François Fillon doit faire face, cette semaine, à de nouvelles révélations dans les affaires d’emplois présumés fictifs de son épouse et de ses enfants, l’enquête ayant été élargie à des faits de « faux et usage de faux » et d’« escroquerie aggravée ». Peut-il se retrouver en correctionnel avant le premier tour ? L’affaire Bruno Le Roux est-elle du même ordre ? Que peut-il se passer si François Fillon est élu président de la République ? Franck Johannès, spécialiste justice au Monde, a répondu à vos questions lors d’un tchat, mercredi 22 mars.

Chantal-france : Bonjour M. Johannès. Quelles sont les sources sur les suspicions de faux qui auraient été faits par les Fillon pour prouver l’activité de Pénélope Fillon ?

Franck Johannès : Les journalistes ont à cœur de se tenir au plus près de l’information, mais n’ont pas pour habitude de donner leurs sources. Il est cependant factuel que le Parquet national financier (PNF) a donné un réquisitoire supplétif (c’est-à-dire supplémentaire) aux trois juges d’instruction chargés des affaires Fillon pour « escroquerie aggravée, faux et usage de faux ». Les avocats des mis en cause l’ont appris en lisant le journal.

Jean Peuplu : A-t-il des chances de se retrouver en correctionnel avant le premier tour ?

Absolument pas. S’ouvre, depuis la mise en examen le 14 mars de François Fillon une longue période d’enquête d’une part, de possibilités d’agir pour la défense d’autre part, ce qui n’était pas le cas avant sa mise en examen. En l’occurrence, si François Fillon n’a aucun moyen de faire annuler pour le moment sa mise en examen, il a six mois – jusqu’au 14 septembre, donc – pour faire valoir des « nullités » : c’est-à-dire pour déposer une requête devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, où il pourra contester point par point les procédures et les actions dont il fait l’objet. C’est l’article 173 du code de procédure pénale.

Après ces six mois, M. Fillon pourra demander aux juges de bénéficier du statut de « témoin assisté », c’est-à-dire mis en cause dans la procédure mais non pas suspecté d’un quelconque délit. Si le juge refuse, il pourra à nouveau saisir la chambre de l’instruction pour sortir du statut, toujours un peu pénible pour un politique, de mis en examen.

Jeannot : L’usage de faux pourrait-il faire l’objet d’une poursuite indépendante de l’affaire principale et d’un jugement rapide, ce qui empêcherait M. Fillon de se présenter ?

Non plus. Les juges sont chargés d’instruire à charge et à décharge pour « détournements (au pluriel) de fonds publics », « abus de bien sociaux et recel » (concernant les activités supposées fictives de Penelope Fillon), « manquement aux obligations déclaratives » à la haute autorité – il s’agit notamment du « prêt » de 50 000 euros de Marc Ladreit de Lacharrière, et possiblement de la fourniture des costumes.

S’y ajoutent désormais « l’escroquerie aggravée », aggravée parce que le parquet considère qu’elle pourrait avoir été commise par « une personne dépositaire de l’autorité publique » (article 313-2 du code de procédure pénale), « faux et usage », s’il s’avère que les Fillon ont donné de faux documents à l’Assemblée nationale, et enfin « trafic d’influence ».

Pour l’heure, François Fillon n’a pas été mis en examen ni pour l’escroquerie, ni pour les faux, ni pour le trafic d’influence. Il semble à peu près certain que M. Fillon sera à nouveau convoqué par les juges pour s’expliquer sur ces infractions supposées, et peut-être mis en examen. Il ne s’agira donc pas de poursuites indépendantes, et ne dissuaderait pas plus aujourd’hui qu’hier François Fillon de se présenter à l’élection présidentielle.

Duc : Dans quelle mesure la loi réduisant le délai de prescription sur les délits financiers pourrait limiter la portée des affaires reprochées aux Fillon ? Enfin, y a-t-il une forme de délit spécifique à l’application d’une loi « consensuelle » dans le genre d’un délit d’initié ?

L’article 4 de la loi du 16 février modifie effectivement les règles de la prescription et n’a, par définition, jamais encore été appliqué. C’est cependant pour ne prendre aucun risque que le Parquet national financier, qui entendait renvoyer directement François Fillon et sa famille devant le tribunal correctionnel, a jugé plus sage d’ouvrir une information judiciaire, confiée à des juges statutairement indépendants.

Ce faisant, le parquet interrompait la prescription par ce qu’on appelle « la mise en mouvement de l’action publique » avant que la nouvelle loi ne complique le dossier. Aujourd’hui donc, la nouvelle loi sur les délais de prescription ne concerne en rien le(s) dossier(s) Fillon.

Quant au risque « d’une loi consensuelle dans le genre d’un délit d’initié », c’est non. Ce ne sont pas les amis politiques de M. Fillon qui sont majoritaires à l’Assemblée nationale, les députés ont pris leurs responsabilités.

Arthur : Pouvez-vous nous confirmer que le Conseil constitutionnel ne prononcerait pas le report de l’élection en cas de renoncement volontaire de M. Fillon ? Même si cela n’arrivera sans doute pas, sa position est intenable.

On ne peut rien confirmer du tout : le cas ne s’est jamais produit, et il y a peu de chances qu’il se produise aujourd’hui. Le Conseil constitutionnel pourrait être saisi (il ne se saisit pas tout seul), si un candidat était « empêché ». Que signifie empêché ? Ce sera au Conseil de le dire.

Puisque François Fillon est effectivement candidat, il serait difficile de dire qu’il est empêché. Le cas a failli se produire en 2012 lorsque la candidate écologiste, Eva Joly, avait été hospitalisée après une mauvaise chute dans l’escalier. Les juristes avaient discuté de la situation, mais la candidate s’était vite remise et le Conseil n’a jamais été saisi sur ce point.

Mika78 : M. Fillon est mis en examen, Mme Fillon le sera probablement aussi le 28 mars, mais qu’en est-il de ses enfants également suspectés d’emploi fictif au Sénat ?

Penelope Fillon est convoquée le 28 mars, mais il est fort probable que ce soit, ou à une autre date, comme son époux, ou en un autre lieu, plus discret. La rue des Italiens, à Paris, où se situe le pôle financier, est une petite rue étroite, presque une impasse, où il est difficile d’échapper à une nuée de caméras.

Marc Joulaud, de son côté, a indiqué qu’il était convoqué « dans les prochains jours ». Il ne fait guère de doutes que deux des enfants Fillon seront eux aussi convoqués et mis en examen. Mme Fillon et ses deux enfants ne sont pas protégés par une quelconque immunité (François Fillon bénéficie, lui de l’immunité parlementaire, Marc Joulaud de l’européenne). Ils peuvent donc être convoqués à tout moment et y être contraints, eux, par la force.

Lilavert : Peut-il y avoir mise en examen sans renvoi devant le tribunal correctionnel ? Si oui, par qui cela est-il décidé ? Le parquet peut-il faire appel de ce non-renvoi ?

Bien entendu, et heureusement. A la fin de l’enquête, les magistrats instructeurs décideront s’ils estiment les charges suffisantes pour renvoyer les mis en examen devant un tribunal ; ils peuvent décider de non-lieu partiels, voire de non-lieu tout court.

Le parquet, auparavant, aura eu connaissance de l’ensemble de la procédure, et rédigera un « réquisitoire définitif » – il donnera son avis sur la culpabilité éventuelle des uns et des autres. Les juges ne sont pas obligés de le suivre – ils ne sont d’ailleurs pas toujours d’accord entre eux, on l’a vu dans l’affaire Bygmalion où l’un des juges a refusé de renvoyer Nicolas Sarkozy devant le tribunal.

Si le parquet, après « l’ordonnance de renvoi » des juges devant le tribunal est en désaccord, il peut lui aussi saisir la chambre de l’instruction qui validera ou non la décision des juges.

Anfield : Même si François Fillon est élu président de la République, la justice pourra toujours mener son enquête auprès de son entourage. Mais, avec son immunité, comment les juges pourront-ils poursuivre la procédure à 100 %, vu qu’il sera impossible de l’auditionner ?

Les juges feront comme pour les prédécesseurs de son courant politique, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Ils pourront continuer à enquêter mais pas convoquer le président de la République. Il leur faudra alors attendre la fin de son mandat – cinq ans, voire dix s’il est réélu.

Aldomaccione : Quelle est la position du « Monde » sur le secret de l’instruction ?

Simple et légale. Le secret de l’instruction ne s’applique, aux termes de l’article 11 du code de procédure pénale, aisément consultable sur Internet, qu’à « toute personne qui concourt à la procédure ». Les journalistes, sauf erreur, n’y concourent pas. Certes, la procédure est censée être secrète, quelqu’un trahit donc le secret de l’instruction. Quel lecteur s’en plaindrait ? Faut-il attendre une condamnation définitive pour faire état d’une condamnation ? Imaginons un instant que François Fillon soit élu à l’Elysée, qu’il soit ensuite condamné, fasse appel, se pourvoit en cassation, nous serions sensiblement en 2020. Je crains qu’il ne soit alors plus la peine de faire un tchat pour parler de tout ça.

Disons qu’à ce stade, elle y ressemble fort. Bruno Le Roux est soupçonné d’avoir employé ses deux filles de 15 ans et 16 ans comme assistantes parlementaires, avec 24 contrats à durée déterminée et pendant des périodes où elles faisaient leurs études ou étaient en entreprise. Les fonds (publics, nos impôts) reversés aux élus de la République pour qu’ils puissent remplir, grâce à l’aide de leurs collaborateurs, leur mission de service public ne sont pas censés être distraits à d’autres fins ou pour arrondir les fins de mois. Il semble fortement s’agir là, encore plus nettement peut-être que pour Penelope Fillon, d’un détournement de fonds publics – qui est puni, on le rappelle, d’un maximum de dix ans de prison et d’un million d’euros d’amende.

Ch : La procédure à l’encontre de M. Le Roux, est-elle exactement la même que celle à l’encontre de M. Fillon ?

Disons qu’à ce stade, elle y ressemble fort. Bruno Le Roux est soupçonné d’avoir employé ses deux filles de 15 ans et 16 ans comme assistantes parlementaires, avec 24 contrats à durée déterminée et pendant des périodes où elles faisaient leurs études ou étaient en entreprise. Les fonds (publics, nos impôts) reversés aux élus de la République pour qu’ils puissent remplir, grâce à l’aide de leurs collaborateurs, leur mission de service public ne sont pas censés être distraits à d’autres fins ou pour arrondir les fins de mois.

Il semble fortement s’agir là, encore plus nettement peut-être que pour Penelope Fillon, d’un détournement de fonds publics – qui est puni, on le rappelle, d’un maximum de dix ans de prison et d’un million d’euros d’amende.