Images tirées du jeu vidéo « Battlefield 4 ». | Electronic Arts

Un vendredi soir à Erbil. Mithak Al-Khatib, 19 ans, traîne affalé sur un canapé, dans une maison du quartier chrétien d’Ankawa, dans la capitale de la province autonome du Kurdistan irakien. Il joue sur PlayStation à Battlefield 4 : un standard du jeu de tir. Dans un champ de bataille – ce soir-là, la « map », le plateau, se situe quelque part en Chine –, deux équipes s’affrontent en réseau pour le contrôle de quatre bases. Les autres joueurs, alliés et ennemis, inconnus de Mithak, sont disséminés à travers le Proche-Orient. « Il y a plein de Saoudiens », rigole le jeune homme, en pointant les drapeaux associés à leurs pseudonymes.

Mithak s’ennuie. Il décompresse. Mossoul est à 70 km à l’ouest. Depuis le 17 octobre 2016, date du début des opérations de reconquête par les forces irakiennes de la ville, aux mains de l’organisation Etat islamique (EI), le jeune homme passe son temps sur le champ de bataille. Le vrai. Originaire de la province sunnite irakienne de l’Anbar, Mithak Al-Khatib est lycéen à l’école américaine d’Erbil, mais il a délaissé les classes cet été. Il s’est fait traducteur, puis « fixeur » pour les journalistes qui couvrent la bataille de Mossoul ; et il est devenu journaliste lui-même, pour un média en ligne irakien. Il a appris à ­connaître les soldats qui gardent les points de passage, et des officiers qui mènent les opérations. Il suit les événements. Et la guerre contamine ses loisirs.

Considéré comme un « troll »

Sur Battlefield, il est considéré comme un « troll ». Il ne joue pas selon les règles. Mithak s’amuse à fixer des charges d’explosif (du C4) sur un véhicule rapide et maniable (un quad, un blindé léger), à bord duquel il file vers les lignes ennemies. Il cherche un rassemblement de combattants, s’y précipite. Du fond de son canapé, il se jette en l’air et crie « Takbir ! » : une louange à Dieu. Mort de rire, il a fait sauter son véhicule et son personnage avec. On reste interdit. Mithak utilise la principale arme offensive de l’EI dans la bataille de Mossoul, où les forces irakiennes ont été surprises par la flotte de voitures-suicides que les djihadistes ont lâchées sur elles, au fil de la reprise des quartiers occidentaux de la ville.

Mithak n’est pas le seul à jouer les kamikazes virtuels. Sur les forums, les fans de Battlefield débattent de longue date de ces attaques-suicides. Certains les jugent moralement condamnables. D’autres rappellent qu’elles sont contre-productives : elles enregistrent une mort au débit de l’équipe. Battle­field est un joyeux défouloir, mais, en équipes coordonnées, les joueurs peuvent développer une stratégie, utiliser raisonnablement les différentes armes, faire preuve de savoir-faire. Le « martyre », à la portée du premier venu, est jugé grossier. ­Mithak n’en a cure. Son personnage ressuscite. Il se relance à l’assaut, encore et encore.

Sur le front de Mossoul-Ouest, en images