Les habitants d’Al-Jineh (Syrie) dans les décombres de la mosquée, le 17 mars, après le raid américain survenu la veille. | OMAR HAJ KADOUR / AFP

L’aviation américaine a mené, jeudi 16 mars, un raid contre un village du nord de la Syrie, dans lequel 49 personnes, au moins, ont été tuées. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, une organisation non gouvernementale qui dresse un bilan quotidien des violences en Syrie, la plupart des victimes sont des civils. Il s’agirait de l’une des plus sanglantes erreurs de tir de l’armée américaine depuis son entrée en action dans le ciel de la Syrie, en septembre 2014, dans le cadre de la coalition internation contre l’organisation terroriste Etat islamique (EI).

La frappe a détruit un bâtiment attenant à la mosquée d’un village de la province d’Alep, Al-Jineh, une région aux mains de la rébellion, déjà régulièrement bombardée par les aviations syrienne et russe. Selon le Washington Post, l’attaque a été conduite par un drone, qui tiré 8 missiles Hellfire sur sa cible, avant qu’une bombe de 225 kg, probablement larguée par avion, vienne parachever le travail.

« De hauts responsables terroristes d’Al-Qaida »

Le Pentagone réfute pour l’instant toute idée de bavure. « Nous avons frappé une réunion de hauts responsables terroristes d’Al-Qaida, dont certains étaient probablement des cibles de grande valeur », a déclaré son porte-parole, Jeff Davis, selon qui le bâtiment était surveillé depuis quelque temps. « Nous savons qu’il était utilisé par Al-Qaida. Nous avons frappé la cible que nous voulions. »

Un autre porte-parole du Pentagone a affirmé que le bâtiment détruit servait de lieu « d’éducation et d’endoctrinement » de combattants djihadistes. Comme il en a l’habitude dans ce genre de situation, le ministère de la défense affirme n’avoir « pas d’informations crédibles » sur des victimes civiles.

En marge des opérations anti-EI, conduites en Syrie et en Irak par une dizaine de pays dont les Etats-Unis, l’aviation américaine mène aussi des frappes en solo contre le groupe Fatah Al-Cham, une organisation issue d’Al-Qaida, intégrée à l’insurrection anti-Assad. Dans une lettre publiée le 10 mars, le département d’Etat américain (ministère des affaires étrangères) avait qualifié Hayat Tahrir Al-Cham, l’alliance militaire dirigée par Fatah Al-Cham, d’organisation terroriste. « Ne vous laissez pas tromper par ces criminels qui veulent détruire la Syrie et la révolution », écrivait Michael Ratney, l’envoyé spécial des Etats-Unis pour la Syrie, à l’intention des opposants anti-Assad.

Une version des faits que les habitants du village contestent formellement. « Il n’y avait que des civils qui priaient dans la mosquée visée (…) et leurs vues sont très éloignées de celles d’Al-Qaida », a confié Abou Omar, un habitant d’Al-Jineh, à l’Agence France-Presse. Selon des sources convergentes, la structure visée avait l’habitude d’abriter, tous les jeudis, veille de la grande prière hebdomadaire, une réunion de partisans du Tabligh, un courant piétiste de l’islam, fondamentaliste, mais qui, en général, se tient à l’écart de la politique. Des cadres de Fatah Al-Cham se trouvaient-ils jeudi parmi eux ? On le saura peut-être dans les prochains jours.

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, la plupart des victimes sont des civils

Dans un communiqué publié vendredi, le collectif de journalistes Airwars, spécialisé dans le recensement des victimes collatérales de la campagne de frappes internationales en Syrie et en Irak, s’est alarmé d’une brusque augmentation des allégations de bombardement ayant donné lieu à des pertes civiles. « Cette tendance a débuté dans les derniers mois de l’administration Obama et s’est fortement accélérée depuis que le président Trump est entré en fonction », affirme Airwars.

Selon ses statistiques, basées sur un recoupement de sources locales, les raids de la coalition anti-EI en Syrie et en Irak ont fait au moins 2 590 victimes civiles depuis 2014. Le nombre de bombardements ayant causé des morts civiles, évalué à 454 en 2016, pointerait déjà à 245 pour l’année 2017.

Outre un possible effet Trump, cette recrudescence s’explique par l’offensive en cours contre Mossoul, la capitale irakienne de l’EI, et la préparation de l’assaut contre Rakka, son pendant en Syrie. En janvier et février, pour la première fois selon Airwars, la coalition conduite par les Etat-Unis a causé la mort de davantage de civils que l’aviation russe, dont l’activité en Syrie a nettement diminué depuis la reprise d’Alep par les forces gouvernementales.

2011-2017 : quel avenir pour la Syrie après six années de guerre ?
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