L’Union nationale de l’apiculture française accuse le ministère de cacher les dégâts des pesticides sur les ruches.

« Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées. » L’Union nationale de l’apiculture française (UNAF) a fait sienne la boutade de Churchill et devait publier, vendredi 24 mars, une note critique sur le programme national de surveillance de la mortalité des abeilles. Conduit par les services du ministère de l’agriculture, ce programme est, selon l’UNAF, entaché de plusieurs biais et tours de passe-passe statistiques conduisant à minimiser le rôle des pesticides dans le déclin des abeilles.

A l’automne 2016, le bimestriel La Santé de l’abeille publiait, sous la signature d’un expert du ministère de l’agriculture, un article concluant que seuls 13 des 195 cas de mortalités aiguës déclarés en 2015 en France étaient dus à des pesticides. Soit seulement 6,6 % des cas. Le gros des pertes était attribué à des pathogènes naturels (parasites, virus, etc.) ou des mauvaises pratiques apicoles. Frappantes, ces conclusions ont immédiatement fait l’objet d’un communiqué de presse du Réseau biodiversité pour les abeilles – créé par BASF – et ont même été citées dans une tribune du Wall Street Journal

« Très surpris de ces chiffres, nous avons demandé l’ensemble des données au ministère », indique Anne Furet, chargée de projet à l’UNAF. La réanalyse de ces données indique, selon l’UNAF, une série de failles réduisant considérablement la part des mortalités attribuables aux pesticides.

Sous-représentation mécanique

L’unité statistique retenue, note l’UNAF, est l’événement déclaré – et non son ampleur. Trois déclarations totalisant dix ruches touchées par la loque (une maladie bactérienne) en Alsace pèsent ainsi dans l’analyse du ministère trois fois plus qu’une unique déclaration d’intoxication en Corse, touchant 200 ruches. Dans cet exemple précis, une colonie d’abeilles malade a donc un poids statistique soixante fois supérieur à une colonie détruite par un insecticide…

De plus, certaines maladies sont classées « dangers de première catégorie » et doivent être obligatoirement déclarées. Or, les suspicions d’intoxication ne sont soumises, elles, à aucune déclaration obligatoire. D’où une sous-représentation mécanique de ces mortalités. D’ailleurs, ajoute l’UNAF, des analyses toxicologiques ne sont conduites que dans une minorité de cas : ce qui n’est pas recherché ne peut être découvert.

Ce n’est pas tout. Dans de nombreux cas, assure le syndicat, c’est la détection d’un niveau élevé et létal d’un pesticide qui conduit au diagnostic d’intoxication. « Or, nous savons que la mortalité d’une colonie peut survenir pour des quantités de toxiques bien plus faibles », ajoute l’UNAF dans sa note, citant les effets synergiques de certains mélanges de molécules ou le fait que des pathogènes naturels peuvent plus facilement infecter des ruches affaiblies par l’exposition chronique à certaines molécules. Le syndicat apicole relève d’autres étrangetés : certaines grandes régions d’apiculture apparaissent déclarer très peu de mortalité. Voire aucune. Un point qui demeure inexpliqué par le ministère, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.