A Grand Yoff en 2014, où les autorités avaient procédé à la destruction de commerces informels pour libérer de la place sur la voie publique de cette commune très peuplée de Dakar. | DR

Le maire de Dakar, Khalifa Sall, accusé notamment de « détournement de fonds publics » et placé en détention depuis le 7 mars, est convoqué à nouveau par le doyen des juges d’instruction, vendredi 17 mars au matin. Un interrogatoire pour revenir sur les questions de fond du dossier, peut-être suivi de confrontations entre Khalifa Sall et les agents de sa mairie, dont cinq ont été emprisonnés en même temps que lui. Les avocats du maire vont demander sa remise en liberté provisoire, mais le juge peut aussi le maintenir en détention, le temps de poursuivre l’enquête.

Depuis que le maire a été transféré à la prison de Rebeuss dans la nuit du 7 au 8 mars, des incidents ont émaillé à plusieurs reprises la commune de Grand Yoff, fief de Khalifa Sall, au cœur de la capitale sénégalaise. Au soir du dimanche 12 mars, par exemple, une troupe de jeunes gens ont mis le feu à des pneus au milieu de la rue, non loin de l’hôpital général, rendant la circulation impossible. Les forces de l’ordre sont intervenues sans pouvoir mettre la main sur les jeunes partisans du maire, qui s’étaient réfugiés dans les ruelles sablonneuses de Grand Yoff.

« La police n’a rien vu ! »

« La police n’a encore rien vu, lâchait alors Ismaïla, 20 ans, l’un des brûleurs de pneus. Depuis une semaine, nous leur rendons la vie impossible en en brûlant partout avant de battre retraite dans nos maisons et Dieu sait qu’ils ne sont pas au bout de leurs peines. »

Derrière lui, des garçons d’une dizaine d’années tenaient à la main des bouts de bois. Ils faisaient partie du dispositif, chargés de nourrir le feu avec différents combustibles. « Macky Sall a tort d’emprisonner Khalifa Sall, lance doctement l’un d’entre eux. Il a juste peur qu’il prenne sa place, nous allons nous battre pour qu’il soit libéré. »

Interrogé par Le Monde Afrique, le maire de la commune de Grand Yoff, Madiop Diop, a dénoncé ces actes de violence et appelé au calme. Convaincu que Khalifa Sall est innocent et paie pour ses ambitions présidentielles, Madiop Diop a aussi organisé une série de marches pacifiques pour demander la libération du maire de Dakar. Mais il a aussi qualifié de « sauvage » une intervention des forces de l’ordre contre la résidence de Khalifa Sall au lendemain de sa mise en détention.

C’est d’ailleurs l’événement qui semble avoir mis le feu aux poudres. Mercredi 8 mars, un pick-up chargé de policiers s’est arrêté vers 21 h 30 devant la maison du maire, qui avait été un point de ralliement des partisans de Khalifa Sall durant la journée. Des membres de la famille, qui se tenaient dans la rue en cette période de chaleur, se sont précipités à l’intérieur, en verrouillant le portail. Selon plusieurs témoignages, les policiers ont alors tenté de défoncer le portail à coups de pied. Comme celui-ci résistait, ils ont tiré plusieurs grenades lacrymogènes en direction de la demeure. Trois enfants et une veille femme de 96 ans se sont évanouis et ont été évacués au Samu municipal pour des soins.

« La fin du monde »

« Personne ne pouvait respirer et personne ne pouvait sortir de la maison, parce que les policiers s’étaient garés juste devant le portail, se rappelle Coumba Yama, petite sœur du maire Khalifa Sall. L’épaisseur de la fumée empêchait même de voir l’autre côté de la rue. Pour nous, c’était la fin du monde. »

Grand Yoff, qui fait partie de l’arrondissement des Parcelles-Assainies, est l’une des dix-neuf communes de la capitale. C’est un quartier populaire érigé dans les années 1950 dont les axes sont souvent inondés par le ruissellement des fosses septiques, où se mélangent des habitants originaires de toutes les régions du pays et qui s’est révélé le terreau fertile de plusieurs mouvements de contestation, notamment contre la réélection d’Abdoulaye Wade en 2012. C’est aussi là que se sont jouées les municipales de 2014, remportées par Khalifa Sall.

Désormais, pour sa famille et ses voisins, plus question de laisser les forces de l’ordre semer à nouveau le trouble. « Si les policiers essaient une fois de plus d’entrer dans notre maison, ils n’en sortiront pas vivants, nous sommes prêts à y laisser nos vies », avertit Bio Sall, frère de l’édile de Dakar.