Le président brésilien, Michel Temer, et l’ambassadeur de l’Angola, Nelson Manuel Cosme, à Brasilia, le 19  mars. | Eraldo Peres / AP

L’air faussement décontracté, il a englouti aux côtés d’une vingtaine de représentants de pays étrangers saucisse, agneau, bavette et divers morceaux les plus tendres et les plus savoureux du bœuf lors d’une « churrascaria », un barbecue typiquement brésilien. Une heure plus tard, satisfait et repu, le président brésilien Michel Temer a quitté le restaurant Steak Bull de Brasilia, certain que les diplomates avaient « parfaitement compris le message ».

Las, malgré ce dîner estimé à 14 000 reais (4 240 euros), organisé dans l’urgence dimanche 19 mars, le chef d’Etat n’a su contenir un début de panique liée à la mise au jour du scandale dit de la « carne fraca », la viande avariée brésilienne. Lundi, l’Union européenne (UE), la Chine, la Corée du Sud et le Chili ont décidé d’interrompre les importations de viande issue des entreprises mises en cause dans la fraude économique et sanitaire rendue publique deux jours plus tôt.

« Nous avons demandé au Brésil de retirer immédiatement tous les établissements impliqués dans la fraude de la liste » des sociétés approuvées par l’UE pour l’exportation, a déclaré Enrico Brivio, porte-parole de l’exécutif européen cité par l’AFP lors d’un point presse. Quelques heures plus tard, le ministère de l’agriculture brésilien a affirmé avoir suspendu la licence d’exportation de 21 entreprises mises en cause, qui restent autorisées à commercialiser leur produit sur le marché intérieur.

Trente-sept mandats d’arrêt ont été lancés

L’effroi de l’UE comme d’une partie des autres importateurs de viande brésilienne fait suite à la déflagration provoquée, vendredi, par l’opération policière baptisée « carne fraca ». Une offensive spectaculaire lancée contre une trentaine de sociétés dont deux géants de la viande au Brésil : BRF, propriétaire des marques Sadia et Perdigao, et JBS, à la tête de Friboi, Seara et Big Frango. Les industriels sont soupçonnés d’avoir falsifié la qualité des viandes commercialisées sur le marché national et à l’exportation par le biais d’une vaste « organisation criminelle » menée avec la complicité d’agents du ministère de l’agriculture rétribués en pots-de-vin. Trente-sept mandats d’arrêt ont été lancés, dont deux visant deux hauts responsables de JBS et BRF.

La police parle de viande vendue malgré une date de péremption dépassée, d’acide sorbique, potentiellement cancérigène, injecté dans les morceaux afin d’améliorer l’apparence d’une viande « pourrie », ou encore de cantines d’écoles qui auraient reçu des saucisses à la dinde ne contenant pas de dinde mais de la protéine de soja, de la fécule de manioc et du poulet et enfin des morceaux contaminés à la salmonellose envoyés sur le marché de l’exportation.

L’enquête tendrait à prouver que les industriels exerçaient une pression auprès du ministère de l’agriculture afin de choisir eux-mêmes les agents chargés des contrôles à grand renfort de dessous-de-table. « Un scénario désolant », a commenté vendredi le juge Marcos Josegrei da Silva, qui a réclamé les arrestations.

Proximité malsaine pouvoirs publics et secteur privé

L’affaire « carne fraca » renforce l’image de cette proximité malsaine entretenue entre les pouvoirs publics et le secteur privé au Brésil déjà mise au jour par l’opération dite « Lava Jato » (lavage express) en 2014 : un vaste scandale de corruption mêlant l’entreprise pétrolière publique Petrobras, des géants du bâtiment et des travaux publics (BTP) comme Odebrecht, et une kyrielle de politiciens de tout bord.

Dans un pays ravagé par deux années de profonde récession, ce nouveau scandale prend des allures de tragédie. Acteur majeur sur le marché de la viande, premier exportateur de viande bovine, le Brésil peut redouter de voir des ventes à l’export s’effondrer. Un marché de 15 milliards de dollars (14 milliards d’euros par an), souligne le ministre de l’agriculture, Blairo Maggi. Le secteur de la viande emploie plus de 7 millions de personnes et représente 15 % des exportations brésiliennes et selon le cabinet d’analyse Capital Economics, ce scandale « pourrait faire dérailler la reprise économique du pays », car « le Brésil fait face à une perte potentielle d’exportations d’environ 3,5 milliards de dollars, l’équivalent de 0,2 % du PIB ».

Si les importateurs cessent d’acheter la viande brésilienne ce serait un « désastre », a ajouté M. Maggi évoquant l’importance de la Chine et de l’UE, le second marché d’exportation présenté comme une « carte de visite ». « J’espère, je prie, je pense, je travaille pour que ça n’arrive pas. »

Contre-feux

Pouvoirs publics et industriels allument donc les contre-feux pour minimiser l’affaire. « Il ne faut pas généraliser (…) 99,5 % du secteur est à jour, offrant des produits sains (…). C’est absurde de tout mélanger, de généraliser, de vendre l’idée que le Brésil ne vaut rien, que tout est pourri. (…) C’est le contraire, nous sommes le pays avec la plus grande biosécurité », a défendu Francisco Sergio Turra, président des exportateurs de protéine animale lors d’un entretien au quotidien la Folha de Sao Paulo, lundi. Tandis que M. Maggi pointait la veille les « erreurs techniques » de l’enquête.

« Sur les irrégularités mentionnées, aucune ne comporte de risque pour la santé », assure aussi Marise Aparecida Rodrigues Pollônio, professeure à l’université Unicamp dans l’Etat de Sao Paulo.