Melbourne, le 24 mars 2016. Esteban Ocon participe aus essais avant le Grand Prix de dimanche. | BRANDON MALONE / REUTERS

« La F1 idéale ? Ce serait plus de vitesse, plus de chevaux, peut-être moins d’appuis [aérodynamiques] pour qu’on puisse doubler, un moteur qui fait du bruit, un vrai moteur comme à l’époque. » Ce n’est pas un vieux brisquard nostalgique qui s’exprime en cette fin d’août 2016, mais un « gamin » de même pas 20 ans, Esteban Ocon, pilote inconnu qui débute chez Manor. Sept mois plus tard, ses souhaits sont devenus réalité. Au volant d’une Force India, Esteban Ocon entame sa première saison complète en formule 1 ce week-end à Melbourne, où se court le Grand Prix inaugural d’Australie. Juvénile, souriant, doué et sans fortune, le Français incarne plus qu’un autre le renouveau en F1.

Tout d’abord par sa fraîcheur. Très grand (1,86 m) et mince, Esteban a encore le visage poupin de l’adolescence. Il plaisante, rit volontiers. « C’est toujours sympa quand tout change !, confiait-il au Monde le 21 février. C’est une nouvelle ère de la F1 qui commence. Il y a plus de jeunes pilotes qui arrivent. » Ainsi, Max Verstappen, 19 ans, ex- « pilote de F1 sans permis », qui participe déjà à son troisième championnat, et Lance Stroll, 18 ans, rookie – débutant – chez Williams. A 24 ans, Stoffel Vandoorne, chez McLaren, ferait presque office d’ancien…

Trophée en main, Esteban Ocon regarde sa médaille après une victoire en minikart. « J’adore cette photo, son regard rempli de fierté, commente sa mère Sabrina le 23 mars 2017. Il doit avoir 6 ans. » | COLLECTION PRIVÉE

« Le talent l’emporte sur l’argent »

Ensuite le rêve, celui de ce petit-fils d’immigrés espagnols, fils d’un garagiste d’Evreux (Eure), convaincu depuis la maternelle qu’« un jour » il sera pilote de formule 1. Une ascension que beaucoup jugeaient impossible depuis Jean Alesi, fils d’un carrossier d’origine italienne, vainqueur du Grand Prix du Canada en 1995.

C’est un « développement positif » pour la F1 que « le talent l’emporte sur l’argent », commente le directeur de Mercedes Motorsport, Toto Wolff. Une évolution dans le bon sens pour l’image « sport de riches » de la F1, due en partie à l’emploi de pilotes « payants » – qui payent pour avoir un volant. C’est à la défection de l’un d’eux, l’Indonésien Rio Haryanto, qu’Esteban Ocon doit d’ailleurs son arrivée chez Manor à l’été 2016. Lance Stroll, le rookie 2017, en est un autre. Son père, Lawrence Stroll, industriel millionnaire, aurait dépensé entre 30 millions et 40 millions de dollars pour assurer un volant à son fils. « Lance a mérité sa place, tient à faire savoir Esteban Ocon. Certes, il a des parents très fortunés, mais il a remporté le championnat d’Europe de formule 3, en 2016, et mérite sa place parmi les pilotes de F1. »

Esteban Ocon ne dit pas de mal des autres. Le manque d’argent ne l’a-t-il vraiment pas pénalisé ? « Non, mais mes parents se sont beaucoup sacrifiés au début pour moi, explique le garçon. Avec mon papa, on a vécu dans le camion pendant des années. » Son père, Laurent Ocon, 47 ans, et sa mère, Sabrina, 46 ans, ont longtemps été propriétaires d’un garage à Huest, tout près d’Evreux, avant de vendre pour avoir plus de temps à consacrer à leur fils unique, et à ses compétitions. Laurent conduit le fiston dans le fameux camion qu’il a aménagé pour y dormir. « Esteban s’enroulait dans un duvet. Des fois ça gelait à l’intérieur. » Le long des pistes, ils croisent Max Verstappen et Lance Stroll. « Stroll avait son gros motorHome. Mais on les a tous battus ! », ajoute Laurent.

Esteban Ocon entouré de ses parents, Laurent et Sabrina, lors de la présentation officielle de la saison 2017 à Silverstone (Royaume-Uni), où est installée l’écurie Force India. | COLLECTION PRIVÉE

« [Mes parents] ont cru en moi »

Esteban Ocon insiste : « Ils ont cru en moi, ils ont cru que j’avais un futur ! » Il aime raconter sa « première fois » au volant d’un Go Kart, à 4 ans et demi : « Je ne voulais pas m’arrêter. Les gens se mettaient en travers de la piste pour me stopper, mais je passais à côté ! » Sa mère, Sabrina, confirme : « Nous étions entre amis au karting d’hiver. Esteban et son copain du même âge se sont installés dans deux minikarts. A la fin, le patron a dû se mettre au milieu de la piste. »

Sa personnalité s’affirme très jeune. « Mon petit garçon a un vrai caractère derrière son grand sourire enfantin, reconnaît Sabrina. Il était très dur jusqu’à ses 5 ans, hyperactif. Et puis tout d’un coup il est devenu calme. » Pour Noël, il reçoit un minikart, puis, l’année suivante, la PlayStation et le jeu de voiture qui va avec. « Il a accroché très vite, se souvient Sabrina. Il détestait perdre ! C’est l’esprit de compétition… », dit-elle, attendrie.

Champion avec un kart d’occasion

Le trio familial, par pudeur, n’aime pas parler des difficultés. Laurent se souvient d’une rencontre. Un team de minime l’avait convoqué. « Ils m’ont dit que si je ne roulais pas avec leur matériel, on ne pourrait pas être compétitifs, qu’ils allaient nous mettre 5 dixièmes… On les a tous battus ! » Fierté. « Esteban n’a jamais eu de grand team, explique Sabrina. C’est son père qui gérait tout », équipement, montage, réparation. « Esteban est le seul à être devenu champion avec un kart d’occasion, rappelle Laurent. Parce que je n’avais pas les moyens d’en avoir un neuf. » « Mais des gens m’ont aidé. Il y a des gens sympas dans le milieu. » Parmi eux, leur futur motoriste, l’Italien Renato Merlin.

Les rencontres, être au bon endroit au bon moment, il faut cette chance parfois. C’est en allant acheter un casque, au club de kart de Rosny, que Jean-Pierre Deschamps, président de la Commission nationale de karting, remarque le petit pilote. Il appelle Gwen Lagrue – « Professionnellement, c’est Gwen Lagrue qui m’a le plus aidé », souligne Esteban – qui lui-même appelle Eric Boullier. Ce dernier a mis en place Gravity Sport Management, une structure de formation pour les jeunes pilotes.

Premiers essais à Melbourne, le 24 mars, pour Esteban Ocon, pilote Force India. | BRANDON MALONE / REUTERS

L’actuel directeur de course de McLaren, se souvient très bien de leur première rencontre. « Le gamin avait 12 ans. Il est entré dans le bureau avec son père, qui parlait, parlait beaucoup. Vous savez, des parents qui pensent que leur fils est le futur Michael Schumacher, j’en croise tous les jours ! Au bout de dix minutes Esteban a dit : “Papa tu te tais, le monsieur, c’est moi qu’il est venu voir.” Vous vous rendez compte, à 12 ans… » Esteban est pris. Le caractère très sympathique mais éruptif de Laurent Ocon est tel qu’Eric Boullier l’interdit de paddocks quatre ans. Ils se croisent à nouveau régulièrement, pas fâchés pour autant. « C’est grâce à Eric Boullier qu’on a pu continuer », rappelle le patriarche.

« Différent des autres »

Concilier compétition et études n’est pas simple. Sabrina se rend au collège de son fils pour demander au proviseur s’il peut éviter les interrogations écrites les lundis, lendemain de courses. « Vous rêvez ! Il ne réussira jamais ! Ce n’est pas pour vous », lui répond-elle. Les parents optent pour les cours par correspondance. Aujourd’hui, dans l’établissement, à Evreux, personne ne semble savoir qu’un des anciens élèves est devenu pilote de formule 1. Et qu’il parle parfaitement le français, l’anglais et l’espagnol, lors des points de presse.

Côté piste, Esteban débute à 15 ans en Eurocup formule Renault. Là, aucun problème de motivation. La saison suivante, recruté par ART, il finit 3e du championnat. Pour la première fois, il pense vraiment pouvoir être pilote de formule 1. Nous sommes en 2013. Tout s’enchaîne. Champion de GP3 en 2015, il saute la case GP2 faute de moyens financiers suffisants.

Une fois encore, il se trouve au bon endroit au bon moment. Après six mois de prêt à Mercedes en 2016, Toto Wolff – « mon patron », dit Esteban – place le rookie dans une de ses écuries clientes.

Esteban Ocon entre dans l’Hospitality Force India. « Il n’y a rien qui change, relève, satisfait, Laurent. Il est un peu différent des autres aussi. » Parce qu’il ne change pas justement ? « Je ne sais pas, c’est notre fils. » Sur les talons du pilote, des journalistes. « Nous sommes de plus en plus sollicités par les médias », s’excuse Sabrina. Les deux parents tournent instinctivement la tête vers leur enfant : « Regardez. Belle réussite quand même. Quand il était petit je lui ai dit tu veux être mécanicien ou vendeur chez McDo ? Il m’a répondu je veux être pilote de formule 1. »

Les essais ont débuté à Melbourne avant la course inaugurale de dimanche. Esteban Ocon, lui, se sent prêt. « Mon équipe [Force India] me met bien en confiance et j’ai fait une super préparation, donc je n’ai pas du tout peur. » Sabrina, elle, « a peur tout le temps. J’ai la boule au ventre ». Un mauvais moment à passer. Une fois casqué installé dans son baquet, Esteban n’a qu’un objectif : « Marquer des points. »

Force India arbore sa nouvelle tenue rose, le 24 mars à Melbourne. | Rick Rycroft / AP

Dates-clés

1996 Naissance le 17 septembre 1996 à Evreux (Eure).

2011 Champion de France de karting.

2014 Champion d’Europe de formule 3 en battant le Néerlandais Max Verstappen.

2015 Champion de GP3.

2016 Sous contrat avec Mercedes, « prêté » à Renault durant la première moitié de la saison comme 3e pilote, il rejoint Manor et devient le 28 août à Spa (Belgique), à 19 ans 11 mois et 11 jours le 72e et plus jeune pilote de F1 français.

2017 Intègre Force India pour sa première saison complète en F1. Le contrat, qui comprend une rétribution annuelle de 110 000 euros, selon le site The Drive, le lie « pour plusieurs années », selon le propriétaire Vijay Mallya.