Deux ouvriers à l’abattoir du Vigan (Gard), incriminés pour des actes de maltraitance animale. | L214

« Un avertissement suffisamment sévère pour éviter toute réitération. » Voilà comment le procureur de la République a justifié les lourdes réquisitions qu’il a prononcées à l’encontre du principal prévenu d’un procès inédit en France, celui de l’abattoir du Vigan (Gard). Vendredi 24 mars, devant le tribunal de grande instance d’Alès, Nicolas Hennebelle a demandé une peine d’un an de prison avec sursis contre Marc S., un ancien employé de l’établissement jugé pour des actes de cruauté et de mauvais traitements sur des animaux.

Les faits, révélés par une vidéo de l’association L214 en février 2016, avaient suscité l’émoi et l’indignation collective, débouchant sur une remise en cause de la filière, la création d’une commission d’enquête parlementaire et le vote d’une proposition de loi pour instaurer la vidéosurveillance dans les abattoirs.

Le procureur, qui a relevé 31 infractions au total dans cette affaire, a estimé que Marc S., un fils d’éleveur âgé de 24 ans, licencié depuis, avait « la responsabilité la plus lourde ». Il a également requis 3 400 euros d’amende à son encontre, ainsi qu’une interdiction de travailler dans un abattoir pendant cinq ans et de détenir des animaux de rente.

Il a en revanche demandé des peines plus légères contre les autres prévenus : des amendes de respectivement 600 et 150 euros pour les deux autres ouvriers Nicolas G. et Gilles E., ainsi que 6 000 euros contre la communauté de communes du pays viganais, gestionnaire de l’abattoir. Une dizaine d’associations de défense des animaux, dont L214, la Fondation 30 millions d’amis ou la Société protectrice des animaux, constituées en parties civiles, demandent plusieurs dizaines de milliers d’euros de dommages et intérêts.

« Caractère sadique »

« Le ministère n’ignore pas qu’ils exercent un métier particulièrement difficile. Qui ici, à part ces trois salariés, accepterait de travailler dans un abattoir ?, a interrogé le procureur devant l’audience correctionnelle. La difficulté de ce métier la fatigue, le stress peut expliquer en partie les comportements illégaux, mais ne les excuse pas. »

Pour Nicolas Hennebelle, il ne fait aucun doute que les actes perpétrés par Marc S. sont « totalement gratuits ». Quand le salarié jette violemment des moutons au-dessus d’une clôture, « alors qu’il y avait un passage pour mener les animaux », ce n’est pas pour les faire avancer ou les rassembler mais par « acte de cruauté ». Quand il porte des coups de pince à électronarcose – destinée à étourdir les bêtes – sur le museau d’une brebis, il lui entraîne une « souffrance physique évidente », et « les rires accréditent le caractère sadique ».

« Ces sévices sont aggravés par d’autres cas de maltraitance, qui montrent que ce ne sont pas des faits isolés », accable le procureur, qui a retenu 17 contraventions à l’encontre de Marc S., en plus de deux délits. Pour alourdir encore le bilan, l’employé avait le statut de responsable de protection animale, « reconnu par une formation et un certificat ».

« Le Penelope Fillon des abattoirs »

Ces réquisitions apparaissent « disproportionnées » aux avocats du salarié, de même que le procès dans son ensemble. « Avec deux jours d’audience, le tribunal est davantage mobilisé que pour des maltraitances pour enfants ou de la pédopornographie », raille Me Aude Widuch. Sur la forme, elle déplore que les vidéos de L214 ne soient pas datées – l’association indique qu’elles ont été filmées entre juin 2015 et février 2016 –, une « absence qui nuit au droit de la défense, empêchant de plaider la prescription ».

Sur le fond, elle rejette en bloc les accusations, jusqu’à frôler la mauvaise foi – « faire rire un collègue n’est pas un acte de cruauté » –, et égrène les circonstances atténuantes. « Marc S. est aussi sapeur-pompier. Alors peut-être qu’il est lui est arrivé de s’égarer avec des bêtes mais il lui arrive aussi de sauver des hommes. (…) Il est entré à l’abattoir en apprentissage à 15 ans, quand il n’était qu’un gamin », rappelle-t-elle. « A cet âge, quand certains obtiennent des CDD d’assistants parlementaires, il commence un CAP comme boucher », ironise son confrère Me Guilhem Deplaix, l’autre avocat du prévenu.

Décidément très inspiré par l’actualité politique, il poursuit : « On me dit qu’en tant que responsable de protection animale, Marc S. est censé, à 20 ans, arrêter la chaîne d’abattage en cas de problème, même quand 100 moutons attendent sous 40 °C. Mais c’est au directeur d’agir. Or, il ne vient qu’un quart d’heure par jour. C’est le Penelope Fillon des abattoirs ! »

Après quelques questions aussi percutantes que rhétoriques – « qui dans cette salle a déjà tué des animaux ? » –, il demande à la cour de relaxer « Marc S. et ses camarades, pour leur rendre leur dignité d’hommes et d’ouvriers ».

« Manque de vigilance sur les règles »

« Ce dossier n’est pas seulement celui de dérapages d’opérateurs mais aussi d’un manque de vigilance sur les règles d’abattage (…) et sur le matériel défaillant », prévient le procureur, visant la communauté de communes. L’avocat de cette dernière, Me Yvon Goutal, s’en défend, évoquant des « incidents » plutôt qu’un « dysfonctionnement radical » : « Plus d’un million d’euros ont été investis dans cet abattoir de proximité, le matériel renouvelé en permanence. L’équipement, proportionné pour traiter 800 tonnes par an, en fait en réalité 200. Qu’on ne vienne pas me parler de cadences infernales ! »

Il reporte la responsabilité, un peu sur les ouvriers – « l’employé qui rit aux pantomimes de son copain n’est pas stressé par les délais » –, beaucoup sur le directeur de l’établissement, « qui n’a pas fait remonter toutes les informations » et, davantage encore, sur l’association qui a déclenché le scandale. « Le vrai but de L214, ce n’est pas de dénoncer certaines infractions, mais de faire changer le mode d’alimentation des Français », attaque-t-il.

L’association se sert de « l’abattoir du Vigan comme d’une caisse de résonance » pour « éradiquer la filière », abonde Me Henri Isenberg, avocat de Nicolas G., n’hésitant pas à qualifier les végans – qui refusent toute exploitation animale – de « nouvelle génération d’êtres humains ». Le procureur, pourtant, avait prévenu lors de ses réquisitions : « Les associations portent un débat plus global sur la consommation de viande. Aussi intéressant soit-il, il ne nous intéresse pas ici mais concerne la société. Dans ce tribunal, nous devons dire si des animaux ont été maltraités au titre du droit. » La présidente de la cour, Amandine Abegg, a mis le jugement en délibéré au 28 avril à 9 heures.