Elle n’en peut plus de cette odeur de moisi qui contamine tout et qu’aucun lavage n’efface. En un an et demi, les murs de la maison de Félicie (les prénoms ont été changés), si blancs lors de l’emménagement, se sont constellés de noir, gagnés par l’humidité.

Jean-Pierre, son mari, a fait le diagnostic : le toit n’est plus étanche. « Mais le proprio s’en fout, il dit qu’il a dix familles prêtes à prendre notre place. » Ce dernier, de fait, s’en moque bien, lui qui a découpé ce pavillon d’un quartier pavillonnaire d’Agde (Hérault) en six logements insalubres, rattachés à seulement quatre compteurs électriques, comme tout bon marchand de sommeil qui se respecte.

Le couple a fait constater le problème par l’Association départementale d’information sur le logement (ADIL). « Mais ça ne change rien, c’est le pot de terre contre le pot de fer. » Alors en attendant, ils n’ouvrent plus la porte du salon-salle à manger où le taux d’humidité est particulièrement insupportable, et dînent, avec leurs enfants de 16 et 9 ans, dans leur chambre, moins exposée.

« Je suis en train de tout perdre », se lamente Félicie, qui pointe le noir sur ses voilages. Elle a retiré les housses du canapé pour les préserver. C’est que le ménage ne roule pas sur l’or.

Tête rasée, biceps saillants, Jean-Pierre est aussi imposant que sa femme est menue. Il a 46 ans, elle 50. Ils se sont connus tout jeunes, quand Jean-Pierre pesait trente kilos de moins et boxait comme poids léger. Il en a gagné des combats. « Je suis même passé sur Canal+ ! », dit-il avec fierté. Comme il est doux de rappeler ces victoires après avoir brassé les problèmes du quotidien.

Des petits boulots ici et là

Les soucis, ils pensaient les laisser dans leur Nord d’origine, un cousin leur ayant dit que « dans le Sud », il y avait du travail. Ils y ont cru quand, lors de leur arrivée dans la station balnéaire à l’été 2015, Certes, Jean-Pierre a trouvé facilement un boulot d’agent de sécurité. Quelques mois, payés au noir, mais c’était déjà ça. Les enfants sont entrés à l’école, ils ont emménagé dans la maison qui, repeinte de frais, avait semblé « nickel ». « On s’est fait avoir. »

Avec l’arrivée de l’automne, le couple a découvert la moisissure sur ses murs. Et l’autre visage de l’emploi saisonnier dans cette station touristique qui détient le triste record du chômage en France (17,9 % de la population active) : la ville se vide et les offres se raréfient.

Depuis, il y a bien eu des petits boulots ici et là, mais rien de solide. « J’avais trouvé chez un boulanger-pâtissier : ils m’ont fait faire un mois d’essai avant de me dire on te prend pas. Alors que j’ai de l’expérience en plus, grommelle Jean-Pierre. Ils te mènent en bateau, tu bosses et puis y a rien au bout. »

Aujourd’hui, Jean-Pierre et Félicie perçoivent le revenu de solidarité active (RSA). Toutes allocations comprises, ils touchent 1 300 euros mensuels, dont 550 partent dans la location de leur T3.

Amertume

Ils attendent de commencer des formations : elle, pour travailler dans l’aide à la personne, lui pour obtenir le diplôme d’agent de sécurité – « c’est débile, je suis un meilleur videur que plein de types diplômés qui ont peur de leur ombre ». Bravant leur honte, ils poussent désormais régulièrement la porte du Secours populaire pour remplir le frigo.

« Mais aujourd’hui, c’est comme si j’étais sur le ring, que je méritais de gagner et que je perdais aux points. Pourquoi tous les autres nous passent devant, pourquoi personne nous aide ?, s’emporte Jean-Pierre. On est français nous, on a le droit d’avoir un HLM ! »

La liste est longue des familles qui ont, comme eux, déposé une demande de logement social dans l’agglomération. Le couple a décliné une proposition dans un quartier qu’ils jugeaient mal fréquenté. « Maintenant, soi-disant, on n’est plus prioritaires, peste à son tour Félicie. On nous exclut de tout ! Les gens nous prennent pour des cas soc’. Les agences immobilières demandent des cautions, des garants. Moi je leur dis : c’est pas parce qu’on est au RSA qu’on paye pas nos loyers ! »

Félicie évoque encore avec amertume cet après-midi à patienter au Centre communal d’action social. « Et soudain, ils ont fait passer une gitane devant tout le monde en nous disant sinon elle va faire un esclandre. Et nous, on attend, on fait pas de bruit, et on a rien. »

Jean-Pierre ironise : « Moi je vais dire que je suis un réfugié maintenant ! Eux, ils ont 750 euros tous les mois ! », croit-il avoir lu quelque part. Allusion à l’allocation versée aux demandeurs d’asile mais qui s’élève en réalité à 6,80 euros par jour, soit environ 200 euros par mois pour une personne seule. « Quand tu peux nourrir les Français, tu peux nourrir les autres. Avant y avait du boulot, maintenant c’est plus possible ! »

« On veut le K.-O. au premier round »

Jean-Pierre se ravise : « Ceci dit, je les comprends ceux qui se barrent, avec la famine et tout… Moi si ça va pas, je quitterai la France pour sauver ma femme et mes enfants… Mais avant, je vais tout faire pour changer le gouvernement ! » En 2007, Jean-Pierre avait voté pour Nicolas Sarkozy : « Le nettoyage au Kärcher, j’y croyais… Mais qu’est-ce qu’il a fait ? Rien du tout ! Et Hollande ? Pareil ! Et maintenant ? »

Maintenant, Jean-Pierre et Félicie savent bien ce qu’ils vont faire. D’abord ils vont déménager. A force de regarder tous les jours sur le site Leboncoin, Félicie a trouvé un nouveau logement. « Par mes propres moyens », insiste-t-elle. Il y a une chambre de moins. Mais avec « des voisins au-dessus et un toit en tuile », ils sont sûrs d’être au sec.

Et puis, ils vont voter Marine Le Pen. « Parce qu’on n’a jamais essayé ! Elle sera peut-être comme les autres… Avec l’affaire qui la suit, elle est pas clean non plus. Mais on va la mettre au travail, et on verra… », explique Jean-Pierre, enthousiaste. « On a essayé la gauche, la droite, la gauche, la droite, à un moment faut mettre un uppercut ! », assène-t-il. « Le K.-O. Jean-Pierre !, renchérit Félicie. Nous on veut le K.-O au premier round ! »

Ils en rigolent tous les deux. C’est leur petite revanche. « Ouais, c’est ça, confirme Jean-Pierre, sarcastique. Vous m’avez pas aidé ? Eh ben voilà ! », lance-t-il avec rage. Il n’a pas ponctué sa phrase d’un bras d’honneur. Avec la même violence, il a seulement fait mine de glisser un bulletin dans l’urne.

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