Nathalie Nieson (ici en 2012), députée PS de la Drôme, a choisi de quitter l’Assemblée nationale, en partie à cause de la loi sur le non-cumul des mandats. Mais aussi parce que « quand on est député, la plupart du temps, on est dans la posture ». | Vincent Isore/ IP3 Press/ Maxppp

Aucun n’a oublié ce 19 juin 2012. Leur premier jour à l’Assemblée nationale. Ils sont arrivés gonflés d’enthousiasme et de fierté : 217 primo-députés, élus pour la première fois, venus s’installer pour cinq années dans l’Hémicycle. Les huissiers ont accueilli ces petits nouveaux avec des sourires et des « bienvenue dans votre maison », les anciens les ont gentiment guidés dans ces couloirs que, bientôt, ils arpenteraient eux aussi la démarche assurée. « C’était un moment très fort, j’avais envie d’être à la hauteur de cette responsabilité », se souvient Nathalie Nieson, députée socialiste de la Drôme. Cinq ans plus tard, comme une trentaine de ses collègues, Nathalie Nieson fait le choix de ne pas prolonger ce séjour à l’Assemblée nationale. En cause, la loi sur le non-cumul des mandats, qui interdira après les prochaines législatives d’être maire et député, mais aussi pour certains, le choix assumé de faire autre chose que de la politique.

« Quand on est député, on a une pression politique, une pression nationale et une pression au niveau du groupe. Résultat : la plupart du temps, on est dans la posture. » Nathalie Nieson, député PS de la Drôme

Les départs les plus spectaculaires, ceux qui ont fait parler, sont ceux des plus jeunes, de la génération des quadragénaires – ils ne sont que vingt députés de moins de 40 ans à siéger à l’Assemblée nationale. « Je suis impatient de commencer ma nouvelle vie, assure Sébastien
Pietrasanta, député des Hauts-de-Seine et secrétaire national du PS à la sécurité, qui s’apprête à mettre sa vie parlementaire en cartons. Je reste député jusqu’au bout, mais j’ai commencé à faire du tri.  » À 39 ans, il explique refuser de continuer à mener cette carrière qui consiste à « constamment flatter l’opinion publique », à être confronté sans cesse aux « débats stériles à gauche comme à droite » et aux « petits jeux politiciens ».

Nathalie Nieson, 47 ans, avance les mêmes raisons pour expliquer son départ. Elle admet que sa décision est d’abord liée au non-cumul des mandats. Elle s’est engagée à ne pas abandonner son mandat de maire de Bourg-de-Péage. Mais la rudesse de ces dernières années l’a confortée dans son choix. « Quand on est député, on a une pression politique, une pression nationale et une pression au niveau du groupe. Résultat : la plupart du temps, on est dans la posture. » Une scène l’a marquée.

Au lendemain des attentats de novembre 2015, les parlementaires réunis en congrès à Versailles se lèvent comme un seul homme pour applaudir François Hollande. « C’était un lundi. Le lendemain, aux questions d’actualité, tous les candidats aux régionales se sont exprimés pour taper sur le président de la République et sur le gouvernement. En moins de vingt-quatre heures, tout avait changé, nous n’étions plus dans l’union mais dans la politique politicienne. » L’absence de gravité, de solennité, la choque.

Pour expliquer sa décision de ne pas briguer de second mandat, Laurent Marcangeli, député LR, de Corse-du-Sud, évoque l’impopularité de sa fonction auprès de la population. Il préfère donner la priorité à la mairie d’Ajaccio. | Vincent Isore/ IP3 Press/ Maxppp

Patrice Prat, député du Gard (ex-PS) a, quant à lui, choisi d’annoncer son départ dans une lettre très sombre. « Nous entrons dans un hiver démocratique, c’est mon intime conviction. Je souhaite me tromper, écrit-il. L’insouciance d’une partie des élus, les blocages de la société politique elle-même ne font qu’aggraver le fossé qui nous sépare de nos concitoyens. » Une remarque que partage Nathalie Nieson, dont la fille de 16 ans est déjà rentrée du lycée en se plaignant d’avoir entendu des réflexions sur sa mère « qui gagne beaucoup de sous ».

Ce désenchantement ne touche pas que les élus socialistes. Laurent Marcangeli, 36 ans, député LR de Corse-du-Sud et maire d’Ajaccio, a décidé de ne pas briguer de second mandat à l’Assemblée nationale. « Entre maire d’Ajaccio et député, il n’y a pas photo, soupire un de ses collègues. Le mandat de député n’a plus le même prestige. » L’élu corse le concède aussi : « Malheureusement, je dois admettre que les députés ne sont pas populaires. Ça me fait de la peine parce qu’une grande majorité des parlementaires font un vrai travail. » Lui ne veut pas « cracher dans la soupe », son mandat a été passionnant, il veut en retenir son rapport sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale et celui sur la lutte contre les stupéfiants, son travail en commission. Mais l’usure a été telle que ces derniers mois, l’élu a systématiquement séché les questions au gouvernement.

Une préférence pour l’ancrage local

Le député-maire (DVD) de Neuilly-sur-Seine Jean-Christophe Fromantin a également fait le choix de l’ancrage local. Il se souvient qu’à la commission des finances, sur une trentaine de parlementaires, aucun n’avait jamais travaillé en entreprise. « La consanguinité à l’Assemblée nationale est frappante. Les différents métiers, les différentes générations ne sont pas représentés. On est forcément hors sol. » À la différence de ses collègues, Laurent Grandguillaume (PS) affirme quitter tous ses mandats – conseiller municipal à Dijon et député de Côte-d’Or – sans amertume. À 39 ans, il n’avance aucune autre raison que l’envie de faire autre chose. Il n’arrête pas la politique « qui est un engagement dans la vie de la cité », mais renonce à la vie d’élu. « En 2012, quand j’ai été élu, je disais déjà que j’envisageais peut-être de faire autre chose après mon mandat. » À l’époque, on lui répond l’air entendu : « Tu verras, tu changeras d’avis », raconte-t-il.

En 2015, après un bilan de compétences, il s’inscrit au Celsa pour suivre une formation en management des ressources humaines. Là encore, tout le monde lui répète qu’on ne renonce pas à un mandat sans raison. Est-il malade ? Contrarié ? Déçu de ne pas avoir été ministre ? « Quand on est jeune, doit-on forcément vouloir être ministre ? J’ai d’autres rêves, assure-t-il. Dans les autres pays européens, c’est commun pour un élu de revenir à la vie professionnelle. » Le député socialiste de Seine-et-Marne, Émeric Bréhier, 45 ans, a lui aussi fait le choix de s’arrêter. Il veut profiter de sa famille, loin de la région parisienne.

Ces dernières semaines, dans son bureau, Sébastien Pietrasanta reçoit des collègues qui hésitent encore. Ils lui parlent peu politique, évoquent plutôt leur vie de famille, leurs aspirations. « On est sur un registre personnel et intime. On se dit qu’on n’a qu’une vie. Qu’il faut la vivre pleinement. Ça veut dire quelque chose des aspirations de notre génération. »