Il convient de protéger les enfants des images de maltraitance dans les abattoirs. | Ethique & Animaux L214

Une nouvelle vidéo choc de l’association L214, publiée le 17 mars, dénonce les « conditions d’hygiène déplorables » et « l’insalubrité sordide » d’un élevage intensif de cochons en Bretagne. De quoi couper l’appétit du plus invétéré viandard… « Etre hermétique à ces images ? Il y a statistiquement peu de chance de n’éprouver aucune émotion. Mais tous les scénarios sont possibles », considère, circonspect, Hervé Magnin, psychothérapeute cognitiviste comportementaliste, militant humaniste et auteur de Moi, et le monde en crise (Editions Kawa, 2015). Il dresse un portrait de ce « spectateur de l’extrême ».

Pourquoi choisit-on de voir ou ne pas voir ?

Plusieurs cas de figure se présentent, et notamment en fonction du degré d’empathie développé chez les uns et les autres, et de la faculté de l’individu à « se mettre à la place de ».

Lorsque je décide de regarder, je peux le faire et, quelques secondes après, me raviser car cela m’est insupportable, notamment si je suis hypersensible : la pitié, la compassion, la tristesse, la peur – car c’est effrayant ! – mais aussi la colère peuvent me submerger.

Autre cas de figure, ce n’est pas tant que les images sont insupportables en soi, mais c’est davantage l’idée que cela puisse (re) mettre en question mes convictions, notamment à l’égard de mon alimentation, ou encore ma conception de ce que je tenais pour vrai et qui ne l’est pas. Et cela induit forcément mon écoresponsabilité, intuitivement ou consciemment. Aussi, pour échapper à cette responsabilisation – qui pourrait sur le plan psychologique déboucher sur un sentiment de culpabilité –, je peux mettre en place un mécanisme de protection et choisir de ne pas avoir accès à ces images, qui contribuent à établir un lien de corrélation entre animal et viande.

Regarder ces images sans s’en détourner, outre aller jusqu’au bout des choses et accepter de se confronter à l’insoutenable vérité (ou à une certaine réalité), peut aussi s’apparenter à une épreuve, à la manière d’un « cap ou pas cap ». Dans la cour du lycée, par exemple, dans cette quête du jamais vu, d’intensité et de scoops délivrés par Internet, ceux qui n’ont pas vu pourront être assimilés à ceux qui n’ont pas été « caps » de relever un défi !

Peut-on rester insensible devant ces images ?

C’est possible mais rare. Par pur pragmatisme par exemple, je peux me convaincre qu’il doit en être ainsi, que le sort animal m’est indifférent… On peut aussi expliquer cette insensibilité par des dynamiques de refoulement précoces et très puissantes. Si je ne ressens rien, c’est que je suis installé dans une culture du refoulement pour me protéger d’à peu près tout. Au point d’avoir une apparente insensibilité ou désensibilisation ! C’est le cas des employés des abattoirs eux-mêmes, qui se sont inscrits dans un mécanisme de chosification et de « désanimalisation » pour pouvoir faire leur travail. En tant que spectateur, je peux adopter la même posture.

Enfin, la perversion existe aussi. Et certaines personnalités perverses ou sadiques peuvent s’en amuser et s’en réjouir. Mais c’est souvent par un jeu d’ego, dans lequel l’individu occulte la part de sensibilité qui est en lui, car il la considère comme une fragilité, une vulnérabilité qu’il tient pour un défaut.

Que faire avec les plus jeunes ?

Il convient de protéger les enfants et les personnes hypersensibles car cela est contre-productif. Un adulte peut choisir d’exposer un enfant à ces images, mais c’est psychologiquement dommageable – même s’il faut parfois frapper fort pour faire passer un message. Un travail pédagogique préalable doit être fait. Cette protection a des raisons d’être, car ces images peuvent s’accompagner de traumatismes profonds. L’enfant, par nature curieux, ne dispose pas de la maturité nécessaire pour recevoir ces images.

Il est important de rendre palpable et concrète la maltraitance animale, ou tout autre dysfonctionnement économique ou environnemental par exemple, et d’accepter d’en payer le prix, pour que l’abstrait (ou ce qui est tu) ne le reste pas : si l’horreur fait partie de la réalité, l’ignorer est une forme de complicité passive. Mais on ne peut pas informer tous les publics, n’importe comment et sur n’importe quoi.

Ces images peuvent-elles opérer un changement ?

Pour la plupart des gens, « accueillir » ces images dans leur quotidien ne changera pas grand-chose. Ils y seront sensibles à un moment donné et puis, passées cinq minutes ou une journée, oublieront tout. Ou presque. La fenêtre de leurs émotions s’ouvre puis se referme. Sans aucune conséquence. Jusqu’à ce que la goutte fasse déborder le vase et vienne enclencher un processus de changement d’attitude et de comportement alimentaire. Parce qu’ils auront atteint un point de maturité dans le processus de conscientisation.

L’alimentation est un bastion de conservatisme intime. Le changement se fait rarement dans la douceur. Beaucoup ne l’envisagent qu’après avoir subi une phase violente, choquante et/ou traumatique. Et ces images choc jouent ce rôle. Faire le choix d’aller vers la conscience, c’est faire un choix courageux. Et si on en fait quelque chose d’utile, de résilient ou de transcendant, la conscience est une étape vers le « mieux vivre ». Dans notre relation à notre assiette comme aux autres.