En poste depuis 2011, Noël Le Graët briguera un troisième mandat à la présidence de la Fédération française de football (FFF), lors du scrutin programmé samedi 18 mars. A 75 ans, l’ex-patron du club de Guingamp et de la Ligue de football professionnel affrontera dans les urnes son ancien allié, Jacques Rousselot, dirigeant de Nancy et membre sortant du comité exécutif (Comex) ; Eric Thomas, numéro un de l’Association française de football amateur (AFFA), déjà candidat en 2011 et 2012 ; et le truculent David Donadei, éducateur et ex-entraîneur. Alors que le sélectionneur des Bleus doit annoncer jeudi sa liste pour les matchs éliminatoires au Mondial 2018 (qui reprennent le 25 mars avec un déplacement au Luxembourg), le président Le Graët se dit favorable au retour de Karim Benzema.

Quel est l’enjeu du scrutin de samedi ?

La FFF se porte bien. On est dans la continuité sur le plan sportif, les Bleus sont en train de se qualifier pour le Mondial 2018 en Russie. Les contrats commerciaux se terminent à la fin de juin 2018, donc les négociations reprennent pour la période 2018-2022. La FFF n’est pas en crise. On est à 130 000 licenciées et 2,05 millions de licenciés.

Pourquoi avez-vous décidé de revenir sur votre engagement, fait notamment au Monde en décembre 2012, de ne pas briguer un troisième mandat ?

A titre personnel, je suis très heureux d’être là. Les membres du Comex, les salariés de la FFF étaient très favorables à ce que je continue. L’environnement du football souhaitait que je reste. J’ai reçu le feu vert de ma famille et de mes collaborateurs.

Aviez-vous promis à votre adversaire, Jacques Rousselot, que vous lui transmettriez les rênes ?

Ce n’est pas tout à fait ça. Si je ne m’étais pas représenté, il aurait pu diriger une liste. Ce que la plupart des membres du Comex n’ont pas souhaité. J’ai conservé sur ma liste 70 % de mon ancien Comex. On s’était expliqués devant le Comex avec Jacques. On s’est serré la main voire « bisouillés », ce que je fais rarement. Cela paraissait tout à fait clair. Et après, je ne sais pas poussé par qui, il a retrouvé des ailes. Tout était pourtant réglé entre nous. J’ai l’impression que mes anciens copains sont plutôt dirigés contre moi.

Vous avez 75 ans et en aurez 79 en 2021, à la fin de votre mandat, si vous êtes réélu. Cela fait quarante-cinq ans que vous occupez des fonctions dans le foot. N’est-il pas temps de faire autre chose ?

Je ne me représenterai peut-être pas dans quatre ans… Dans ma vie, j’ai déjà fait autre chose. J’ai des entreprises familiales importantes [le groupe Le Graët, spécialisé dans l’agroalimentaire]. On est d’ailleurs en train de racheter une affaire importante. J’ai été maire [PS] de Guingamp [de 1995 à 2008]. J’ai développé des affaires industrielles sur les trente dernières années.

J’ai commencé comme président de Guingamp en 1972. J’ai connu le foot amateur, pro, j’ai été à la Ligue. J’ai pas mal d’expérience ? donc…

Vous n’avez pas peur que l’envie de renouvellement, très fort dans la sphère politique, l’emporte samedi ?

Non, pas du tout. Car il n’y a pas de jeune en face. Mon équipe est la plus jeune en moyenne d’âge. Il y a des gens très compétents dans leur domaine. S’il y avait eu quelqu’un de 40-45 ans avec plein d’idées qui révolutionnent, oui peut-être… Mais là, franchement, je me sens parfaitement bien à ma place. Je pense gagner.

Quel bilan tirez-vous de votre action depuis 2011 ?

Avant, on était en situation de crise. Maintenant, les amateurs nous disent qu’ils sont fiers des Bleus. Cela joue. La France aime son équipe nationale et c’est le rôle de la FFF d’en avoir de bonnes. On a fait en sorte que le maillot bleu soit respecté dans toutes les catégories, garçons et filles.

Le contrat avec Nike est le plus gros contrat mondial [43 millions par saison plus 7,5 millions en dotation de matériel], avec celui entre la fédération allemande et Adidas. On va donc continuer huit ans avec Nike puisque cela porte sur la période 2018-2026. Au-delà de mon mandat. C’est tout à fait possible que je ne sois plus là en 2026. Quoique, je ne suis pas sûr (sic)…

La FFF a des réserves d’argent, elle est bien gérée. Le fait d’avoir récupéré la gestion commerciale des contrats plutôt que passer par une agence a permis d’avoir des rapports de fidélité avec nos partenaires.

« La FFF, ce n’est pas que l’équipe de France », vous reprochent parfois vos adversaires…

La presse parle de l’équipe de France parce que les gens l’aiment. Si les Bleus avaient perdu contre l’Ukraine en 2013 [lors des barrages du Mondial 2014], je ne serais peut-être plus là aujourd’hui. La FFF a été chahutée pour l’Afrique du Sud, en 2010. L’équipe de France, c’est l’image, la vitrine.

Sur les quatre dernières années, j’ai une référence : l’Allemagne. Il y a cinq ans, on prenait des raclées chez les garçons et les filles. Les A ont battu l’Allemagne [2-0 en demi-finales de l’Euro], nos féminines rivalisent, nos équipes de jeunes les battent.

Si les Bleus avaient remporté l’Euro 2016, auriez-vous quitté la présidence de la FFF ?

Je ne change rien. J’ai été très content de ce qu’ont fait les Bleus pendant l’Euro. On aurait pu le gagner. On a fait un bon Mondial au Brésil, un bon Euro, on a de très très bons jeunes. Est-on capables d’aller encore plus loin ? On n’est pas la meilleure équipe du monde mais on rivalise avec les meilleurs. On est sixièmes au classement FIFA. On revient d’assez loin.

Quel est le problème avec l’équipe de France Espoirs qui ne s’est plus qualifiée à une compétition depuis… 2006 ?

Franchement, si j’avais la réponse, on aurait fait différemment. Il n’y a pas de reproche à faire aux joueurs. Les garçons sont déjà tous titulaires dans de grands clubs. Mais psychologiquement, ce n’est pas l’équipe la plus forte. C’est l’un de mes dossiers prioritaires. Vous vous rendez compte, si la France obtient l’organisation des Jeux olympiques 2024… Il va falloir retrouver l’habitude de se qualifier…

Le sélectionneur Didier Deschamps est-il dans son rôle lorsqu’il annonce « souhaiter la réélection » de son employeur, Noël Le Graët ?

Oui, pourquoi pas ? Je regrette que les salariés n’aient pas fait une manif ici pour dire qu’ils veulent garder leur patron. Il a le droit. Il est salarié de la FFF, il fait partie de mes relations proches. Je suis président, il est sélectionneur mais on est aussi très proches.

Pourra-t-il travailler avec Jacques Rousselot s’il est élu ?

La question ne se posera pas.

Didier Deschamps est-il l’un de vos principaux arguments électoraux ?

Pas du tout. Il a fait cette sortie car il l’a voulu. Je ne vais pas lui en faire le reproche. C’est son initiative. Il ne vote pas. Je n’ai pas du tout souhaité l’associer à la campagne. Il a fait une déclaration qui le regarde, amicale. Cela n’a pas d’influence sur le vote.

Didier Deschamps est pourtant ovationné à chaque assemblée fédérale…

Cela montre que je choisis bien les hommes. J’avais pris le risque de changer de sélectionneur à un moment [en 2012, après le départ de Laurent Blanc]. S’il est acclamé, c’est qu’il a fait du bon travail. Je n’ai pas hésité à mettre une forte personnalité en place.

Prolongerez-vous son contrat, qui expire en 2018, si vous êtes réélu ?

C’est une question qui ne se pose pas du tout. Ce n’est pas dans les cartons. On ne travaille pas comme ça. Lui-même me dira un jour « j’aimerais bien continuer, prendre un club, ou bien être votre successeur à la FFF ». Je ne peux pas lui imposer quoi que ce soit. On n’est pas dans un bras de fer. Son avenir lui appartient. La sélection nationale reste-t-elle son objectif pour les six ou sept années qui viennent ? Veut-il retourner dans un club ? Ou veut-il me remplacer à la fin de mon mandat ? On verra l’évolution de sa carrière. Il est le bienvenu à la FFF tant qu’il le souhaite.

Le voyez-vous comme un successeur éventuel ?

Il en a les qualités. Vous lui demanderez, un jour. C’est formidable pour un seul homme d’avoir l’embarras du choix. Il a les cartes en main.

Où en est le dossier Karim Benzema, mis en examen dans l’affaire du chantage à la sextape ? Est-il sélectionnable aujourd’hui ?

Il est sélectionnable, donc Didier fait ce qu’il veut. Il n’a pas fait l’Euro 2016 car on a considéré qu’il n’était pas sélectionnable pour l’Euro en France. Mais depuis, Didier peut le prendre s’il veut le prendre. Il a aujourd’hui un choix d’attaquants qu’il n’avait pas il y a quelques années. Didier, son métier, c’est de constituer une équipe.

Sa situation n’a pas évolué sur le plan judiciaire…

Cela ne change rien. Le juridique, c’est une chose. Mais, par rapport à la FFF, ce garçon est sélectionnable, comme Nasri ou d’autres. Il est sélectionnable depuis l’après-Euro. A l’Euro, il y avait la notion de vie de groupe. Didier avait fait une bonne préparation et a considéré, à juste titre, que son groupe pouvait aller au bout. Aujourd’hui, il n’a pas souhaité reprendre Benzema. Demain, je n’en sais rien. Pour le moment, la décision appartient totalement au sélectionneur. C’est un choix sportif.

Pourquoi avez-vous retenu Jean-Michel Aulas, le président de l’Olympique lyonnais, sur votre liste ?

A la Ligue, il était un peu trop querelleur, par sa faute, ou celle des autres. A la FFF, il va retrouver la paix et mettre son talent au service de la collectivité.

Ne craignez-vous pas que M. Aulas, jugé parfois trop clivant, braque certains dirigeants de club ?

Je le connais depuis trente ans. Il a pris un club en D2 [en 1987], on voit ce qu’il en a fait aujourd’hui. Quel reproche peut-on lui faire ? C’est un expert en matière de formation, il a bien travaillé là-dessus dans son club. On va se réunir dès la semaine prochaine par rapport au recrutement du nouveau directeur technique national. Ce sera à lui de me présenter deux, trois candidats, et nous déciderons ensemble.

Quelle satisfaction tirez-vous de votre fonction, rapport au pouvoir ?

J’ai toujours eu des rapports très bons avec les gouvernants quels qu’ils soient. La FFF a une délégation de pouvoir. A ce poste, on discute avec beaucoup de gens importants de l’Etat, qui aiment le football. Cela donne une bonne connaissance de l’appareil d’Etat. Je m’entendais très bien aussi avec Sarkozy, contrairement à ce qu’on pouvait penser. Je déjeune de temps en temps avec lui. Je connais bien sûr depuis longtemps Hollande. J’ai plus d’affinités politiques avec lui.

En 2012, vous aviez publiquement soutenu François Hollande. Cinq ans plus tard, soutenez-vous un candidat à la présidentielle ?

Non. Je m’occupe déjà de mon élection, on verra pour les autres après…

Le camp Rousselot a pointé votre « vision verticale du pouvoir ». Comprenez-vous ces critiques ?

Si je décidais de tout tout seul, cela ferait longtemps que j’aurais été éjecté de plein de fonctions. J’écoute et j’aime travailler en équipe.

Allez-vous préparer votre succession ?

Pas du tout. Cela ne m’intéresse pas pour le moment. Ce sera dans quatre ans… Je ne reviens pas en disant « je suis élu mais dès la semaine prochaine, je prépare ma succession ». Je verrai. Je n’aime pas les mous, je ne prends pas de faibles pour diriger.

Que ferez-vous en cas de défaite ?

J’ai complètement exclu la défaite. Je fais partie des gens optimistes, sinon je ne serais pas là à mon âge.