Avec Valérie Boyer, porte-parole de François Fillon, lors du meeting du candidat LR aux Docks de Paris, le 4 mars. | Lionel Préau/ Riva Press

Finalement, il lui a suffi d’attendre vingt ans. Comme pour les phénomènes de mode d’une saison, il a fallu une génération à Charles Millon, 71 ans, ancien ministre de la défense de Jacques Chirac (1995-1997) pour se retrouver au goût du jour. Un goût un peu nostalgique, voire carrément réactionnaire, qui imprègne la campagne de François Fillon.

Partisan du rapprochement entre la droite classique et le Front national époque Jean-Marie, il avait payé cash son incursion au-delà de la frontière qui les sépare encore. En 1998, pour garder la présidence de la région Rhône-Alpes qu’il dirige depuis dix ans, il reçoit – « sans l’avoir négocié », dit-il – le soutien du FN, auquel il offre des vice-présidences, dont celle de la culture. Exclu de l’UDF, il voit son élection invalidée et doit céder son fauteuil de président à Anne-Marie Comparini, sa colistière.

Une longue traversée du désert

Commence alors une longue traversée du désert. Tricard, infréquentable, il disparaît de la vie politique, abandonne sa mairie de Belley, dans l’Ain, et tente de gagner celle de Lyon, qui lui paraissait promise. En vain. Il essaie de se relancer en fondant La Droite, un parti qui affiche clairement sa ligne. Un échec. On le retrouve, amer et désabusé, en 2003 à Rome, où le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin l’a nommé « ambassadeur » auprès de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. « Si j’avais su quelles seraient les conséquences, je ne referais pas la même chose », dit-il aujourd’hui. Consolation : ses idées triomphent à droite. « Les thèmes de l’enracinement, du respect de la vie, de la responsabilité de la personne, de la famille sont devenus tendance. »

À la tête d’une association baptisée Ensemble pour la France, Charles Millon a intégré l’équipe afin de mobiliser la France des diversités. | Edouard Jacquinet pour M Le magazine du Monde

Mais la polémique provoquée par l’annonce, dimanche 12 mars, de l’arrivée de Charles Millon dans le volet société civile de l’équipe de campagne de François Fillon prouve que l’homme de la réunion des droites reste un épouvantail. Le candidat Les Républicains a mollement démenti ; Millon, lui, a fièrement confirmé sa présence dans le staff, bien décidé à ne plus faire profil bas. C’est cet homme que Fillon rencontre régulièrement. À la tête d’une association baptisée Ensemble pour la France, Millon a intégré l’équipe afin de mobiliser la France des diversités. « Des Français issus de l’immigration qui ont le sentiment d’appartenir à la communauté nationale, mais qui veulent aussi protéger leurs traditions », explique-t-il.

Un clin d’œil à la droite catholique et traditionnelle

Les deux hommes se connaissent depuis plus de trente ans. Ils se sont croisés au début des années 1980 au sein du Cercle (Centre d’études et de recherches constitutionnelles, législatives et économiques), qui regroupe de jeunes élus de droite prêts à ferrailler avec le pouvoir socialiste. Ils se retrouvent en 1989 dans l’aventure des Rénovateurs, ces quadras impatients qui voulaient se débarrasser de Jacques Chirac. « Le soir où Fillon a remporté la primaire de la droite et du centre, c’était le plus enthousiaste », se souvient un des participants à la soirée de victoire du candidat. Samedi 4 mars, Charles Millon assistait au meeting de François Fillon à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) avec des petits patrons ; le lendemain, il était au premier rang du rassemblement de la place du Trocadéro, à Paris.

En enrôlant Charles Millon sous sa bannière, le député de Paris fait un énorme clin d’œil à la droite catholique et traditionnelle, qui le soutient toujours après le départ des juppéistes. Cette « droite Trocadéro », comme on l’appelle désormais sur les plateaux télé. Car s’il reste sulfureux pour beaucoup, Charles Millon évolue comme un poisson dans l’eau dans cette mouvance où il passe à la fois pour un héros, un martyr et un précurseur. Chantre du personnalisme – une doctrine qui oppose la personne à l’individu, développée dans les années 1930 autour du philosophe Emmanuel Mounier et de la revue Esprit –, l’ex-ministre de la défense retrouve au sein de l’équipe du candidat LR les représentants de Sens commun, la branche politique de La Manif pour tous. Sa famille d’accueil après avoir rompu avec sa famille politique.

« Millon a été prémonitoire. Il a eu raison de vouloir casser le faux antagonisme entre droite classique et Front national. » Jacques de Guillebon, éditorialiste à « La Nef »

« On se connaît tous, se réjouit-il. Cette jeunesse est davantage tournée vers les valeurs que ne l’était ma génération. » « C’est notre vieil oncle réac », s’amuse Eugénie Bastié, journaliste au Figaro, elle-même proche de La Manif pour tous. Que ce soit au travers du Cercle Charles Péguy ou du mouvement anti-mariage gay, Les Veilleurs, au détour d’une collaboration à la revue d’écologie intégrale Limite ou dans le mensuel anti-libéral et antilibertaire La Nef, l’ancien président de région n’a jamais cessé d’être une référence au sein de la droite tradi dont son épouse, la philosophe Chantal Delsol, est une des théoriciennes les plus appréciées. « Ce sont des courants non sectaires et profonds », s’enthousiasme Millon au mépris des apparences, en traçant le portrait de sa France idéale et réconciliée, ni mondialisée, ni étatiste, ni communautariste, dans laquelle on reconnaît un peu de la Suisse, de la Bavière et de l’Italie du Nord…

« Millon a été prémonitoire. Il a eu raison de vouloir casser le faux antagonisme entre droite classique et Front national, explique Jacques de Guillebon, éditorialiste à La Nef. Mais c’est le Front qui est aujourd’hui en position de force. Je ne sais pas si Fillon aura le courage d’aborder cette problématique, mais Millon peut l’y aider. » « Il veut accompagner les nouvelles générations pour faire les bons choix, avance l’homme d’affaires Charles Beigbeder, qui se dit « prêt à voter FN » et avec qui Millon a fondé le réseau L’Avant-Garde pour accompagner des initiatives sur le terrain (écoles hors contrat, associations culturelles, etc.). C’est un homme de convictions et qui n’a jamais varié. » On ne sait s’il faut s’en féliciter.