cette mesure de l’état d’urgence pour au moins huit personnes concernées par cette mesure depuis plus d’un an. Le ministère se refuse à confirmer ou à commenter nos informations, alors qu’il sollicite, vendredi 17 mars, l’autorisation du juge des référés du Conseil d’Etat pour prolonger l’assignation à résidence de douze personnes.

Sur les soixante-huit personnes actuellement sous le coup d’une assignation à résidence au titre de l’état d’urgence, entre vingt et vingt-cinq le sont depuis plus d’un an. Celles qui ne sont pas parmi les douze convoquées le 17 mars au Conseil d’Etat, verront leur assignation à résidence automatiquement prendre fin lundi 20 mars. Aucune explication n’est donnée place Beauvau.

Les cas ne sont pas tous identiques. Ainsi, Sofiyan I., qui est à l’origine de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur l’article 2 de la loi du 19 décembre 2016 – tranchée aujourd’hui –, sera affranchi de cette mesure de police administrative dès lundi 20 mars. Il l’a appris par défaut, le renouvellement de la mesure n’ayant pas été demandé. La justice prendra, ou plus exactement reprendra, immédiatement le relais.

Du bracelet électronique à l’assignation

En effet, lorsqu’il a fait l’objet d’une assignation à résidence, dès le 15 novembre 2015, quelques heures après les attentats du Bataclan, à Paris, il était déjà sous le coup d’une mesure d’aménagement de peine et portait un bracelet électronique. Ce dispositif, pourtant plus coercitif que l’assignation à résidence, a été suspendu pour s’éclipser devant la contrainte extrajudiciaire de l’état d’urgence.

Après seize mois d’assignation qui l’ont obligé, compte tenu des trois pointages quotidiens, à démissionner de son emploi en CDI – qui était pourtant une obligation imposée par la justice –, il va retrouver le juge d’application des peines. Soit il est de nouveau placé sous bracelet électronique le 20 mars pour exécuter la fin de sa peine, soit l’aménagement de peine est caduc car il n’a plus d’emploi et il devra aller en prison.

Le cas de Madame F. est différent. Assignée à résidence en tant que femme de « terroriste », son dossier serait pratiquement vide. Mariée par l’intermédiaire de Skype avec une personne détenue dans une affaire de terrorisme, elle a fait l’objet d’une assignation en raison de cette relation suspecte. Mais la jeune femme, peut-être mal conseillée, n’a fait aucun recours, comme la loi l’y autorise.

Ainsi, contrairement à la plupart des autres personnes soupçonnées par les services de renseignement de représenter « une menace », son dossier n’a jamais été examiné par un juge administratif ou par le juge des référés du Conseil d’Etat. Or plusieurs dizaines d’assignations ont été suspendues à l’occasion de ces examens, quand le ministère de l’intérieur ne renonçait pas de lui-même à la confrontation devant la juridiction administrative, faute d’éléments solide dans le dossier.

Le paradoxe de la situation

Il est probable que certains des « affranchis » du 20 mars entrent dans cette catégorie des cas considérés, par la direction des libertés publiques de la place Beauvau, comme insuffisamment étayés pour risquer un étalage en audience publique au Conseil d’Etat. D’autres pourraient en revanche se trouver « judiciarisés ». Car c’est l’un des objectifs assumés de l’état d’urgence, se situer au niveau de la prévention d’un éventuel passage à l’acte terroriste, et prendre des mesures conservatoires le temps de nourrir un dossier.

Des contacts ont ainsi eu lieu ces dernières semaines entre les services de l’intérieur et le parquet antiterroriste de Paris. L’objectif est de rechercher le moyen d’ouvrir une procédure judiciaire sur ces personnes. C’est le paradoxe de la situation. Une assignation qui dure plus d’un an signifie que ces personnes font parties de celles considérées par les services de renseignement parmi les plus dangereuses.

Mais pendant tout ce temps, aucun élément susceptible de justifier l’ouverture d’une procédure judiciaire à leur encontre n’a été validé, malgré la volonté partagée par l’intérieur et le parquet de judiciariser le plus en amont possible les velléités terroristes.