L’Association des maires de France (AMF) devait rendre public, jeudi 16 mars, le premier bilan national des regroupements de communes, un phénomène qui s’amplifie depuis 2015. Selon cette étude, que Le Monde s’est procurée, 542 « communes nouvelles » ont été créées depuis cinq ans à partir du regroupement de 1 820 villes ou villages. Cces nouvelles municipalités comptent près de 1,7 million d’habitants. La dynamique est partie de l’ouest et s’étend progressivement. Ce mouvement, inédit depuis 1789, s’est accéléré depuis la loi du 16 mars 2015 qui facilite les rapprochements communaux.

Dans une interview au Monde, l’auteur de l’étude, Vincent Aubelle, juriste et professeur associé à l’université Paris-Est - Marne-La Vallée, plaide pour la fin de l’émiettement communal qui caractérise la France. Aujourd’hui, près d’une commune sur deux compte moins de 500 habitants.

L’étude que vous avez menée pour l’AMF et la Caisse des dépôts montre que de plus en plus d’élus regroupent leurs communes. Faut-il accélérer ce mouvement ?

Acceptons-le une bonne fois pour toutes : il ne s’agit pas tant de supprimer des communes que de reconnaître qu’offrir un bon niveau de services nécessite une population minimale. Les fusions de communes conduites, entre autres exemples, au Japon ou en Suède, le montrent : le maintien des établissements scolaires a été le principal critère retenu pour définir la taille des communes. Sans qu’il s’agisse de dupliquer ces expériences, et sauf erreur de ma part, le maintien des écoles est une préoccupation forte des élus locaux… Oui, sans ambages, l’amplification du mouvement des communes nouvelles lancé depuis 2011 est nécessaire.

Quel devrait être le rôle de l’Etat pour mettre fin à l’émiettement communal et quel seuil de population faudrait-il retenir ?

Avant toute autre chose, l’Etat doit enfin accepter de faire confiance à l’intelligence territoriale. Ainsi, une loi pourrait inaugurer le processus de réorganisation des communes et définir la durée pendant laquelle celles-ci devraient se regrouper. Ce n’est qu’au terme de ce processus, et pour les seuls cas non résolus, que le législateur interviendrait. Pour ce qui concerne le seuil, je rappellerai que, dans la Constitution de l’an III (1795), si toutes les communes étaient maintenues, elles n’avaient un conseil municipal qu’à partir de 5 000 habitants. La similitude de cette architecture avec celle des communes nouvelles est saisissante. C’est pourquoi, alors que les moyens de communication sont tout autres, un seuil modulable de 5 000 habitants me semble être aujourd’hui une base sérieuse de discussion pour amplifier ce mouvement.

Combien d’années laisser aux maires pour qu’ils se regroupent ?

L’éternité n’est que la traduction d’une incapacité à opérer des choix. Or cette question a été posée dès le mois de janvier 1790… Accorder un délai maximal de cinq années serait réaliste.

La réduction du nombre des communes est-elle la réforme territoriale des cinq ans à venir ?

Sortir du bricolage territorial auquel nous avons assisté dans le quinquennat qui s’achève est une évidence, j’irais même jusqu’à dire une nécessité. Sans même parler de la méthode retenue, celui-ci a résulté, comme auparavant, du déni de la question communale. Or, faut-il le rappeler, la commune constitue la fondation de l’ensemble de la décentralisation.

Pourquoi l’intercommunalité n’est-elle pas la solution ?

L’intercommunalité dans la conception développée depuis 2010 conduit à une impasse : des assemblées intercommunales pléthoriques, qui interdisent de fait la délibération collective, une incapacité structurelle des intercommunalités à répondre avec la réactivité requise à l’exercice de tout ou partie de leurs compétences, et finalement, acceptons de le reconnaître, une dévitalisation des communes qui n’est pas assumée. Ce résultat s’explique par l’absence de volonté d’engager une réforme de notre organisation communale. Aussi, l’urgence à sortir de cette incohérence doit nous conduire à dépasser l’intercommunalité palliative. A l’échelle des régions recomposées et aux compétences étendues, nous avons besoin d’une intercommunalité stratège, sur de grands périmètres. Cette réorientation de l’intercommunalité est indispensable. Les compétences de l’intercommunalité stratège ne concerneraient que l’aménagement du territoire, le développement économique, les transports. Y parvenir nécessite simultanément de renforcer les fondations en encourageant le développement de communes fortes et vivantes, et de sortir des postures défensives.

Pensez-vous que le prochain président de la République osera s’y atteler ?

Les collectivités locales qui mettent en œuvre l’essentiel des services publics auxquels les Français ont accès, ou bien encore qui réalisent 75 % de l’investissement public, sont les grandes oubliées du débat présidentiel. Peut-être serait-il temps d’admettre que la citoyenneté consumériste à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est le résultat de cette tension entre, d’une part, un bricolage de la décentralisation aussi sophistiqué qu’illisible et, d’autre part, l’attente en matière de politiques publiques.

Ainsi, alors que la décentralisation devait renforcer l’implication citoyenne, le taux d’abstention aux élections municipales n’a jamais été aussi élevé, augmentant de 20 points entre 1977 et 2014. Face à cela, acceptons de nous engager dans une architecture audacieuse qui puisse permettre de définir un cadre pour les décennies à venir. Soyons clairs : procrastiner en matière de décentralisation reviendrait à continuer de laisser libre cours à la seule approche comptable, qui n’a jamais fait sens. Celle-ci n’a d’autres buts que de conforter la relation infantile qu’entretient, à dessein, l’Etat avec les collectivités locales, alors que… c’est à cette échelle que le cœur de la République bat.