Kylian Mbappé indique la direction à suivre à Ousmane Dembélé. La jeunesse arrive chez les Bleus. | FRANCK FIFE / AFP

Didier Deschamps aime la jeunesse et il n’hésite pas à l’encourager. Le sélectionneur des Bleus l’a encore prouvé avant d’affronter, samedi 25 mars, le Luxembourg en éliminatoires de la Coupe du monde 2018 et l’Espagne, mardi, en match amical. Il a convoqué cinq nouveaux joueurs, dont le plus âgé est le Marseillais Florian Thauvin, 24 ans, et le plus jeune, le Monégasque Kylian Mbappé, 18 ans. Les trois autres nouveaux ont chacun 22 ans : les Monégasques Benjamin Mendy et Tiémoué Bakayoko, ainsi que le Lyonnais Corentin Tolisso.

Quand vous ajoutez à cette nouvelle garde des joueurs appelés récemment comme le Monégasque Thomas Lemar, 21 ans, le joueur de Dortmund Ousmane Dembélé, 19 ans, les Parisiens Adrien Rabiot et Presnel Kimpembe, 21 ans, vous obtenez à l’équipe de France la plus jeune de l’ère Deschamps, entamée le 8 juillet 2012. La moyenne d’âge des Bleus s’élève à 25,25 ans. Sur vingt-quatre joueurs convoqués par Didier Deschamps, en comptant Paul Pobga, finalement forfait sur blessure, treize ont moins de 25 ans.

Directeur technique national de la Fédération française de football depuis octobre 2010, François Blaquart est un acteur de ce rajeunissement. Celui dont la mission prendra fin dans quelques jours, le 31 mars, se félicite de la bonne santé de la formation française.

Didier Deschamps a sélectionné sa plus jeune équipe de France depuis qu’il est en place. Est-ce une stratégie de rajeunissement assumée de sa part ?

François Blaquart : Je ne suis pas à sa place et c’est à lui qu’il faut demander s’il y a réellement une stratégie liée à des impératifs d’équipe, de faire jouer des joueurs en forme ou éventuellement de se projeter un peu plus loin sur des échéances internationales à venir. Une chose est sûre c’est qu’il y a beaucoup de jeunes joueurs qui émergent en ce moment. C’est plutôt flatteur par rapport au travail effectué par la Fédération. Ces dernières années, nous avons eu beaucoup de bonnes sélections nationales de jeunes, qui ont eu des résultats. Aujourd’hui, ils arrivent en senior et se mettent au minimum en concurrence avec ceux qui sont déjà installés. Par leur performance, ils peuvent même espérer prendre leur place.

Peut-on parler d’une génération spontanée de talents ou le football français bénéficie-t-il d’une réorientation de sa politique de formation, depuis notamment l’affaire des quotas qui avait fait polémique en 2011 ?

D’abord, c’est une non-affaire, cela n’a rien à voir avec le sujet dont on parle et elle ne mérite pas d’être citée. Par contre, on peut effectivement parler de la période Knysna et de ce Mondial 2010. Nous n’avions pas d’émergence de joueurs. Un vrai travail a donc été effectué sur la détection et la formation des talents, en collaboration entre le monde fédéral et les clubs professionnels. Peut-être que beaucoup de choses que nous faisons désormais n’étaient pas réalisées avant pour permettre à ces joueurs d’émerger au plus haut niveau.

Il y a également un contexte économique qui conduit à ce que beaucoup de joueurs s’expatrient car le foot français n’est pas le plus performant économiquement. Tout cela fait de la place pour les jeunes. Ils jouent plus vite et se montrent plus vite.

Si l’exil des professionnels français est en effet constant ces dernières saisons, un certain nombre de ses jeunes néointernationaux évoluent encore en France, notamment à Monaco, qui est un club à l’aise financièrement…

Quand des clubs comme Monaco, Lyon ou le PSG ont des jeunes appelés à devenir de super joueurs, à l’image de Mbappé ou de Rabiot, vous pensez bien que de très grands clubs européens vont venir leur faire les yeux doux. Jusqu’à quel point vont-ils pouvoir s’aligner ? De plus, tous ces nouveaux talents peuvent aussi sortir dans des clubs moyens, parce que dans ces clubs on a vendu des joueurs pour des raisons financières. C’est l’avantage de l’inconvénient : d’un côté on perd prématurément des joueurs ce qui n’est pas très intéressant pour le championnat, de l’autre, ça permet à de multiples talents de s’exprimer.

Récemment, un recruteur de Manchester City a déclaré dans « L’Equipe »  que la « France était perçue comme le nouveau Brésil » en matière de réservoir de jeunes joueurs. Qu’en pensez-vous ?

C’est un jugement que l’on ne peut que partager sur le terrain. D’abord, nos sélections nationales marchent bien. En général, une bonne équipe de France est constituée de joueurs qui ont été performants avec les équipes de jeunes. Plusieurs générations se sont illustrées en gagnant des titres ces trois ou quatre dernières années : Paul Pogba et Samuel Umtiti ont notamment été champions du monde des - 20 ans en 2013. L’an passé, Kylian Mbappé a été champion d’Europe des - 19 ans. On porte légitiment plus d’attention sur elles et elles ne font que confirmer le bien que l’on en pensait.

Je pense que tous ces excellents résultats en matière de formation proviennent de remises en question en matière de formation des entraîneurs, de modification de stratégie en termes de détection, d’un meilleur accompagnement des jeunes joueurs, d’une intensification des structures de formation, que cela soit au niveau des sports études, des pôles espoirs ou des centres de formation… C’est un tout.

Après le départ de la génération 1998 qui a presque tout gagné (Mondial et l’Euro 2000), l’équipe de France a connu des années difficiles. Comment évitez ce piège à l’avenir ?

Quand vous avez une sélection brillante, le gros danger est en effet de ne pas permettre aux talents qui suivent de s’illustrer. Ça a été le cas après la génération Platini, où une génération en or sur le papier n’a rien fait car elle a été longtemps bloquée. Lorsque vous avez des joueurs qui à 25 26 ans n’ont jamais joué en équipe de France, on sait qu’il est déjà trop tard. L’idéal est de veiller de la part du sélectionneur et de la Fédération à toujours faire de la place aux jeunes, même quand vous avez une génération extraordinaire. Je sais que les Allemands ou les Espagnols y travaillent : « On est très bons mais il faut toujours laisser l’espace au renouvellement. »

Après, il est vrai que malgré nos efforts, il peut y avoir des générations plus fortes et d’autres perdues. C’est pour ça qu’il ne faut jamais négliger une génération. On essaie d’être attentif à tous les détails. Il faut que les jeunes jouent en club, Didier le dit bien. Il ne prend que des joueurs qui jouent et on en a beaucoup qui jouent…

La formation de jeunes footballeurs est-elle un éternel recommencement ?

C’est effectivement un recommencement permanent. Nous n’avons pas le droit que cela soit les clubs ou la fédération d’avoir des temps morts. On se doit d’être performants. Lorsque pendant deux ou trois ans de suite, on sent que le niveau est moins bon, on peut s’inquiéter. On est heureux à l’inverse quand les bonnes générations s’enchaînent comme c’est le cas actuellement.

Quel regard portez-vous sur les générations qui émergent en ce moment ?

Vous me parlez déjà de générations confirmées, celles des joueurs qui ont 19 ou 20 ans. Je peux vous dire que derrière il y a une relève très intéressante. Le plus important est de ne jamais avoir de creux. Il est essentiel d’avoir deux ou trois super talents aptes à toucher l’équipe de France par génération. On observe attentivement les sélections des 16 et 17 ans. On est attentif aussi dès les détections à partir de treize ans. On suit nos pôles, les premiers stages des 14, 15 ans à Clairefontaine. Il faut se remettre en question en permanence, ce qui n’a pas toujours été le cas.

Kylian Mbappé est presque programmé depuis son passage au centre de préformation de Clairefontaine au plus haut niveau. Comment fait-on pour accompagner ce genre de phénomène ?

Il faut expliquer que l’on a modifié notre approche. Nous travaillons plus sur l’état d’esprit et l’intelligence de jeu. On essaie de favoriser les aptitudes qu’a la personne à s’intégrer dans le collectif et à jouer dans le sens des autres. Nous sommes passés d’une période techniciste et athlétique à une période où l’on prend en compte des critères beaucoup plus larges axés sur le jeu, l’intelligence de jeu et le comportement. C’est un travail que l’on fait depuis six ou sept ans et qui commence à porter ses fruits.

Pour revenir à Mbappé, il a suivi le cursus classique : pôle espoirs, centre de formation, sélections de jeunes… Rabiot a eu le même parcours mais il est passé par le pôle de Castelmaurou. L’autre jour, dans l’équipe du PSG qui a battu le Barça à l’aller (4-0), il y avait cinq joueurs issus du centre de formation parisien, dont quatre étaient passés par les pôles fédéraux. A Monaco, c’est la même chose : Benjamin Mendy ou Thomas Lemar sortent des pôles. C’est un parcours fédéral vertueux qui se met en place et qui implique aussi les clubs. Demain, celui qui aura débuté dans une école de football labellisée FFF n’en sera que mieux construit et aura une marge de progression plus importante.

Ousmane Dembélé est parti l’été dernier pour l’Allemagne après une seule saison en Ligue 1 à Rennes. Il connaît le succès mais comment peut-on éviter aux jeunes talents de s’exiler trop tôt ? la Fédération peut-elle jouer un rôle ?

Nous n’avons pas de rôle. Il s’agit de la liberté de choix des joueurs, et souvent les données économiques commandent. L’envie de connaître l’étranger aussi. Cependant, il ne faut pas partir trop tôt. On pense que deux ou trois saisons à un bon niveau de football professionnel en France sont profitables. Une carrière sage est typiquement celle de Hugo Lloris, qui, après Nice, est parti à Lyon avant de rejoindre l’Angleterre vers 25 ans. Puis les jeunes joueurs partent tôt, plus ils doivent assumer les éventuels problèmes d’intégration et de concurrence. Il y a un risque qu’ils ne puissent ne pas digérer tout d’un coup mais, hélas, on ne peut rien y faire.

Pensez-vous que les footballeurs sont mûrs de plus en plus tôt ?

Croyez-moi, ils ne le sont pas tous… Il se trouve que nous avons en ce moment des garçons qui le sont mais on ne parle pas de ceux qui ne le sont pas. D’ailleurs, je préfère que cela soit les plus mûrs qui émergent, car en général les autres ne nous font pas une bonne promotion. On a ainsi beaucoup travaillé sur la dimension mentale et les comportements. On essaie d’occulter la dimension individuelle pour privilégier la dimension collective. On s’est adapté à l’évolution sociétale. Il y aura toujours des joueurs plus faciles et des moins faciles, des joueurs qui se comportent bien et d’autres moins bien. Pour réussir, il faut avoir la tête bien pleine et des qualités de comportement. Cela nécessite d’être vigilant car le football pro est perverti par des tas de personnes qui gravitent autour et par l’argent.