La joie des Monégasques après leur victoire face à Manchester City. | VALERY HACHE / AFP

17 heures. Embouteillage sur la M6007, qui vous descend de l’autoroute A8 jusqu’au centre-ville. Quatre heures avant le coup d’envoi du huitième de finale retour entre l’AS Monaco et Manchester City, il semblerait que l’effervescence des grands soirs se soit emparée de la principauté, et que la ville déborde déjà de supporteurs frénétiques. Quelques hectomètres parcourus au ralenti plus tard, on découvre l’odieuse vérité : des travaux de voirie provoquent une circulation alternée, d’où les bouchons. Passé le chantier, trafic fluide jusqu’au stade Louis-II, dont le parking se remplit néanmoins déjà à vitesse V (c’est un grand v).

17 h 45. Aux abords du stade, à H – 3, un vague début d’amorce de frémissement. On croise des maillots de Mbappé çà et là ; La Pizza du stade, située au pied de l’enceinte, fourbit sa pâte ; quelques journalistes se sont mis en rang pour faire leur duplex avec l’arène en toile de fond ; on constate la présence d’une étonnante statue représentant un gardien de but tout nu, qui plonge au-dessus d’un hurdleur tout nu, qui lui-même saute au-dessus d’un nageur tout nu ; à la fenêtre d’un immeuble faisant face au stade, un drapeau de l’ASM.

Le Monde/HS

18 h 30. Pardon pour le cliché, mais Monaco, c’est une autre planète. Depuis la terrasse du Café de Paris, qui dispose d’une vue imprenable sur le casino, Darren et Lara Storey regardent passer Lamborghini, Ferrari, Rolls Royce et Bentley, ainsi que de grandes dames blondes en plastique perchées sur d’interminables talons et cachées derrière des lunettes de soleil et du (très) rouge à lèvres. Autre source d’étonnement pour ce couple venu de Manchester, le prix du galopin de rouge : 8 euros.

Pronostic pour la rencontre ? Lara : « Cinq buts. » Pour qui ? « Il va y avoir cinq buts. » Craint-elle que son équipe ne subisse ce qu’il faut désormais appeler une « Barça-PSG » ? « Je ne sais pas, mais peut-être que les cinq buts seront tous marqués dans les dix dernières minutes. » Darren se montre tout aussi réaliste dans ses prévisions : « 7-5 pour Monaco, et on passe grâce aux buts à l’extérieur. » Je ne sais pas combien de galopins de rouge ont déjà été avalés ici.

Le Monde/HS

18 h 45. A la table d’à côté, une autre famille mancunienne n’arrive pas non plus à compter les litres de bière déjà éclusés, pas plus qu’elle ne parvient à nous livrer un pronostic. « Pfff, j’en sais rien, souffle Owen, le benjamin de la troupe. Ça va être encore n’importe quoi, je suppose. 3-3 ? » Pour l’heure, le débat porte surtout sur le prix de la pinte – 16 euros quand même –, qui suscite une légère irritation : « Pour le même prix, à Manchester, vous pouvez boire de la bière pendant une semaine. »

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19 h 15. La nuit tombe sur Monaco, qui s’illumine, offrant un autre visage du délire urbanistique qu’est devenue la principauté. Des grappes de supporteurs convergent vers le stade en se perdant parfois dans le dédale de cette ville bâtie sur plusieurs niveaux qui vous égarent.

Louis-II. | VALERY HACHE / AFP

20 h 15. Louis-II est, quant à lui, une belle forme de délire architectural. On ne peut pas reprocher à ce stade de ressembler aux autres, notamment car, vu d’en bas, il ressemble à tout sauf à un stade. Dans ses entrailles décaties, où le temps semble parfois s’être arrêté en 1985, année de son inauguration, se trouvent une piscine, une salle multisports et un parking sur lequel repose la pelouse, vaguement au-dessus du niveau de la mer. Les gradins se remplissent doucement, les quelque mille ultras monégasques (ça existe) sont déjà là, et tentent d’entraîner le reste du public : « Le stade, avec nous ! (× 10) » Le leader du championnat de France va avoir besoin d’une ambiance un peu plus survoltée que d’habitude pour rattraper la défaite 5-3 du match aller.

20 h 53. Huit minutes après le coup d’envoi, l’incroyable Kylian Mbappé ouvre le score, et Monaco a déjà accompli la moitié du chemin vers la qualification. Pour la « remon », c’est bon. La « tada » survient vingt minutes plus tard, grâce à Fabinho (2-0). A la 70e, l’Allemand de Manchester Leroy Sané douche l’enthousiasme général (2-1). Une poignée de minutes plus tard, Tiémoué Bakayoko le sèche (3-1). C’est fini. C’est un petit exploit. Louis-II exulte comme il l’a rarement fait dans son histoire, mais ça n’a évidemment pas grand-chose à voir avec la furie des 98 000 spectateurs du Camp Nou une semaine plus tôt.

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22 h 45. Arrivé très vite devant les journalistes après le match, Pep Guardiola propose un modèle de conférence de presse expédiée, à base de réponses convenues ou à côté de la plaque. A la décharge de l’entraîneur des Citizens, les confrères britanniques n’y vont pas avec the back of the spoon : « Vous avez été recruté par Manchester City pour remporter la Ligue des champions. Vous n’y êtes pas arrivé. Pourquoi ? » Après avoir fait répéter trois fois le journaliste, puis demandé des explications à l’interprète présent à ses côtés, Pep répond : « J’ai essayé. J’essaierai encore l’an prochain. » Gracias. Pour se remonter le moral, Guardiola pourra toujours se souvenir de la maxime légendaire d’un membre d’Oasis, groupe de rock local et fan des Sky Blues, rappelant qu’il fut un temps où, pour Manchester City, « une saison réussie, c’était quand on avait obtenu un corner à Old Trafford ».

23 heures. « Est-ce une fierté d’être le seul club français présent en quarts de finale de la Ligue des champions ? » La question posée par un journaliste à Vadim Viktorovitch Vasilyev, vice-président de l’AS Monaco, nous plonge dans une profonde circonspection, tout comme la supposition d’un autre confrère estimant que cette qualification est « une bonne chose pour le football français ». On a du mal à comprendre en quoi la qualification d’un club de Monaco, propriété d’un milliardaire russe et dont l’effectif est constitué aux deux tiers de joueurs étrangers, est une bonne nouvelle pour le football français. Et d’abord, qu’est-ce que le football français ? Et d’abord, qu’est-ce que le football ? A part ça, « la Ligue des champions, c’est du bonus. La priorité, c’est le championnat », estime Vasilyev. Dimanche, Monaco se déplace à Caen.

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23 h 15. Leonardo Jardim répond à son tour aux journalistes dans cette si curieuse salle de conférence qui sonne un peu creux, où des fils électriques pendent au plafond, et où des parois amovibles masquent des photos d’escrimeurs en noir et blanc. Le contraste est étonnant entre l’image clinquante et glamour de l’AS Monaco, et son envers du décor un peu vieillot et bricolo.

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23 h 45. Mbappé déboule dans la cohue de la zone mixte. « Vous voyez, j’ai les yeux qui brillent », lance le gamin de 18 ans que tout le monde veut entendre, et qui se montre étonnamment à l’aise face aux micros. Vertigineuse vision que celle de cet ado en costard, qui gagne déjà 80 000 euros brut par mois et s’apprête à être convoqué en équipe de France par Didier Deschamps. Et dire qu’il n’était pas né lorsque l’ancien capitaine des Bleus souleva la Coupe du monde en 1998, et qu’il y a cinq ans à peine il faisait encore le mariole à Clairefontaine.

Kylian Mbappé en 2011 à Clairefontaine
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