Jean Lemierre au siège de BNP Paribas, en septembre 2016. | Samuel Kirszenbaum/Pour Le Monde

S’il juge que la Place de Paris est en bonne position pour tirer profit du Brexit, Jean Lemierre, président du conseil d’administration de BNP Paribas, redoute surtout que les négociations avec Londres se traduisent par le gel des grands chantiers européens. Ancien patron du Trésor et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, il est convaincu que le couple franco-allemand va se renforcer autour des questions de sécurité et de défense.

La Banque centrale européenne (BCE) s’est réunie jeudi 8 septembre. Les taux de dépôts négatifs qu’elle pratique nuisent-ils aux banques ?

La politique monétaire dans son ensemble a, jusqu’ici, eu un impact positif sur l’économie, ce qui est aussi bon pour les banques. Les taux négatifs suscitent néanmoins beaucoup de débats, car, avec eux, l’économie change de boussole. Il serait raisonnable que la politique monétaire se stabilise. Il ne faudrait pas que les taux s’enfoncent d’avantage en territoire négatif – d’autant qu’il n’est pas prouvé que cela soit plus efficace.

Les prix de certains actifs immobiliers sont en hausse, mais ce ne sont pas encore les signes avant-coureurs du début d’une crise.

Des bulles spéculatives sont-elles en train de se former ?

A ce stade, non, mais des incertitudes pèsent sur la valorisation des actifs, l’érosion de l’épargne à long terme ou la modification des critères d’investissement. Les prix de certains actifs immobiliers sont en hausse, mais ce ne sont pas encore les signes avant-coureurs du début d’une crise.

Les banques sont-elles fragilisées ?

Le modèle de base des banques européennes de détail consiste à transformer des dépôts en prêts. Quand les taux d’intérêt de long terme baissent pour se rapprocher de ceux de court terme, comme on l’observe aujourd’hui, leurs marges s’érodent. Les établissements n’ont donc guère le choix : ils doivent s’adapter à cette nouvelle donne. C’est ce que fait BNP Paribas, aidée en cela par ses activités diversifiées.

Les banques peuvent-elles en faire plus pour soutenir l’économie ?

Le secteur est aujourd’hui pris en étau entre plusieurs contraintes. D’un côté, les banques subissent la baisse de leur rentabilité liée à ce contexte de taux. De l’autre, les régulateurs resserrent les contraintes. A la suite de la crise de 2008, le régulateur a exigé des établissements qu’ils augmentent leurs fonds propres et réduisent la taille de leur bilan, afin de limiter les risques. Les banques ont répondu à ces exigences, grâce à quoi le secteur est aujourd’hui plus solide et sûr. Et il n’y a pas eu de dysfonctionnements au niveau du crédit.

Mais cela pourrait bien se produire…

Désormais, il faut veiller à ce que les réglementations en préparation ne fragilisent pas l’offre de crédit. Car l’économie européenne se trouve à cet instant critique où la relance de la consommation doit être suivie par une reprise de l’investissement. C’est une phase sensible où le crédit doit soutenir la croissance et non la brider. Il est également fondamental que l’Europe améliore le fonctionnement de ses marchés de capitaux pour permettre aux entreprises de trouver des financements en complément des banques. Il est essentiel que le Brexit ne ralentisse pas ces progrès prioritaires, ni d’autres d’ailleurs.

Pourquoi ?

Nous sommes partis pour au moins deux ans de négociations avec le Royaume-Uni. Le risque serait que l’Europe ne prenne plus de décisions durant cette période. Or, le chantier de l’Union des marchés de capitaux ou, dans un autre domaine, le chantier du numérique, sont des exemples de sujets majeurs. Nous n’allons pas attendre deux ans pour créer des plates-formes numériques européennes.

Je suis convaincu d’une chose : face à la tentation du repli qui s’exprime ici ou là et à laquelle ont cédé les Britanniques, engageons dès aujourd’hui un grand sursaut de l’économie européenne. Et ce, pour répondre aux attentes légitimes des Européens en matière de prospérité et de sécurité.

Le risque, c’est surtout de se ­retrouver avec un centre financier offshore à 2 h 15 de Paris…

Pas si l’Europe défend sa souveraineté et continue d’améliorer sa compétitivité. Ce sont les ­autorités européennes et en ­particulier celles de la zone euro qui décident où passe sa monnaie, comment fonctionnent les infrastructures financières. Ce sont elles qui décident de ­délivrer ou de retirer le passeport européen, qui permet aux institutions financières internationales agréées à Londres de proposer leurs produits dans les pays voisins.

En optant pour le Brexit, le Royaume-Uni a rejeté le partage de souveraineté instauré au sein du projet communautaire. Il serait légitime que les autorités européennes en tirent les conséquences. L’Europe a une responsabilité vis-à-vis des citoyens, des épargnants ou des entreprises : il lui sera difficile de déléguer cette souveraineté à un tiers.

Le Brexit va contribuer au développement des activités financières en Europe continentale. Paris et Francfort me paraissent être les deux places les mieux placées pour en bénéficier.

La Place de Paris profitera-t-elle du Brexit ?

Le Brexit va contribuer au développement des activités financières en Europe continentale. Paris et Francfort me paraissent être les deux places les mieux placées pour en bénéficier. Paris a des atouts à faire valoir. J’espère que les mathématiciens français qui ont contribué au succès de la City aideront au développement de Paris.

Avancer sur le projet européen nécessite un couple franco-allemand fort. Or, ce dernier paraît plutôt affaibli…

Je crois au contraire que tout concourt à son renforcement. L’éloignement du Royaume-Uni et la montée du risque terroriste poussent en effet au rapprochement et à l’intégration renforcée entre Paris et Berlin sur les sujets de sécurité et de défense. La coopération est tout aussi nécessaire sur les projets concrets, tels que l’Europe numérique, susceptibles de contribuer à la croissance.

Bien sûr, en matière budgétaire, l’entente nécessitera un peu plus de discipline française et un peu plus de solidarité allemande. Les conditions du sursaut de l’économie européenne sont réunies. Je suis confiant.

La Grèce et l’Italie sont-elles les maillons faibles de l’union monétaire ?

La Grèce va mieux. Les partenaires européens devront tôt ou tard s’entendre sur l’inévitable restructuration de sa dette publique, tandis qu’Athènes a encore des efforts à fournir en matière de réformes, mais rien ne paraît insurmontable.

En Italie, le secteur bancaire est trop fragmenté et est fragilisé par un montant important de créances douteuses. Sa restructuration est indispensable. Elle prendra du temps mais les solutions existent.

La zone euro pourrait-elle revivre la crise de 2012 ?

Je ne crois pas : la zone euro est beaucoup plus forte. La BCE a pris des mesures pour sauver l’euro, le superviseur bancaire unique européen a été créé, des pare-feu financiers tels que le Mécanisme européen de stabilité ont été instaurés. De fait, le référendum du 23 juin sur le Brexit n’a pas été suivi d’un drame sur les marchés et a prouvé la solidité de la zone euro.

Le prochain test sera de résister à la tentation du repli et d’œuvrer à une plus grande intégration financière, avec des règles bancaires homogènes et une meilleure circulation des capitaux entre les pays, indispensable à la prospérité économique.

Les banques françaises ont-elles la possibilité d’accompagner les entreprises qui veulent se développer en Iran ?

On assiste en Iran à une levée très partielle et très lente des embargos. Ce marché reste donc fermé pour des banques comme la nôtre.