Documentaire sur France 2 à 22 h 55

Maurice Clavel: "messieurs les censeurs bonsoir!"
Durée : 03:58

Rien de nouveau ou presque sous le soleil noir de la censure. La religion, le sexe et la ­violence demeurent encore et ­toujours au centre de toutes les attentions, de toutes les sentences, de toutes les condam­nations, de toutes les exactions parfois tragiques.

Pourtant, entre l’interdiction par l’Etat, en 1966, de La Religieuse de Jacques Rivette et les actions menées par les intégristes de Civitas en 2011 contre la pièce de Romeo Castellucci Sur le Concept du visage du fils de Dieu, ou, dans sa forme la plus terrible, l’attentat terroriste qui a décimé l’équipe de Charlie Hebdo en 2015, un lent et profond mouvement s’est opéré qui a vu la ­censure changer de camp, comme l’explique Valérie Manns en préambule de son documentaire : « La France, en faisant le pari de l’ouverture et de la tolérance, a quasiment abandonné la censure d’Etat à la société. Il y a désormais une censure officielle et une censure officieuse, une censure visible et une censure invisible. »

Pour appuyer sa démonstration et analyser les conséquences de cette mutation, la réalisatrice a puisé abondamment dans ­l’histoire des scandales qui ont émaillé ces soixante-dix dernières années, mêlant approche chronologique et thématique.

« Minorités furieuses »

Ainsi à partir de nombreux cas puisés dans les domaines de l’art, du cinéma, de la littérature, du théâtre, de l’humour ou de la ­caricature, Valérie Manns décrit les différentes instances de ­contrôle mises en place par l’Etat (commission de classification des films, commission de la presse jeunesse, ministère de l’information), analyse leur action en regard de celle de la société et souligne les intentions, autres que morales ou politiques, qui ont présidé à la création de ces organes. A savoir celle de défendre les intérêts économiques français contre l’invasion de la culture américaine lors des années 1950-1960.

Au fil du temps et de l’évolution des mœurs, en particulier après Mai 68, les critères s’émoussant, l’étau se desserre autour de la création artistique et de l’information. Avec, au tournant des années 1980-1990, la libéralisation des ondes radio et télévisuelles ou encore la suppression de la mention « – de 18 ans » sur les films.

Alain Escada, président de Civitas. | KENZO TRIBOUILLARD/AFP

Mais dans cet espace de liberté et de tolérance vont s’engouffrer de nouveaux acteurs issus de « minorités furieuses » dont certains ont accepté de témoigner. Tels Dalil Boubakeur, grand recteur de la mosquée de Paris, qui déposa plainte en 2006 contre Charlie Hebdo ; Alain Escada, président de Civitas, mouvement catholique intégriste qui milite pour que la notion de blasphème soit réintégrée dans le droit français ; André Bonnet, avocat de l’association Promouvoir, « bête noire » des distributeurs de films, qui a mené croisade entre autres contre Baise-moi ou La Vie d’Adèle.

Ces messieurs les censeurs – pour reprendre le titre du documentaire, clin d’œil à l’illustre phrase de Maurice Clavel lancé sur le plateau de l’émission télévisée « A armes égales » – ne représentent cependant que la partie visible d’une censure qui ne cesse de s’étendre aux médias, par le biais économique, et à Internet. Protéiforme et moins identifiable, celle-ci est désormais bien plus difficile à combattre.

Un enjeu en ces temps de crispation, de peur et de repli identitaire que Valérie Manns ne souligne que peu dans son documentaire. La trop grande densité du propos – illustré notamment par l’abondance d’exemples et d’allers-retours historiques – nuit à la clarté de sa démonstration.

Messieurs les censeurs, bonsoir ! de Valérie Manns (Fr., 2017, 70 min).