Portrait de Marie-Thérèse d’Autriche peint par Jean-Etienne Liotard (1702-1789), une oeuvre exposée au Rijksmuseum à Amsterdam. | Rijksmuseum/Amsterdam/FineArtimages/Leemage

Marie-Thérèse est une figure positive du roman national autrichien. Archiduchesse, reine de Hongrie et de Bohême, impératrice consort du Saint Empire romain germanique, elle est passée à la postérité comme étant une réformatrice talentueuse ayant modernisé le royaume, uniformisé sa législation et introduit un code pénal. Une vision en grande partie faussée, que l’on doit aux historiens du XIXe siècle : ils eurent besoin d’enjoliver un peu la réalité, pour faire aimer une monarchie danubienne déjà aux abois, bien avant la première guerre mondiale.

« Ici, on garde d’elle l’image d’une mère aimante et d’une bonne épouse incarnant les valeurs bourgeoises et l’ère baroque, résume la journaliste Angelika Hager. Mais en fait, elle était froide et sans pitié. » À la « une » de l’hebdomadaire Profil, elle a récemment révélé des facettes méconnues de cette « belle-maman de l’Europe », qui se servit de ses enfants – elle en mit seize au monde – pour consolider, par une politique matriarcale inégalée, des alliances vacillantes.

Une chef de guerre, enceinte sans discontinuer

De nombreuses rétrospectives et une avalanche de biographies en allemand accompagnent le 300e anniversaire de sa naissance, le 13 mai. À cette occasion, on découvre une souveraine qui exigeait l’installation d’un paravent lorsque le protocole de la cour la forçait à recevoir un sujet juif. Une chef de guerre, grande cavalière, enceinte sans discontinuer, qui subissait sa fertilité avec un grand dégoût, mais se mettait en scène en femme veillant sur son foyer. La détentrice virile, enfin, d’un pouvoir exclusif, jouant toutefois de sa féminité si nécessaire, pour désarmer des adversaires.

La biographe Katrin Unterreiner rappelle que Marie-Thérèse a été éduquée en princesse inoffensive, pas du tout préparée à diriger des peuples. Elle a grandi en apprenant plusieurs langues et l’art de la conversation, a suivi une formation de chant et de danse. Et c’est à peu près tout. Certes, son père Charles VI l’avait désignée comme héritière du trône. Mais jusqu’à sa mort accidentelle, il avait espéré la délivrance divine d’un nourrisson en filiation directe, doté du sexe masculin.

Lorsqu’elle fut propulsée, en 1740, faute de concurrent mâle, sous les dorures de la Hofburg, Marie-Thérèse dut donc manœuvrer intelligemment pour asseoir sa légitimité auprès des puissances étrangères, car voir le trône d’une des plus grandes maisons du monde revenir à une telle femme fit franchement rigoler dans les châteaux du continent. D’autant plus que l’impétrante, enceinte de son quatrième enfant, n’avait que 23 ans. Frederic II de Prusse pensa n’en faire qu’une bouchée. Il provoqua la guerre de Succession d’Autriche.

Un règne de quarante ans

Si elle perdit des territoires, Marie-Thérèse garda toutefois son empire et régna
quarante ans, sans voir ses prérogatives discutées par les siens. Sa haine tenace
des populations juives fut influencée, selon l’historien Karl Vocelka, par la Contre-Réforme et la bigoterie de son temps, qui la poussèrent à imposer le catholicisme comme la seule religion officielle avec une grande intolérance. À la suite de soupçons d’espionnage en faveur de la Prusse, 200 000 juifs durent quitter Prague, ce qui conduisit à une catastrophe économique.

Exemple extraordinaire de pouvoir absolu au féminin, la mère de Marie-Antoinette fut aussi l’objet du fantasme des hommes. L’historienne Barbara Stollberg-Rilinger, interrogée dans Die Zeit, affirme notamment que c’est elle qui inspira, après sa mort, les désirs de soumission de l’écrivain Leopold von Sacher-Masoch, pour qui le plaisir sexuel naît de l’humiliation infligée par des dominatrices

Marie-Thérèse en icône sado-maso ? Elle qui se donna tant de mal pour rester dans l’Histoire comme une épouse dévouée au duc de Lorraine serait marrie de la trivialité avec laquelle on revisite maintenant sa vie.