Mathieu Toulotte, 32 ans : « L’industrie, je ne veux plus en entendre parler »

Mathieu Toulotte, ancien ouvrier en voie de reconversion, à Dunkerque, en mars 2017. | Faustine Vincent / Le Monde

Mathieu Toulotte, 32 ans, ancien ouvrier à la raffinerie Société de la raffinerie de Dunkerque (SRD, ex-BP), dans le Nord, est en voie de reconversion dans le secteur du bien-être après son licenciement économique.

« Je suis la troisième génération de ma famille à avoir travaillé à la raffinerie SRD. A 85 ans, mon grand-père me disait : “J’ai fait trente ans de carrière là-bas et, depuis que j’y suis, j’entends que l’usine doit fermer, donc tu n’as pas de soucis à te faire.” Quand j’y suis entré, j’étais persuadé que j’y serais, moi aussi, pour toute la vie.

En un an et demi, on a eu deux plans sociaux. Plus de 250 personnes ont été licenciées. On était comme une famille. Ç’a été une période très dure. J’étais élu du CE et délégué du personnel. Je voyais les personnes partir par vagues. J’ai mis mon cas de côté pour privilégier ceux de mes collègues et faire en sorte que personne ne soit lésé. Pendant les périodes de négos, on avait des coups de gueule et des applaudissements des salariés.

J’ai été arrêté un mois parce que je faisais des crises d’angoisse. J’étais sous antidépresseurs, je faisais des malaises à répétition. Aujourd’hui encore, j’ai les boules quand je passe devant l’usine. Mais il faut rebondir.

Je me suis rendu compte qu’il n’y avait plus d’entreprise stable où je pouvais rester jusqu’à la retraite. Ç’a été un déclic. Mon projet, c’est d’ouvrir d’un spa privatif en louant un local avec hammam, sauna et espace détente. Je veux vraiment un endroit où les gens laissent leurs soucis à la porte et se détendent. Se lancer dans le bien-être, ça tombe bien, après ce qu’on a traversé.

Avec le recul, je me dis que je préfère travailler pour moi, pour ne pas avoir à revivre tout ça. L’industrie, je ne veux plus en entendre parler. Est-ce qu’il y a encore des entreprises stables dans ce secteur aujourd’hui ? Je ne pense pas. »

(Propos recueillis par Faustine Vincent)

Noémie, 19 ans : « Mon gros handicap, c’est que je n’ai pas le permis »

Noémie G., 19 ans, est demandeuse d’emploi à Agde (Hérault). Elle bénéficie du dispositif baptisé « accompagnement intensif des jeunes », favorisant l’insertion professionnelle des moins de 26 ans.

« J’ai décidé de chercher un emploi directement après mon bac pro accueil. J’ai trouvé un job en saison, j’ai travaillé trois mois à l’accueil dans une structure de services à la personne. A la rentrée, je me suis mise à envoyer des CV, des lettres de motivation, mais je n’avais pas trop de réponses. Ou alors on me disait que j’étais trop jeune ou que je n’avais pas assez d’expérience. J’étais un peu découragée lorsque je me suis inscrite à Pôle emploi, je me disais que c’était perdu d’avance.

Mon gros handicap, c’est que je n’ai pas le permis. Je pensais qu’en prenant juste le bus cela irait, je ne pensais pas que ça m’handicaperait à ce point. Mais ma conseillère Pôle emploi m’a dit que ça freinait les employeurs, qu’il y avait des risques d’être en retard. Elle m’a aidée à faire un dossier pour demander une aide pour le financement de mon permis. Et Pôle emploi m’a proposé de commencer chez eux en service civique pour huit mois comme agente d’accueil. Je vais pouvoir passer mon permis en parallèle. Cela va m’aider à avoir une première expérience et à lutter contre ma timidité. Ça m’a sortie de mon lit, je suis remotivée ! »

Jean-Marc Lheritier, 49 ans : « Trouver trente salariés, ce n’est pas évident »

Jean-Marc Lheritier, 49 ans, à la tête d’une entreprise de transport, a des difficultés à recruter de la main-d’œuvre. | Solène L'Hénoret / Le Monde

Jean-Marc Lheritier, 49 ans, à la tête d’une entreprise familiale de transport à Sansac-de-Marmiesse (Cantal), rencontre des difficultés à recruter de la main-d’œuvre.

« Quand j’ai commencé à travailler dans l’entreprise familiale, en 1991, on était une dizaine : mon père, ma mère, mon frère, moi, et quatre ou cinq chauffeurs.

En 2016, on a connu une grosse progression d’activité, d’environ 20 %. Pour passer de 145 à 175 salariés, ç’a été compliqué. Il y a des millions de chômeurs en France, mais, lorsqu’il faut en trouver 30 ici, ce n’est pas évident. On proposait pourtant une panoplie de postes qui pouvaient intéresser tous les types de candidats.

Notre difficulté a été de mettre en place ce dispositif de recrutement dans un laps de temps très court. Nous avions à peine trois semaines pour recruter. Il nous faut un à quatre jours pour former les gens, donc, pour nous, l’intérim n’a aucun intérêt. On préfère proposer des contrats plus longs, des CDD de six mois avec une période d’essai de quinze jours. On a fait appel à Pôle emploi, bien sûr, mais on est également passés par la rubrique emploi du Bon Coin, par les réseaux sociaux via Facebook entreprise, et par les petites annonces du journal La Montagne.

En janvier, il nous fallait encore dix personnes et, en mars, on est toujours à moins cinq. Au quotidien, on tire sur les heures supplémentaires, mais l’organisation risque de se compliquer pour gérer les ponts en mai et les congés d’été. Potentiellement, il me faut 40 candidats par an. Mais aujourd’hui, on préfère freiner le développement de l’entreprise.

Pour moi, l’enclavement du département est un frein. Pourtant, il y fait bon vivre. L’accès à la propriété est très facile, on trouve des terrains entre 10 et 20 euros le mètre carré. Et si on met un quart d’heure pour aller travailler, c’est le maximum ! »

(Propos recueillis par Solène Lhénoret)

Pierrick Rivière, 22 ans : « Un CDI aussi proche de chez moi, c’était inimaginable ! »

Pierrick Rivière, 22 ans, vit dans l’Hérault. Il ne trouvait pas de travail malgré son bac + 2 en informatique.

« J’ai trouvé le boulot de mes rêves : un CDI à trente-cinq heures, à cinq minutes de chez moi ! Pourtant, ce n’était pas gagné. J’ai un BTS informatique, mais je ne trouvais pas de travail. J’ai commencé à me remettre en question, est-ce que j’avais bien choisi mes études ? Est-ce que quelque chose ne va pas avec ma personnalité ? Au bout de quatre mois de chômage, j’étais perdu. Je ne supportais pas de ne rien faire !

Le Pôle emploi d’Agde, où j’étais inscrit, m’a d’abord proposé un contrat aidé, à l’accueil. Mais je demandais plus de travail, alors on m’a initié à la saisie informatique. En parallèle, les conseillers qui travaillent avec les entreprises ont vu une offre qui pouvait me correspondre chez Altrad comme technicien informatique. J’ai commencé par une immersion de deux jours. Ça s’est tellement bien passé qu’ils voulaient m’embaucher tout de suite ! Et voilà, je suis en CDI. Aussi proche de chez moi, c’était inimaginable. Les structures qui embauchent des gens comme moi, c’est plutôt à Montpellier ou à Béziers. D’ailleurs, sur l’ensemble de ma classe de BTS, la plupart ont dû reprendre des études. La seule autre qui a trouvé un CDI, elle a dû aller à Paris. Moi, je ne voulais pas bouger, de façon à rester proche de ma copine qui a un emploi d’avenir dans une école maternelle ici. Là, ce contrat, c’est ce qui nous manquait, avec ma copine, pour qu’on puisse s’installer ensemble dans un appartement à nous. On signe le 25 mars. Je vais pouvoir commencer ma vie ! »

(Propos recueillis par Manon Rescan)

José, 50 ans : « Je ne crois plus à la possibilité d’être en CDI »

José Segard, 50 ans, demandeur d’emploi, en mars 2017 à Dunkerque (Nord). | Faustine Vincent / Le Monde

José S., 50 ans, ancien ouvrier près de Calais (Nord), multiplie les petits boulots depuis qu’il a quitté son poste de chauffeur routier, sa « pire expérience ».

« Je viens de finir une mission d’intérim à Calais, donc je suis à l’affût. Là, je viens de participer à une session de recrutement pour faire de l’intérim chez ArcelorMittal. On nous a dit que c’était des postes très difficiles, mais ça ne me fait pas peur. J’ai de l’expérience depuis des années, je peux m’adapter à toute situation.

Ce serait un boulot de plus, pour moi. C’est pour dix-huit mois, donc ce serait déjà ça de pris. Au fur et à mesure, on va bien finir par arriver à 60 ans. De toute façon, je ne crois plus à la possibilité d’être en CDI. Pour moi, ce n’est plus possible, et plus personne n’embauche, à part pour de l’intérim.

Mon objectif, c’est de bosser tout le temps. S’il faut se déplacer, c’est pas grave. J’ai l’habitude, j’ai été chauffeur routier. C’est ma pire expérience. Il faut bien gagner sa vie, à condition de ne pas compter ses heures : je travaillais deux cent quarante heures par mois. Je savais le lundi à quelle heure je décollais, mais c’est tout. Après, tu as un ordinateur de bord qui te dit où aller, et on tourne dans la toute la France comme ça comme des cons, jusqu’à pas d’heure, soirs et week-ends. Et, au téléphone, des chefs te disent : “T’es où ? t’es où ?”

J’ai trois gamins, et ils étaient à l’âge où on peut commencer les conneries, donc j’ai dit : “Allez, on arrête”, et j’ai quitté ce boulot. »

(Propos recueillis par Faustine Vincent)

Virginie, 42 ans : « J’ai fait un peu de tout, beaucoup d’emplois saisonniers »

Virginie, 42 ans et mère de deux enfants, est saisonnière près de Narbonne (Aude).

« J’ai quitté l’école sans diplôme. J’ai eu un contrat aidé avec une formation en mini-bûcheronnage pendant trois ans. Et à la fin du contrat… rien. Depuis, j’ai fait un peu de tout, beaucoup d’emplois saisonniers. J’ai fait la récolte des olives, des oignons, du maïs… J’ai été embauchée en CDI dans une entreprise qui produisait des lampes pour dentistes. Malheureusement, la boîte a été délocalisée. J’ai été licenciée en 2008, l’année de mon mariage ! On venait de faire construire notre maison.

Après ça, je suis repartie sur la galère, les petits contrats saisonniers. Là, j’ai trouvé un emploi d’aide à domicile chez une vieille dame : cent heures par mois, payées en chèque emploi service. Les après-midi, je vais attacher la vigne. Mais bon, ça c’est du black. Ça arrange mon patron et moi aussi, car, si je déclare trop, je peux perdre mes 48 euros d’allocations logement. Je ne cotise pas à la retraite avec ça, mais la région est tellement pauvre en emplois que beaucoup font comme moi.

En avril, il y aura quelques jours de boulot pour planter les tomates, les aubergines, les poivrons. Cet été, je ramasserai les abricots. Sept jours sur sept, payée au smic. Ça, c’est déclaré. Je continue à avoir droit à des indemnités Pôle emploi quand je ne travaille pas, l’hiver, ça me fait une petite sécurité.

Les mois de trente jours, j’arrive à gagner 1 200 euros. L’an passé, on a juste pris trois jours de vacances en Espagne. On vit un peu au petit bonheur la chance… Si je me projette à long terme, c’est pas très glorieux… J’aimerais vivre comme tout le monde, faire mes huit heures avec ma petite pause le midi et rentrer le soir à la maison. Grignoter un peu à droite à gauche, c’est pas ce que j’ai envie de faire de ma vie. J’aspire à autre chose. »

(Propos recueillis par Aline Leclerc)

Florence Bouvier, 53 ans : « On essaie de faire autre chose de l’entreprise »

Florence Bouvier a effectué l’essentiel de sa carrière comme assistante de direction dans des gros groupes. | Solène Cordier / Le Monde.fr

Florence Bouvier a rejoint depuis près de trois mois l’équipe de Tezea, une entreprise « à but d’emploi » qui emploie d’anciens chômeurs de longue durée.

« Le travail me sert à être bien dans ma vie. J’ai donc besoin d’être bien dans mon travail pour aller bien. J’ai toujours quitté mes postes au bout de trois ou quatre ans parce que j’avais le sentiment d’en avoir fait le tour, je m’ennuyais. Dès que j’ai le sentiment de tomber dans une routine, je m’en vais.

A Tezea, tout est à créer, à imaginer, et chacun doit prendre son poste en main. On essaie de faire autre chose de l’entreprise, quelque chose de plus convivial, avec peu de hiérarchie. Pas quelque chose d’oligarchique où une personne dit aux autres : “Tu fais ce que je te dis et tu réfléchis pas.” Depuis janvier, il y a eu des hauts et des bas, parce que certains d’entre nous n’avaient jamais travaillé dans des bureaux. Mais ce qui change par rapport à une entreprise, c’est qu’ici on ne vire pas les gens. S’il faut trois rendez-vous et quatre discussions, on prend le temps. On fait le maximum pour que les gens travaillent bien ensemble. »

(Propos recueillis par Solène Cordier)

Matthieu, 26 ans : « Mon salaire est 2,5 à 3 fois plus élevé que celui que je toucherais en France »

Matthieu, 26 ans, habite à Annecy et travaille en Suisse, dans une banque en ligne.

« Depuis que j’ai commencé à travailler, en 2013, j’ai toujours été frontalier. D’abord au Luxembourg, durant deux ans et demi, à l’époque où je vivais encore en Moselle. Puis en Suisse, depuis un an. J’habite dans le centre d’Annecy, et l’entreprise qui m’emploie, une banque en ligne, se situe à Gland, entre Genève et Lausanne. Nous covoiturons à trois collègues, chacun conduisant une semaine complète à tour de rôle. Le matin, nous partons tôt, à 6 h 20, du parking de Pringy, dans la banlieue d’Annecy, pour éviter les embouteillages à la douane.

Ce qui m’a amené dans la région ? J’ai un ami qui habite à Annecy. Avec ma copine, nous venions le voir de temps en temps le week-end. Nous trouvions la ville super belle et avions envie de changer d’air. Je n’étais pas du tout au courant du niveau de vie en Suisse. Et c’est cet ami, établi à Annecy, qui m’a appris que, dans l’informatique, on pouvait trouver du travail facilement. Ce qui fut d’ailleurs le cas pour moi : en un mois, notre emménagement était plié. Au sein de ma boîte, nous sommes environ 500, avec très peu de Suisses ; dans mon équipe, il y a deux Roumains, un Espagnol, une Polonaise, une Chinoise ; la langue d’usage, c’est l’anglais. L’ambiance est très détendue. Les trois fondateurs, qui sont suisses, eux, ont gardé un état d’esprit un peu start-up.

Le salaire que je perçois est 2,5 à 3 fois plus élevé que celui je toucherais en France, pour un poste équivalent. Mais il faut déduire différentes dépenses. Entre l’essence et le péage, ça fait environ 300 euros par mois. Mais je reste gagnant, financièrement. »

(Propos recueillis par Bertrand Bissuel)

Lucie Cohade, 27 ans : « Les Suisses ne sont pas fainéants »

Lucie Cohade, 27 ans, habite à Cuvat (Haute-Savoie). Elle est employée dans une société de sécurité en Suisse.

« J’ai entamé ma carrière professionnelle dans la gendarmerie nationale, en France. En 2010, l’un de mes anciens collègues, qui était employé dans une société de sécurité en Suisse, m’a dit : “Tu devrais envoyer ta candidature.” A l’époque, j’étais en poste à Mâcon. J’ai passé un entretien d’embauche sur Skype. Mon profil les intéressait, d’autant que je parle anglais et espagnol, ce qui peut se révéler très utile dans une métropole internationale comme Genève. Securitas m’a embauchée en 2010, j’ai donc démissionné de la gendarmerie française pour prendre ce poste d’agent de sécurité. Ma tâche consiste à protéger des biens et des personnes : ambassadeurs, VIP et leurs enfants…

J’habite à Cuvat, une commune d’un millier d’habitants située à une douzaine de kilomètres d’Annecy. Pour me rendre sur mon lieu de travail, je me déplace avec mon propre véhicule, seule. Je ne peux pas faire de covoiturage car mes horaires ne sont pas fixes. Le trajet dure de trente à quarante-cinq minutes quand ça roule bien. Et bien au-delà d’une heure lorsque le trafic est chargé. Heureusement, je connais les petites routes qui permettent de couper et d’éviter des bouchons.

Ce qui me frappe dans le travail, c’est que les Suisses ne sont pas fainéants. La semaine de trente-cinq heures, ils ne connaissent pas, c’est plutôt quarante-cinq. Ils sont exigeants, mais aussi très chauvins : les postes dans la finance, par exemple, leur sont destinés en premier. Mais comme ils manquent de personnels dans diverses professions, ils font appel à des travailleurs venus de l’étranger. »

(Propos recueillis par Bertrand Bissuel)

Pascale, 56 ans : « Je n’ai nullement envie de revenir bosser en France »

Pascale est infirmière en psychiatrie. Elle travaille en Suisse. | Bertrand Bissuel / Le Monde

Pascale, 56 ans, est infirmière en psychiatrie. Elle travaille en Suisse depuis plus de vingt ans.

« J’ai commencé à travailler en 1984, en France – dans un hôpital psychiatrique puis dans un foyer-logement. Quelques années plus tard, l’un de mes amis, employé à Genève, m’a dit : “Envoie ton CV en Suisse.” J’ai décidé de franchir le pas le jour où mon mari a pu conduire nos enfants à l’école. Trouver un poste à Genève dans ma profession ne posait guère de problèmes dans les années 1990 : il y a beaucoup d’établissements de santé sur l’agglomération et ils cherchaient du personnel. J’ai été recrutée à l’hôpital cantonal. Pourquoi ai-je postulé ? Il y a tout d’abord la question du salaire, qui est multiplié par 2,5 à 3. Mais ce qui m’a le plus attirée, c’est la multitude de lieux de travail potentiels dans la métropole de Genève.

Il n’y a pas assez de transports en commun pour aller de Haute-Savoie vers la Suisse et ceux qui assurent des dessertes sont en décalage avec les horaires des soignants. Du coup, je fais du covoiturage avec des collègues. Nous sommes souvent deux, parfois trois, plus rarement quatre. Nous prenons notre propre véhicule à tour de rôle, ce qui nous évite de tenir la comptabilité des dépenses engagées – carburant, péage. Nous louons à quatre un parking à l’hôpital cantonal. Il a fallu attendre sept ans pour obtenir la place !

Jusqu’à maintenant, les conditions de travail étaient bien meilleures qu’en France, car le nombre de patients à suivre pour un seul soignant était moins important. Mais ça tend à se dégrader un tout petit peu. J’ai la chance d’être épargnée, car mon service est bien doté : trois soignants pour dix patients. Et l’activité, en elle-même, est très gratifiante. Au total, les satisfactions l’emportent, entre l’intérêt du poste et la rémunération. Je n’ai nullement envie de revenir bosser en France. »

(Propos recueillis par Bertrand Bissuel)

Damien, 49 ans : « Le temps partiel, un point d’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle »

Damien, 49 ans, est expert en sécurité dans le BTP. Il travaille dans une société suisse où tous sont employés à 80 %.

« Je travaille à Genève depuis septembre 2011. Avant, j’étais en France. Mon job consistait à traiter les questions de sécurité et d’hygiène sur des chantiers dans le BTP. Je ne ressentais plus une réelle envie d’exercer ce métier, mal considéré. J’en étais même venu à envisager une nouvelle orientation professionnelle. Je ne cherchais pas du tout en Suisse, mais un jour je suis tombé sur une offre d’emploi qui proposait un poste semblable à celui que j’occupais jusqu’alors. Un temps partiel – quatre jours par semaine –, ce qui correspondait au point d’équilibre que je souhaitais entre vie familiale et vie professionnelle. J’ai écrit à l’entreprise, un bureau d’ingénieurs, et elle m’a embauché. J’ai redécouvert le métier, retrouvé du plaisir. On sert à quelque chose, je fais partie de la direction, mes compétences sont reconnues. J’ai eu aussi la chance d’intégrer une société qui avait un fonctionnement différent de celui de la plupart des sociétés suisses : tout le monde travaille à 80 %, c’est important pour les fondateurs. La rémunération ? Ce n’était pas un sujet pour moi.

Il faut environ une heure, en auto, pour me rendre sur mon lieu de travail, qui se trouve à 55 kilomètres de la commune où j’habite. Je me lève vers 5 h 30, et nous covoiturons à plusieurs, en partant vers 6 h 10. Le soir, on quitte le boulot à 17 heures. »

(Propos recueillis par Bertrand Bissuel)

Merlin, 25 ans : « Un milieu professionnel particulièrement instable »

Merlin, 25 ans, est salarié dans la construction horlogère.

« Je travaille sur l’agglomération de Genève depuis cinq ans. Je viens de changer d’employeur. Ma tâche est centrée sur l’habillage des montres : boîtier, glaces, bracelet. Le milieu professionnel dans lequel j’évolue est particulièrement instable, en ce moment, car les commandes ne sont pas au rendez-vous. Du coup, beaucoup d’entreprises recourent au chômage partiel ; parfois, elles licencient – j’en ai d’ailleurs fait les frais, une fois, dans une autre société. Le travail est toujours venu à moi par le bouche-à-oreille, mais cela ne veut pas dire que je n’en ai pas cherché : simplement, les postes pour lesquels j’ai été recruté sont arrivés comme ça, parallèlement à mes recherches infructueuses.

Je vis dans Annecy même et me rends au boulot en voiture.

En France, je n’aurais jamais pu trouver un poste comme celui que j’occupe actuellement, avec des responsabilités et une telle rémunération – entre 4 000 et 4 500 euros. Il faut dire aussi que ce job n’existe tout simplement pas dans notre pays. »

(Propos recueillis par Bertrand Bissuel)