Némo, Seth, Miss Tic, Pejac... Vous ne connaissez peut-être pas ces artistes, et pourtant, si vous êtes Parisien, vous êtes probablement passés devant leurs œuvres. A Belleville, dans le 13e arrondissement, ou encore à Montmartre, places phares de l’art de rue, des excursions spécialisées dans le street se sont développée depuis le début des années 2010. Le phénomène prend de l’ampleur : avec une vingtaine d’associations organisent des visites chaque semaine, à Paris comme en banlieue. Peintures, collages, pochoirs, mosaïques : lors de ces promenades, les guides révèlent une multitude de pratiques et de styles au détour des ruelles, panneaux de signalisation, trottoirs...

Certaines œuvres sont spontanées, réalisées sans l’accord des mairies, art clandestin ludique ou revendicatif qui s’épanouit la nuit à l’abri des regards. D’autres, aux vertus plus décoratives, sont des commandes de la ville ou des copropriétés. Les monumentales fresques du 13e arrondissement en sont l’exemple parfait. Elles se sont multipliées depuis 2012 à l’initiative de la galerie Itinerrance, en coordination avec la mairie, à travers tout l’arrondissement. Depuis l’été 2016, un périmètre, sur le boulevard Vincent-Auriol, concentre une vingtaine de fresques, visibles le long de la partie aérienne de la ligne 6 du métro. Le parcours a été équipé d’un éclairage spécifique pour être visible la nuit.

« Nouvelle attractivité »

Obey, Invader, C215, Faile, Inti : ces grands noms du street art attirent un nouveau type de tourisme. « Les visites se sont créées par elles-mêmes car il y a une proposition. Aujourd’hui, il n’y a aucune ville qui rassemble autant d’œuvres. Ça va dynamiser tout le quartier, tous les commerces vont se nourrir de cette nouvelle attractivité », s’enflamme Jérôme Coumet, maire du 13e arrondissement.

L’argument, dans cet arrondissement doté de peu de musées, est l’accessibilité. « Il y a beaucoup plus de personnes dans le métro que dans les musées. Aujourd’hui, tous ces gens traversent une expo et non une succession de barres HLM. On dit que Paris est vieillissante, figée, là on démontre le contraire. C’est un nouveau Paris, jeune, dynamique et créatif », résume Mehdi Ben Cheikh, fondateur de la galerie Itinerrance.

Fresques d’Obey en haut et C215 en bas, boulevard Vincent-Auriol dans le 13e arrondissement de Paris. | ALEXIS PERCHÉ

Théo Abramowitz, guide conférencier de 29 ans, travaille à son tout premier parcours sur le street art. S’il se plie aujourd’hui à ce nouvel exercice, après avoir exercé au Louvre et au Musée d’Orsay, puis s’être spécialisé dans les visites insolites de quartier, c’est face à la demande croissante du public. « Depuis quelques mois, il y a une grosse demande. Les Français prennent conscience du fait que le street art est un vrai courant artistique, qu’il y a des choses à voir et à comprendre, autant que dans un musée », affirme le Parisien. Surtout un public jeune, mais pas uniquement, des personnes venant de province, de région parisienne, même des Parisiens qui veulent redécouvrir leur ville.

Théo Abramowitz devant la fresque de Btoy, boulevard Vincent-Auriol. | ALEXIS PERCHÉ

Voir sa ville autrement

Annabelle Jeanson, 33 ans, a été l’une des premières à se reconvertir. « A Montmartre, en allant travailler, je voyais des œuvres sur les murs qui changeaient de jour en jour. En 2012, j’ai démissionné et lancé mon propre projet de visites sur ce thème. A l’époque, on devait être deux ou trois à proposer ce type d’excursions », raconte la jeune femme.

D’Oberkampf à Ménilmontant, en passant par le Belvédère de Belleville ou encore la rue Dénoyer, elle mène les participants d’une trouvaille à une autre, racontant des anecdotes glanées au fil de ses rencontres avec les artistes. « C’est un sujet pour lequel il faut sans cesse être en éveil, des peintures disparaissent, les artistes se succèdent… Souvent, je découvre pendant la visite qu’une œuvre a disparu, alors je retourne faire du repérage. »

Fresque en live

Certains artistes s’improvisent même guides, comme Codex Urbanus, qui représente des animaux fantastiques dans les rues de Paris, ou encore Damian, graffeur anonyme et guide depuis 2011. Ce jeune Londonien a abandonné le journalisme il y a six ans pour se lancer à Paris. Au début un peu isolé, il a vite constitué une équipe et fait sa place dans le tourisme parisien. Aujourd’hui, il anime plusieurs visites par semaine en anglais et en français. « Je voulais partager la connaissance du street art. Le public veut réfléchir à la culture du graffiti, un art qui aujourd’hui est reconnu en tant que tel », insiste le passionné.

Annabelle, de dos, avec les participants d’une visite à Belleville. | ALEXIS PERCHÉ

Le phénomène ne se limite pas aux seules visites guidées, il gagne les rayons des librairies. Le Guide du Street Art à Paris (éditions Alternatives) paraît jeudi 23 mars. Cartes à l’appui, l’auteure, Stéphanie Lombard, invite à découvrir les meilleurs spots d’art urbain en huit itinéraires à Belleville et la Butte-aux-Cailles, mais aussi le long du Canal de l’Ourcq ou encore à Vitry-sur-Seine et Pantin.

Du côté du boulevard Auriol, ceux qui souhaiteraient assister à la réalisation d’une fresque en live peuvent aller au numéro 85, voir ce que l’artiste irlandais Conor Harrington est en train de concocter.