La première fois qu’elle a vu un de ses enseignants interroger le président russe, Vladimir Poutine, à la télévision, Ysoline Precausta, 21 ans, a été un brin surprise : « Je me suis dit que je n’avais pas atterri n’importe où ! » Cette étudiante à l’EM Strasbourg Business School a choisi de se mêler une année aux 6 000 élèves de l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou (Mgimo – prononcer « m’guimo »), le plus ­réputé des établissements supérieurs de la Fédération de Russie.

Lorsqu’il a été fondé en 1944 et placé sous la tutelle du ministère des affaires étrangères, l’Institut avait pour vocation de former une nouvelle génération de ­diplomates au sortir de la guerre.

Très vite, le Mgimo s’est imposé comme l’antichambre du pouvoir dans l’espace soviétique, ­recrutement des membres du KGB compris. A la fois « lucarne ouverte sur le monde extérieur » et organisateur de séances d’autodénonciation pour « acte antisocial », l’établissement est sommé, à la fin des années 1950, « d’exécuter les directives chaotiques de l’équipe de Khrouchtchev », écrit Andreï Gratchev, passé par le Mgimo avant de ­devenir ­conseiller de l’ex-président Mikhaïl Gorbatchev, dans son ouvrage Le passé de la Russie est imprévisible (Alma, 2014).

L’un des enseignants est Andreï Bezroukov, un ancien espion du KGB expulsé des Etats-Unis après des années d’infiltration

Plus neutre, et plus diplomate, Henry Kissinger surnommait le Mgimo le « Harvard russe ». Dans la Russie de Vladimir Poutine, l’influence du Mgimo est toujours aussi prégnante. La liste des anciens élèves en activité (70 % du personnel du ministère des affaires étrangères) va, à l’étranger, d’Ilham Aliyev, le très autoritaire président de l’Azerbaïdjan, à la Bulgare Irina ­Bokova, directrice générale de l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).

Des quatre coins de la Russie, des étudiants boursiers sont ­recrutés sur critères d’excellence tandis que les plus grandes fortunes de l’espace post-soviétique envoient leurs enfants dans le cursus payant.

Tous sont soumis à des critères de sélection drastiques pour ­accéder aux différentes « écoles » du Mgimo : journalisme, commerce international, droit international… Un panel d’enseignements aussi diversifié que celui de Sciences Po.

53 langues enseignées

Autrefois, les étudiants internationaux de Mgimo étaient principalement issus de l’élite ­mongole, ­cubaine, vietnamienne ou est-européenne. Depuis 2013 et la création d’une licence en quatre ans dispensée en anglais, ils viennent aussi de prestigieux établissements européens ou nord-américains.

Côté français, Sciences Po Paris a fait figure de pionnier en engageant une étroite coopération avec la prestigieuse université, qui s’est notamment concrétisée par un double diplôme en 2005. D’autres établissements ont suivi. Cette année, une trentaine d’étudiants français évoluent sur le campus, dont les imposants bâtiments gris sont situés à une vingtaine de kilomètres de la place Rouge.

Férue de Dostoïevski et de Tolstoï, Sophie Camus, 20 ans, en troisième année à Sciences Po Paris, concrétise son rêve de Russie. En échange pour dix mois, elle commence à déchiffrer l’alphabet ­cyrillique, apprentissage indispensable – « même pour prendre le métro », dit-elle, bien que ses cours soient en anglais. Les débutants ont plus de treize heures de russe par semaine. Les langues sont une spécialité du Mgimo : 53 idiomes y sont enseignés.

A l’Institut, Sophie Camus ­découvre la perception russe des relations internationales, un point de vue qui laisse peu de place à la controverse. En 2014, le professeur ­Andreï Zubov a été renvoyé pour avoir comparé l’annexion de la Crimée à celle de l’Autriche par l’Allemagne nazie. « Certains professeurs sont clairement pro-Poutine, observe ­l’étudiante. D’un autre côté, ces cours nous permettent de mieux comprendre les stratégies de défense de la Russie et de questionner notre perception française. Mais, quand on entend que la Russie œuvre à la paix en Syrie… »

Un des enseignants de Sophie Camus est Andreï Bezroukov, un ancien espion du KGB expulsé des Etats-Unis après des années d’infiltration et dont l’histoire ­rocambolesque a inspiré la série The Americans. Le quotidien au Mgimo n’a toutefois rien d’un scénario de James Bond, hormis peut-être les ­tenues et voitures luxueuses des plus nantis. ­

Les clichés ont la peau dure

Sophie Camus et ses compatriotes récusent fermement les clichés et les fantasmes que ­suscite leur pays d’accueil. « En France, quand on annonce qu’on va partir en Russie, tout le monde nous tombe dessus : ­“Attention, tu vas dans une dictature”. Mais la plupart n’ont ­jamais mis les pieds à Moscou », regrette Alexandra Jullieron, ­venue de Sciences Po Lille. « Il faut démystifier la ­Russie !, ­s’emporte Solal Kapelian, jeune Français inscrit en master au Mgimo et qui se ­destine à la ­diplomatie. Il faut ­aller au-delà des stéréotypes.  Ici, on rencontre vraiment des gens brillants du monde entier.Et ce sont nos ­futurs homologues. » Dans cette perspective, Silvère Milion, passé par l’Institut, a fondé en 2011 une amicale ­destinée aux francophones du Mgimo – ils sont 1 300 cette ­année − et travaille au développement d’un ­réseau d’anciens élèves.

Désormais en poste à Moscou chez Engie (ex-GDF-Suez), Silvère Milion bénéficie de la notoriété du Mgimo : « Un passage par l’Institut est une excellente carte de ­visite auprès des recruteurs, constate-t-il. Même au fin fond de la Russie, tout le monde sait ce que représente le Mgimo ! »

Des doubles diplômes sélectifs franco-russes

Sciences Po Paris, l’ICN Business School de Nancy et l’Ecole ­des hautes études commerciales de Paris (HEC) proposent ­de sélectifs doubles diplômes en master, où la scolarité se partage entre la France et la Russie. Coût : de 37 000 à 44 400 euros à HEC, 13 970 euros à Sciences Po), entre 9 300 et 12 000 euros à ­l’ICN Business School.

Dix établissements français au total ont des accords avec le Mgimo pour y suivre un cursus en anglais ou en russe : Science Po Paris, HEC Paris, Saint-Cyr, les IEP de Lille et Strasbourg, les universités Panthéon-Sorbonne et Sophia ­Antipolis, les écoles de commerce ICN de Nancy, EM Strasbourg et European Business School. Pour obtenir un visa étudiant russe, une invitation du Mgimo, une assurance-­maladie et un test ­du VIH sont requis.