La deuxième fois aura été la bonne. Lors de sa précédente venue à Berlin, les 10 et 11 janvier, Emmanuel Macron n’avait pas pu rencontrer Angela Merkel. Jeudi 16 mars, l’ancien ministre de l’économie s’entretiendra avec elle à la chancellerie, un honneur que seul François Fillon, parmi les autres candidats à la présidentielle, avait obtenu, le 23 janvier.

Pour la chancelière allemande, ce rendez-vous d’une heure qui sera accordé jeudi après-midi à M. Macron n’a pas valeur d’adoubement. Le correspondant du Monde à Berlin, Thomas Wieder, a répondu à vos questions sur le tchat du Monde.

Theo : Quels candidats Merkel a-t-elle déjà rencontré ?

Thomas Wieder : Angela Merkel a rencontré François Fillon le 23 janvier. Emmanuel Macron est aujourd’hui le deuxième candidat à l’élection présidentielle qui sera reçu par la chancelière allemande. En janvier, celle-ci a fait savoir qu’elle était prête à recevoir d’autres candidats qui en feraient la demande. A une exception toutefois, celle de Marine Le Pen.

Christophe : Bonjour, pourquoi certains candidats recherche « l’adoubement » de Mme Merkel ? Ça a vraiment une incidence sur les électeurs français ?

Thomas Wieder : D’abord, le terme d’« adoubement » est en soi problématique. Symboliquement, c’est en effet de ça qu’il s’agit. Politiquement, c’est plus discutable, dans la mesure où Angela Merkel n’a pas l’intention de dire qu’elle soutient officiellement Emmanuel Macron. Pas plus, d’ailleurs, que le 23 janvier quand elle a reçu François Fillon.

C’est d’ailleurs assez amusant à observer : quand Fillon avait été reçu par Merkel, il avait tout de suite posté sur son compte Twitter une photo de la rencontre dans le bureau de la chancelière, très fier de l’honneur qui lui avait été réservé. La photo était passée totalement inaperçue en Allemagne, et ce que les Allemands ont plutôt retenu, ce n’est pas tant l’image que le silence de Merkel, qui a aucun moment n’a dit qu’elle soutiendrait Fillon. Pas plus qu’elle ne devrait dire, aujourd’hui, qu’elle soutiendra Macron.

François14 : Bonjour, comment est représenté Emmanuel Macron dans les médias allemands ? Est-il populaire en Allemagne ?

Thomas Wieder : Macron jouit aujourd’hui d’une image extrêmement positive en Allemagne. Il y a deux mois, lors de sa première visite à Berlin comme candidat, les 10 et 11 janvier, il était encore peu connu. Il faut dire qu’à l’époque, Fillon était le favori, et que l’actualité politique française était dominée par la primaire socialiste. Aujourd’hui, le contexte a totalement changé. L’affaire Fillon a fait des ravages en Allemagne : des dizaines et des dizaines d’articles ont été publiés et l’image du candidat Les Républicains est extrêmement mauvaise. Au PS, c’est Benoît Hamon qui est candidat : or, pour la plupart des sociaux-démocrates allemands, c’est quelqu’un de beaucoup trop à gauche. Du coup, Macron occupe une sorte de vide : pour les conservateurs qui voyaient Fillon d’un bon œil mais ont été déçus par lui, il passe pour un libéral sérieux qui fera les réformes que l’Allemagne attend de la France ; pour les sociaux-démocrates qui voient dans Hamon un socialiste français traditionnel, il passe pour un interlocuteur crédible et pro-européen.

CD : Quelle est la position des grands titres allemands (Der Spiegel, Stern, Die Welt, SZ…) sur l’élection présidentielle française ?

Thomas Wieder : La presse allemande se passionne pour notre élection présidentielle. Pendant les deux ou trois semaines qui ont suivi les premières révélations du Canard enchaîné sur François Fillon, l’affaire a été chroniquée comme si c’était un feuilleton de politique intérieure allemande, certains sites d’information publiant même plusieurs articles par jour sur le sujet, afin d’y intégrer les nouveaux rebondissements…

Pourquoi un tel intérêt ? Parce qu’il y a, en Allemagne (sauf évidemment à l’extrême droite), une peur très profonde de voir Marine Le Pen l’emporter. Si elle gagne, quel sera l’interlocuteur de l’Allemagne en Europe ? Or, même si les Allemands sont volontiers critiques avec nous en estimant que notre économie est bancale et que nos hommes politiques sont incapables de faire les réformes qu’ils estiment courageuses, ils savent que le partenariat franco-allemand (outre-Rhin on ne parle pas de “couple”) est indispensable, notamment sur le plan diplomatico-militaire où, globalement, Paris et Berlin coopèrent de façon plutôt bonne (comme on le voit sur l’Ukraine par exemple).

Raph : Vu d’Allemagne, comment est vu le programme de Benoît Hamon ? Est-il seulement connu ? La gauche allemande et les Verts préfèrent unanimement Macron à Hamon ?

Thomas Wieder : Quasiment personne ne parle de Benoît Hamon en Allemagne. Les Allemands l’ont découvert au soir de sa victoire contre Manuel Valls à la primaire, mais l’intérêt est retombé au bout de vingt-quatre heures… Ou alors, quand il est question de lui, c’est généralement en deux lignes et pour dire qu’il n’a aucune chance de l’emporter.

Le problème pour Hamon est qu’il n’y a pas beaucoup de place pour lui dans la gauche allemande. Le parti Die Linke penche plutôt pour Jean-Luc Mélenchon. Quant au Parti social-démocrate (SPD), il est institutionnellement lié au Parti socialiste, mais politiquement, il est dans l’ensemble beaucoup plus proche des idées d’un Macron.

D’ailleurs, ce soir, à Berlin, Macron va débattre avec Sigmar Gabriel, le ministre allemand des affaires étrangères, qui est encore pour quelques jours le président du SPD. On verra si Gabriel dit officiellement qu’il lui apporte son soutien, mais le fait même qu’ils débattent ensemble est un signe. D’ailleurs les deux hommes s’entendent très bien. Ils se sont connus quand l’un et l’autre étaient ministres de l’économie et ont plutôt bien travaillé ensemble.

JiBé : Bonjour, quel est l’enjeu de cette visite pour Macron ? Valider son programme européen avec l’Allemagne ?

Thomas Wieder : L’enjeu, comme toujours quand un candidat à la présidentielle va à l’étranger, est de montrer aux électeurs français qu’il a cette fameuse « stature internationale » qui fait partie du costume présidentiel. Macron a multiplié les déplacements de ce type ces dernières semaines. Il fait aujourd’hui à Berlin ce qu’il avait fait à Londres le 21 février : de même qu’on l’avait vu ce jour-là sortir du 10, Downing-Street le verra-t-on aujourd’hui sortir de la chancellerie. Peu importe qu’Angela Merkel ne soit pas à ses côtés (Theresa May ne l’était pas non plus l’autre jour). Ce qui compte, c’est l’image, le côté « carte postale ». Macron veut son image au journal de « 20 heures » le montrant sortir du bureau de Merkel. Ça permet d’envoyer aux Français un message subliminal : « Regardez comme je fais président. »

Alexandre : Macron a-t-il également prévu de rencontrer Martin Schulz ? Pour aller jusqu’au bout dans la démarche transpartisane.

Thomas Wieder : Il avait rencontré Schulz lors de sa précédente venue à Berlin, début janvier. A l’époque, cela dit, Schulz n’était pas encore officiellement candidat du SPD à la chancellerie. Cette fois, il voit aussi Frank-Walter Steinmeier (SPD), président de la République élu en janvier, qui sera investi mercredi prochain, et Sigmar Gabriel (SPD), ministre des affaires étrangères et vice-chancelier, avec lequel il fera un débat en fin de journée avec également le philosophe Jürgen Habermas.