Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques et enseignant à Sciences Po.

Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et enseignant à Sciences Po, a répondu aux questions des internautes à l’occasion d’un tchat au Monde.fr, vendredi, sur le thème : « La France fait-elle moins bien que ses voisins européens ? » En voici les principaux extraits.

Isa : Il y a une phrase qui reste et a marqué les esprits. Een 1993, Mitterrand avait dit : « Dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé ». A-t-on vraiment tout essayé ?

Il est vrai qu’en matière de chômage, beaucoup de politiques ont été menées, et qu’aujourd’hui, force est de constater que le chômage reste de masse. Donc l’idée d’une fatalité du chômage en France peut être nourrie.

Néanmoins, il me semble qu’il faudrait compléter cette phrase de François Mitterrand par « On a tout essayé, mais pas au bon moment ». Cela signifie qu’un grand nombre de mesures ont été prises dans un contexte conjoncturel inadéquat, et donc que les résultats de celles-ci ont été inefficaces.

Un exemple : la défiscalisation des heures supplémentaires. C’est une mesure qui permettrait de faire baisser le chômage lorsque ce dernier est dû à une insuffisance de l’offre de main-d’œuvre, à savoir lorsque le taux de chômage se rapproche de 6,5 %. En revanche, cette même mesure provoque une hausse du chômage lorsque ce dernier augmente et se situe aux alentours de 9 %.

En 2007, lorsque cette mesure a été conçue, le chômage baissait depuis deux ans, et était passé en dessous de 7 %. Dans ce contexte, la mesure était intéressante. L’ennui est que la crise est survenue et que le chômage est reparti à la hausse. En changeant de contexte, cette mesure est devenue plus qu’inefficace, puisqu’elle a provoqué à son tour une hausse du chômage.

Le problème n’est pas la politique en soi, mais son adéquation avec le contexte conjoncturel. Il faudra repenser à défiscaliser les heures supplémentaires lorsque le chômage retrouvera son niveau de 2007, à savoir 6,8 %, mais ne pas la reproposer avant.

Ensuite, d’autres politiques peuvent être inventées, mais le souci de l’adéquation avec le contexte actuel devra toujours être présent.

Kate : Quels facteurs expliquent que les taux de chômage soient beaucoup plus bas en Allemagne (autour de 6 %) ou au Royaume-Uni (sous les 5 %) ? Nos économies sont-elles si différentes ?

Le modèle allemand diffère du modèle britannique et donc les performances sur le marché du travail sont dues à des facteurs différents.

En ce qui concerne l’Allemagne, il est important de commencer par rappeler la décroissance de leur démographie, cet élément permet de faciliter la baisse du chômage sans toutefois en expliquer l’intégralité.

Continuons par rappeler qu’en 2005 le taux de chômage allemand était de deux points supérieur à celui observé en France et que, donc, la baisse du chômage et les meilleures performances allemandes sont récentes.

On les attribue grandement aux réformes menées à la fin des années 1990 et surtout entre 2003 et 2006, réformes que l’on appelle du nom du ministre du travail allemand Hartz.

En résumé, celles-ci ont installé une plus grande flexibilité sur le marché du travail et tout particulièrement dans le secteur des services, avec la possibilité de contrats de travail très flexibles, avec une durée du travail très faible et un salaire horaire pouvant s’établir jusqu’à 2 euros.

Dans ce contexte, l’économie allemande a créé énormément de minijobs, permettant aux entreprises allemandes de gagner en compétitivité et par conséquent au chômage de se réduire dès 2006.

Ensuite, pendant la crise, le gouvernement allemand a incité au chômage partiel, plutôt qu’au licenciement. Cette forte réduction du temps de travail a également permis au chômage allemand de continuer sa décrue.

La face cachée de ce chômage de plein-emploi réside dans la qualité des emplois créés, et dans la montée des inégalités et du taux de pauvreté.

Les Britanniques ont un modèle plus libéral, qui leur a permis d’atteindre le plein-emploi au début des années 2000. Ce modèle, basé sur une forte flexibilité, dont la dernière mesure est le contrat zéro heure, permet aux entreprises d’embaucher rapidement, mais également de licencier tout aussi rapidement.

Contrairement aux Allemands, au cœur de la crise, le taux de chômage aux Royaume-Uni a fortement augmenté, mais la reprise économique, à partir de 2011, a rendu possible un retour à un taux de chômage en dessous de 5 %.

Là aussi, la qualité de l’emploi diffère selon les catégories, renforçant les inégalités provoquant une hausse du taux de pauvreté.

Victor : Puisque les emplois tendent à se raréfier, est-ce que certains pays ont déjà choisi la voie proposée par Benoît Hamon sur la réduction du temps de travail ?

Effectivement, si on part de l’hypothèse d’une stagnation séculaire de la croissance et d’une raréfaction de l’emploi, la réduction du temps de travail peut être une solution à la réduction du chômage.

D’ailleurs, tous les pays développés (à l’exception notable de la Grèce) ont réduit leur temps de travail, les modalités, en revanche, sont différentes d’un pays à l’autre.

De nombreux pays du nord de l’Europe, les Pays-Bas, l’Allemagne, par exemple, sont des pays qui ont plus réduit leur temps de travail que la France au cours des vingt dernières années. Ils ont décidé de le faire en incitant les entreprises à embaucher à temps partiel, tandis que la France procédait à une réduction de la durée légale.

L’avantage du modèle allemand et néerlandais est qu’il ne brutalise pas les entreprises en leur laissant le choix du moment et de l’ampleur de cette réduction. En revanche, cette façon de réduire le temps de travail induit une forte polarisation de la situation sur le marché du travail, avec d’un côté des travailleurs à temps partiel ayant une durée du travail faible et de l’autre côté des travailleurs à temps complet, travaillant plus et gagnant plus.

Tant que le temps partiel est choisi, ce type de mesure permet à la fois de réduire le chômage et d’augmenter le bien-être des citoyens. Mais dès que le temps partiel devient subi, le cercle vertueux est rompu.

Or, ce que l’on constate, c’est que le temps partiel est à 80 % féminin, et donc exclut principalement les femmes de l’accès à un temps complet, renforçant les inégalités femmes-hommes.

Julien : Je suis en stage de fin d’études en Suède et il semble qu’il y ait plus d’opportunités pour les cadres ici qu’en France. Comment se situe le marché français dans ce domaine ?

Aujourd’hui, le chômage en France est avant tout un chômage de personnes non qualifiées. A partir de 1,6 fois le smic, c’est-à-dire des emplois qualifiés, le marché du travail est proche du plein-emploi. Cela veut dire que le marché du travail pour les cadres est lui-même proche du plein-emploi.

Certes, dans certains pays qui connaissent des taux de chômage macroéconomiques plus faibles que chez nous, la situation des cadres est encore plus enviable. Mais, aujourd’hui, les cadres en France connaissent en moyenne des progressions salariales satisfaisantes.

Julien : On a l’impression d’avoir affaire soit à un taux de chômage élevé, comme en France, sans qu’être chômeur veuille dire être pauvre, soit à un taux de chômage bas (Grande-Bretagne, Allemagne, Etats-Unis), mais avec une explosion des travailleurs pauvres. Existe-t-il une alternative ?

Il existe effectivement une alternative entre le modèle anglo-saxon (chômage faible mais inégalités fortes) et le modèle français (chômage fort mais inégalités faibles). Cette alternative est le modèle scandinave, que l’on nomme « flexisécurité », car il combine plus de flexibilité pour les entreprises – leur permettant d’embaucher et donc de faire baisser le chômage jusqu’au plein-emploi – et de la sécurité pour les travailleurs – leur permettant de garder un pouvoir d’achat et des droits constants même lors de l’épisode de chômage.

Cela permet de combiner plein-emploi et faibles inégalités et taux de pauvreté. Ce modèle a toutefois un coût, qui se résume par des taux de prélèvements obligatoires élevés et un contrôle des chômeurs plus fort qu’en France.

Fitz : Les salariés sont-ils plus mobiles dans les autres pays européens ?

La mobilité est effectivement un déterminant du taux de chômage et la France, de ce point de vue, fait moins bien qu’un certain nombre d’autres pays développés. Et ce pour deux raisons : la première tient à la taille du pays, plus un pays est grand plus le problème d’adéquation entre l’offre et la demande de travail est importante ; la seconde réside dans le problème du logement : en ayant beaucoup de propriétaires et des loyers élevés, la mobilité sur le marché du travail est freinée, notamment lorsqu’on se compare à l’Allemagne.

Plus largement, le problème du logement constitue un déterminant fort du chômage en France : outre le problème de mobilité qu’il engendre, le fort taux d’efforts pour se loger rend impossible toute baisse au niveau du smic et induit une forte augmentation du mal-logement, qui elle-même est source d’échec scolaire, de mauvaise intégration sur le marché du travail et d’absences répétées pour raisons médicales.

La politique du logement est de mon point de vue la première des politiques de l’emploi que l’on devrait mener en France.

Jacques : Le manque de flexibilité du marché du travail français est-il l’élément principal à blâmer ?

Non, bien entendu. L’élément principal reste la croissance économique. Sans elle, vous pouvez « flexibiliser » autant que vous le voulez, le chômage continuera d’augmenter.

A cet égard, on constate qu’en contrôlant la démographie, les performances relatives de la France avec ses partenaires en matière de chômage se résument à celles observées sur le front de la croissance économique.

Il faut donc accompagner les mesures structurelles d’une politique macroéconomique permettant à l’économie de se situer sur un sentier de croissance suffisant.