Nommé par le président américain Donald Trump à la Cour suprême, le juge Neil Gorsuch se rend au Congrès, à Washington, le 7 mars. | Aaron Bernstein/Reuters

Désigné par Donald Trump pour siéger à la Cour suprême, Neil Gorsuch passe son grand oral au Sénat lundi 20 mars. Si les auditions confirment sa nomination, le juge de 49 ans remplacera Antonin Scalia, décédé en février 2016.

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Natif du Colorado, Neil Gorsuch siège depuis dix ans à la Cour d’appel fédérale de Denver, dans cet Etat montagneux du cœur de l’Amérique. Sa mère, Anne Gorsuch, a dirigé sous Ronald Regan l’agence de protection de l’environnement américaine (EPA), au début des années 1980. Etudiant brillant, il est passé par l’université Columbia, n’hésitant pas à exposer ses opinions conservatrices dans le Columbia Daily Spectator, avant d’entrer à la prestigieuse Harvard Law School, comme Barack Obama, diplômé la même année, en 1991.

Neil Gorsuch a ensuite travaillé à la Cour suprême comme assistant auprès des juges Kennedy, toujours en activité, et White, aujourd’hui retraité, puis rejoint un important cabinet d’avocats de Washington, spécialisé dans les contentieux complexes, dans l’antitrust entre autres. Il y restera dix ans, avant de traverser l’Atlantique pour compléter sa formation à Oxford, en 2004.

« Froide neutralité »

Sous la présidence de George W. Bush, Neil Gorsuch rejoint brièvement les services du ministère de la justice. Il travaille sur des questions de droit constitutionnel, de droits civils et de réglementations environnementales, très impliqué notamment dans les propositions législatives en faveur du programme d’écoutes téléphoniques sans mandat de l’administration de George W. Bush.

C’est ce dernier qui le nomme juge fédéral à Denver en 2006. Confirmé à l’époque par un vote à l’unanimité des sénateurs, il promet de mettre de côté ses opinions politiques pour « la froide neutralité d’un juge impartial », citant le philosophe politique Edmund Burke.

« C’est le genre de personne qui connaît les noms des agents de sûreté du palais de justice », affirme son ancienne greffière, Theresa Wardon. Mais c’est aussi ce juge qui a écrit que la politique de congés maladie de six mois d’une université était « plus que suffisante » pour une patiente atteinte d’un cancer et au système immunitaire affaibli qui souhaitait obtenir davantage de temps lors d’une épidémie de grippe.

Une vision « originaliste » de la Constitution

Reconnu pour sa rigueur intellectuelle, Neil Gorsuch est soutenu par les conservateurs. Les organisations comme la Federalist Society ou la Heritage Foundation apprécient particulièrement sa vision « originaliste », pour une interprétation de la Constitution conforme à son sens originel, souhaité par ses auteurs. Cette lecture littérale écarte les accommodements liés aux évolutions de la société américaine. Ainsi, les juges ne devraient pas endosser un rôle revenant, selon lui, aux législateurs.

Lire l’article de notre correspondant à Washington, Gilles Paris : Donald Trump restaure la majorité conservatrice à la Cour suprême

M. Gorsuch remet en cause également l’interprétation des questions de droit par les agences fédérales. Il estime par exemple que les services de l’immigration ont outrepassé leur autorité dans certaines affaires. Si ceux-ci s’appuient sur une décision de la Cour suprême de 2005, il rétorque avec une lecture différente, plus restrictive, arguant que le pouvoir des « bureaucraties » cadre difficilement « avec la conception des auteurs de la Constitution ».

Dans la lignée du juge Scalia

Favorable à la peine de mort, M. Gorsuch s’inscrit sur plusieurs points dans la lignée de son prédécesseur, le juge Antonin Scalia, lui-même de l’école originaliste. C’est le cas dans sa défense du quatrième amendement de la Constitution américaine, qui garantit la protection des citoyens face aux perquisitions à leur domicile.

A rebours de la majorité, et comme Antonin Scalia, il considère dans l’affaire Etats-Unis vs Carlos que les policiers ne peuvent pénétrer sur le terrain autour du domicile du prévenu avant de frapper à sa porte, si des panneaux « défense d’entrer » sont bien visibles.

M. Gorsuch s’est rarement prononcé sur le port d’armes, garanti par le deuxième amendement, sur lequel il devra probablement travailler à la Cour suprême. Sa proximité avec M. Scalia, ses positions conservatrices et sa lecture originaliste de la Constitution incitent nombre de propriétaires d’armes à feu à penser qu’il protégera leurs intérêts.

Mais ses opinions restent un mystère. « Nous ne savons pas, par exemple, s’il croit que les gens ont le droit de porter des armes en public », affirme Adam Winkler, professeur de droit à l’université de Californie et auteur d’un livre sur le sujet.

Sur les questions environnementales, M. Gorsuch serait trop proche des positions du juge disparu pour être considéré comme un ami de la nature, selon ses détracteurs. Cependant, dans ses décisions, il n’a pas toujours tranché en faveur des entreprises. A Denver, il a voté, en 2015, en faveur d’une loi du Colorado pour que 20 % de l’électricité fournie aux habitants soit d’origine renouvelable.

En 2010, il s’est rangé du côté de l’EPA contre une entreprise de magnésium, à propos d’une réglementation sur les sous-produits – les déchets – de l’activité minière dans l’Utah. Mais il a aussi combattu contre l’agence, la même année, dans le cadre du classement d’un territoire indien au Nouveau-Mexique, alors qu’une société cherchait à obtenir un permis d’exploitation minière.

L’avortement en question

Le juge Gorsuch se montre particulièrement attaché à la liberté religieuse. Ce principe a motivé sa décision dans une affaire de prise en charge de frais de contraception par des entreprises, dans le cadre de l’Obamacare. Même s’il n’a jamais émis de déclaration fracassante sur l’avortement, il a tranché en 2013 en faveur de l’entreprise Hobby Lobby, opposée au remboursement de pilules du lendemain. Cette chaîne de magasins, spécialisée dans la vente au détail d’articles de décoration, s’est fixée comme but « d’honorer le Seigneur dans toutes ses activités », selon son site Internet officiel.

CNN rapporte ce qu’a écrit M. Gorsuch à ce sujet :

« Pour certains, la religion procure une source essentielle d’orientation à la fois sur ce qui constitue un comportement fautif et sur l’évaluation de la responsabilité morale de ceux qui aident les autres à se comporter de cette manière. »

Or, Donald Trump a l’intention de réexaminer l’arrêt Roe vs Wade, qui a inscrit dans la Constitution le droit à l’avortement, en 1973. La décision de remettre ou non en question l’interruption volontaire de grossesse reviendrait alors aux Etats.

C’est encore au nom de la liberté religieuse que Neil Gorsuch défend le cas d’un prisonnier, dont les gardiens défendent l’accès à une hutte à sudation – un rituel de la spiritualité amérindienne. Le juge justifie sa décision par l’importance de pouvoir pratiquer sa foi, même derrière les barreaux.

Il a également développé en 2006 des arguments contre l’euthanasie et sa légalité, dans un livre intitulé The Future of Assisted Suicide and Euthanasia. S’il est confirmé, M. Gorsuch deviendra l’unique protestant dans une Cour suprême composée exclusivement, depuis 2010, de juges de confessions catholique ou juive.