Nicole Chaumeil, le 8 mars, à l’agence Pôle emploi d’Aurillac (Cantal). | Solène L'Hénoret/Le Monde

Baskets aux pieds et dossier sous le bras, Nicole Chaumeil sillonne la ville pour trouver un financeur. En venant dans l’agence Pôle emploi de la ville d’Aurillac (Cantal) participer à l’atelier « Faire émerger son projet de création d’entreprise », elle espère trouver les réponses qui lui permettront de concrétiser son affaire. Elle a besoin de 35 000 euros pour racheter un petit commerce, une boutique de chocolats. « Parce que je n’ai pas envie de travailler avec des gens qui ne vont pas bien. Et les clients qui viennent acheter du chocolat vont bien », plaisante cette native de Mauriac. En prenant soin de glisser ici et là une note d’humour, Nicole Chaumeil évite ainsi de s’apitoyer sur son histoire. « Une vie, c’est toujours beaucoup de problèmes, résume-t-elle. Mais je ne changerais pas ma vie, du tout… sauf financièrement. »

Des problèmes, elle en a eu son lot. Si elle est toujours sans emploi aujourd’hui, c’est principalement lié à un contexte familial particulier. La nouvelle est tombée en 2007, l’année des 11 ans de Sébastien. D’abord diagnostiqué schizophrène, son fils apprend, quelques mois plus tard, qu’il est autiste de type Asperger. Sébastien était différent depuis sa naissance mais sa mère n’avait eu auparavant aucune réponse de la part des professionnels de santé. Pour Nicole Chaumeil, c’est un coup de massue. « J’ai un peu pété les plombs, confie cette mère âgée de 55 ans. J’ai même eu peur qu’on me prenne mes enfants. J’étais tellement enfermée dans les problèmes que je ne voyais pas d’autre issue que de partir. Je suis allée avec eux au Mexique, je voulais changer de vie. »

Après ce « salutaire voyage » de trois semaines à l’étranger, Nicole Chaumeil revient finalement au Rouget, un village situé à une vingtaine de kilomètres d’Aurillac, où elle était venue s’installer en 1996 avec ses deux enfants, Olivier, alors âgé de 7 ans, et Sébastien, de 6 mois. « Avant, je vivais dans l’Allier avec leur père. Nous avons vécu dix-neuf ans ensemble. Il m’a quitté du jour au lendemain, au retour des vacances, et j’ai voulu me rapprocher de mes sœurs. »

Comprendre le syndrome d’Asperger et aider son fils

C’est à partir de son retour du Mexique que Nicole Chaumeil se jette à corps perdu dans l’accompagnement de Sébastien. L’hôpital de Clermont-Ferrand lui prête des livres sur le syndrome d’Asperger. Elle s’y plonge pendant trois mois pour comprendre son fils et l’aider dans l’apprentissage des codes sociaux. « C’est un peu comme si vous alliez au Japon, les codes sociaux étant différents, vous devez les apprendre afin de vous intégrer, explique-t-elle. Au quotidien, pour les Asperger, c’est une démarche qui mobilise beaucoup d’énergie. »

Lorsque Sébastien est rentré au lycée, il n’a pas supporté l’internat. Il leur a fallu déménager à Aurillac et trouver une maison. « Une assistante sociale m’a beaucoup aidée. Elle a compris qu’on ne voulait pas être assisté, mais épaulé », souligne Nicole Chaumeil. Eviter de vivre en appartement n’était pas une fantaisie. « Sébastien soliloque et a besoin de crier. Il a pour lui un étage où il peut parler, marcher… Quand on me dit : “Mais, si vous n’avez pas d’argent, pourquoi vous restez dans une maison ?, je réponds venez passer une semaine avec nous et on en reparle. »

Pourtant, garder ce logement est devenu très lourd à gérer : payer un loyer de 560 euros, en ne disposant que de 212 euros d’aide personnalisée au logement (APL) et 611 euros d’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE), le calcul est vite fait. « J’ai bien pensé à épouser un riche émir ! », s’amuse-t-elle.

Une multitude de petits boulots

L’accompagnement cognitif et social sur lequel elle s’investit l’empêche de chercher du travail. Seule pour élever ses enfants, sa situation financière est catastrophique. « Pour moi, c’était du vingt-quatre heures sur vingt-quatre, raconte-t-elle. J’ai vécu avec rien. Récupérer du papier dans les toilettes publiques parce que je n’avais pas de quoi m’acheter des serviettes hygiéniques, je sais ce que c’est. »

Autodidacte et touche à tout, Nicole Chaumeil a travaillé dans différents secteurs, journalisme, accompagnement de réfugiés en insertion, conception d’expositions avec des scolaires, hôtesse d’accueil… Mais, sans diplôme, elle a surtout cumulé ces dernières années une multitude de petits boulots, constitués d’intérim ou de vente sur les marchés le week-end. Cela impliquait qu’Olivier, son fils aîné, garde son petit frère. « Il a eu une énorme responsabilité sur les épaules très petit. Mais je n’avais pas les moyens de faire autrement. »

Ses demandes d’aides humaines et financières auprès des services sociaux de la ville et du département n’aboutissent pas : « Nous ne rentrions pas dans les cases », ironise-t-elle. Elle préfère s’occuper de Sébastien et se refuse à suivre leurs conseils de le placer au pôle de psychiatrie infanto-juvénile de Cueilhes afin que tout soit pris en charge. « Ils balayaient de la sorte le travail que j’effectuais avec mon fils et me culpabilisaient de ma précarité. »

L’aide de personnes bienveillantes

Sur son chemin, elle croise quelques personnes bienveillantes. Une auxiliaire de vie scolaire, qui a permis à Sébastien de prendre confiance en lui. La principale du collège, qui a mis à la disposition de son fils un local pour lui permettre de revenir progressivement dans l’établissement sans être confronté aux élèves. Au début, Sébastien n’y restait parfois que cinq minutes et, petit à petit, il a pu retourner au sein de la classe.

« Il est même parti en voyage scolaire en Angleterre et a fait son stage de troisième à l’Institut d’astrophysique à Paris, raconte, non sans une certaine fierté, Nicole Chaumeil, avec les yeux qui pétillent. Il a toujours eu ce désir de se dépasser et de trouver une place quelque part. Il souffre de dyspraxie [difficulté à effectuer des mouvements coordonnés] et on lui a dit qu’il ne pourrait pas faire d’études. Pourtant, il a fait une terminale S et il est en deuxième année de droit. »

Grâce à un contrat aidé de douze mois, Nicole Chaumeil a travaillé dans une boulangerie jusqu’en novembre 2016. Son employeur, compréhensif, l’avait autorisée à partir sur le champ si la faculté l’appelait ou si Sébastien avait besoin d’elle.

Reprendre cette boutique de chocolats lui permettrait de « se lever le matin, sortir de chez [elle], de l’isolement ». « Je ne veux pas rencontrer des employeurs, faire des CV… Je n’ai pas envie de devoir me justifier si je dois partir, ajoute-t-elle. On est dans une société où il n’y a pas d’empathie et où le handicap n’est pas pris en compte. Je pense avoir accompli un travail auprès de mon fils, qui mérite un salaire d’aidant. »