Des cartes d’identité nationales, vérifiées afin de déceler d’éventuels défauts au centre d’établissement de la carte d’identité française de Limoges, le 25 février 2010. | JEAN-PIERRE MULLER / AFP

Ni homme ni femme, Jean-Pierre n’a ni pénis ni vagin. A 65 ans, il souhaite voir figurer la mention « sexe neutre » sur son état civil. Sa requête est validée par le tribunal de grande instance de Tours en août 2015, puis cassée en appel, en mars 2016. La Cour de cassation s’est saisie de l’affaire, et a auditionné, mardi 21 mars, son avocat, Me Périer.

Lire notre analyse de la décision du TGI de Tours : Sexe neutre : un nouveau genre ?

Difficile d’établir des statistiques fiables, mais cette condition intersexe toucherait une naissance sur deux cents, d’après les auditions menées par la sénatrice Maryvonne Blondin (PS), coauteure d’un rapport sur le sujet.

Cofondateur de l’Organisation internationale des intersexes (OII), Vincent Guillot a assisté à l’audience. La Cour de cassation rendra son arrêt le 4 mai.

Que retenez-vous de l’audience de la Cour de cassation sur la demande d’inscription à l’état civil en « sexe neutre » ?

Vincent Guillot : La personne requérante a quinze ans de plus que moi, nous avons le même parcours, sauf que j’ai été mutilé. C’est un ami. L’argumentation de son avocat était vraiment excellente. J’ai senti en revanche une forme de mépris de classe de la part de l’avocat général [qui représente le ministère public devant la Cour de cassation]. Il a pris des exemples mal à propos envers notre condition de personnes intersexuées. Il a utilisé des allégories douteuses, entre « le jour et la nuit » ou encore « le fuseau horaire de Strasbourg et celui de Brest ». C’est très violent ! Son discours, ses arguments, sont en décalage total avec ce que nous vivons. Le no man’s land juridique produit une vie dégradée.

J’ai encore passé le week-end avec des jeunes intersexes : ils n’ont même pas accès à un hébergement d’urgence, car il faut présenter sa carte d’identité. Or, le sexe inscrit, masculin ou féminin, ne correspond pas toujours à leur apparence physique. Pareil pour l’accès au droit alimentaire, au logement... Pourquoi ne prend-pas en considération cette urgence ?

Vous êtes l’un des premiers en France à mener le combat pour la reconnaissance de votre condition, depuis près de vingt ans. Que revendique votre mouvement, l’OII ?

L’arrêt des mutilations, l’accompagnement à l’autodétermination, l’accompagnement psychologique des parents et, à terme, l’abolition de la mention de sexe pour tous les citoyens. C’est ce que nous avons déclaré, avec tous les mouvements intersexes, lors d’une réunion à Malte en 2013. Nous ne voulons surtout pas de droits spécifiques, simplement le respect des droits fondamentaux. Pas besoin d’un sexe « neutre » ou « intersexe », stigmatisant. Il faudrait qu’un enfant déclaré par ses parents dans l’un des deux sexes puisse changer de catégorie plus tard sur simple demande. C’est d’ailleurs ce que recommande le Défenseur des droits. Et quand ce sera possible, l’idéal serait d’abolir la mention de sexe, comme on l’a fait pour la race ou la religion... Les seules données intangibles dans l’état civil, ce sont le nom, le lieu et la date de naissance. Le reste, ce sont des choix de société.

Que pensez-vous du rapport sénatorial du 23 février sur ce problème (« Variations du développement sexuel : lever un tabou, lutter contre la stigmatisation et les exclusions ») ?

Enfin, l’Etat prend en compte notre existence ! C’est une grande satisfaction, de même que la mise en lumière de l’absurdité des arguments des médecins pour nous mutiler. S’il existe un problème vital, l’enfant doit être opéré. Mais l’utilisation systématique d’un vocabulaire médical et péjoratif, comme « atteint de troubles sexuels » alors qu’il s’agit simplement d’une condition différente, est inacceptable. Par contre, les auteures du rapport se sont ralliées à une position des médecins que j’estime grave : il y aurait d’un côté des personnes intersexuées, de l’autre les personnes atteintes d’hyperplasie congénitale des surrénales (HCS), considérées comme des « femmes ratées », à traiter. C’est un problème, nous allons réagir sur ce point, car elles ne sont pas pour nous une catégorie à part.

Lire notre compte-rendu du rapport : Le Sénat veut lever le tabou des enfants intersexes

Je suis très confiant. Après les condamnations de la France, par les Nations unies notamment, je pense qu’à court terme, nous obtiendrons des avancées, en particulier l’arrêt des mutilations génitales sur les enfants. Le président de la République lui-même, vendredi 17 mars, a déclaré dans le cadre d’une cérémonie à l’Elysée qu’il fallait interdire ces opérations : c’est la première fois au monde qu’un chef d’Etat prend une position aussi forte en public. Même si cela reste symbolique, pour le moment.